Une vue de la tripartite qui s'est déroulée jeudi «Du temps des entreprises coloniales on disait en Europe que les peuples du Tiers-Monde étaient primitifs, arriérés, barbares, non-civilisés, etc. Ce qui contribuait à transfigurer le processus brutal d'expropriation colonialiste en mission civilisatrice et humanitaire. [...] L'ordre établi tend à se justifier au nom d'une définition, généralement conçue comme universelle et éternelle, une essence métaphysique du Beau, du Bien, du Juste, du Sacré, du Vrai, du Normal, du Naturel, etc..» Alain Accardo, Introduction à une sociologie critique, éd Mascaret,1997 Cette boutade du professeur Accardo est là pour nous permettre de mesurer d'où nous venons. De plus, il est de bon ton de présenter la mondialisation qui sévit actuellement, comme étroitement associée au progrès humain. Nous appuyant sur l'analyse ci-après, nous dressons le décor actuel et la situation délicate de l'Algérie qui a à la fois laminé son propre outil de production mais aussi compromis ses défenses immunitaires par des accords de libre-échange avec l'Europe et les pays arabes, ce qui s'apparente à une reddition en rase campagne qui fait que nous ne produisons pas grand-chose de pérenne (l' industrie représente 5% du PIB). «La mondialisation serait un processus neutre, dont certains méfaits sont bien réels et malheureux, mais surtout liés à une mauvaise gestion de la nouvelle réalité. Que voulez-vous, c'est un monde cruel et il y aura toujours des perdants. D'une façon ou d'une autre, la mondialisation serait inévitable. La seule solution: nous «adapter». Les marchés financiers sont devenus une sinistre loterie où l'appât du gain se joue tous les jours du reste de l'humanité. Jamais dans l'histoire, autant de problèmes n'ont culminé avec autant de violence: appauvrissement si massif qu'il n'a pas son parallèle historique, multiplication des guerres avec les mouvements de réfugiés qui sont leur conséquence inévitable, violation et répression systématique à grande échelle des droits des femmes et des enfants, destruction écologique si étendue qu'elle entraîne des changements immenses et en apparence irréversibles, non sans évoquer un cancer phase terminale pour notre petite boule bleue... Derrière la mondialisation et ses macabres profiteurs, en complet trois pièces se profile un monde à l'agonie, un monde où trente millions de fois par année, 340 fois à l'heure, un enfant meurt du pain qu'on lui enlève de la bouche.»(1) «La mondialisation n'est pas qu'un phénomène géographique. La mondialisation vise à conquérir et à coloniser jusqu'aux derniers retranchements de la vie. L'eau, les forêts, les dernières terres fertiles du monde sont en train d'y passer. La biotechnologie se donne maintenant pour mission de privatiser le code fondamental de la vie. Qu'importe ce qui reste de gratuit, de sain, de juste et de durable, si on ne peut l'exploiter au profit de quelques-uns? Une fois brevetés, les gènes du vivant, tout ce qui pousse, respire et se reproduit pourra enfin paraître dans la colonne des bénéfices de Monsanto, Novartis et autres membres d'une autre nouvelle classe d'organismes: celle des organismes parasitaires mondialisés.»(1) Nous voilà avertis! En clair, la mondialisation parce que dimensionnée à la taille des nantis, mal comprise est la «liberté du renard dans le poulailler. C'est cela que nous voulons? Où devons nous mettre de l'ordre et militer plus que jamais pour un développement à visage humain qui ne laisse personne sur le bord de la route sans en faire naturellement des assistés qui attendent tout de l'Etat. On aura tout dit de cette tripartite économique. Des dizaines de propositions faites par le patronat, de celles faites par l'Ugta et de celles en définitive retenues pas la tripartite. La singularité de cette tripartite de notre point de vue est que pour la première fois d'autres sons de cloches que ceux classiques des trois partenaires ont été entendus. Beaucoup d'intervenants notamment les experts, le collectif Care, ont proposé des pistes de réflexion. Le Premier ministre a mis en exergue l'immense défi à relever dans un contexte international difficile et instable qui appelle à un consensus renforcé entre tous les partenaires autour de la bataille de la croissance, de la dynamisation du développement économique national et la relance industrielle, de la création de l'emploi par la construction d'une économie forte et diversifiée et indépendante des hydrocarbures. De son côté, le secrétaire général de l'Ugta a appelé à la mobilisation de l'ensemble des capacités productives nationales afin de parvenir à une relance industrielle rapide, une croissance plus forte dont les résultats se répercuteront sur l'emploi. Les dirigeants des organisations patronales ont globalement apporté leur soutien et appui à la démarche économique du gouvernement et ont manifesté leur disponibilité à relancer l'économie nationale tout en faisant part de certaines contraintes en matière d'accès au foncier et au crédit et les lourdeurs de certaines administrations. De nouvelles dispositions allant dans le sens de l'encouragement et du développement de l'entreprise nationale, ont été annoncées ainsi que la mise en place de cinq groupes de travail tripartites sur le groupe chargé d'élaborer le pacte économique et social de croissance, les modalités de contribution du Fonds National d'investissement (FNI) au financement de l'investissement national public et privé. Les voies et moyens pour l'encouragement de la production nationale, dont le crédit à la consommation pour les produits locaux. L'encadrement des actes de gestion et enfin sur les modalités facilitant l'intervention des entreprises nationales du Btph dans la réalisation du programme national d'équipement. Sans nier leur impact, le gouvernement maintient le cap pris depuis plus d'une décennie. Des parlementaires indiquent que la loi de finances pour 2014 (LF 2014) devrait reconduire l'ensemble des mesures de soutien des prix, les montants alloués aux transferts sociaux seraient en augmentation de 106,8 milliards de dinars par rapport à 2013. Le projet de loi de finances 2014 prévoit des transferts sociaux d'un montant global de 1603,1 milliards de dinars contre 1496,3 milliards en 2013. L'approche des experts Pour Mustapha Mekkideche, vice-président du Cnes qui après avoir brossé un tableau de la situation économique a pointé du doigt les dysfonctionnements et s'est interrogé sur la volonté de l'Etat d'arrêter la dé-industrialisation. Pour lui, les mesures prises aux frontières pour réduire l'hémorragie des hydrocarbures auront un effet limité. Enfin, il insiste sur la formation de qualité étape incontournable de tout réel développement. Abdelhak Lamiri a abondé dans son sens et a insisté sur la nécessité de favoriser l'économie de la connaissance en créant des boîtes à idées...Il faut s'inspirer des pays comme la Malaisie, la Chine qui font participer leur société civile dans les choix du futur. Pour ma part, j'ai insisté aussi sur le rôle du système éducatif dans la formation des hommes. Il est vrai que depuis longtemps l'université n'est plus consultée. On ne s'occupe d'elle qu'au début des rentrées universitaires. Il en est de même de la formation professionnelle qui souffre d'un déficit d'image du fait d'un cloisonnement drastique qui fait que ceux qui sont orientés vers la formation professionnelle vivent cela comme un échec de leur vie. Comment tourner le dos à la rente, il nous faut une stratégie multidimensionnelle qui doit nous permettre de préparer les transitions économiques énergétiques mais aussi de l'économie de la connaissance superstructure de tout développement endogène. A titre d'exemple, s'agissant de la stratégie énergétique que monsieur le Premier ministre a citée, l'objectif est d'arriver à la mise en place d'un modèle énergétique qui permettra de freiner notre consommation d'énergies fossiles, fera la chasse au gaspillage et optimisera les énergies renouvelables, notamment le solaire et l'éolien, la géothermie fortement disponibles dans notre pays dans le cadre d'un Plan Marshall créateur de richesses. Que sera l'Algérie en 2030? Un modèle énergétique nous permettra de définir avec clarté notre mode et rythme de consommation, avec une projection dans l'avenir. Quelle sera la population à cet horizon? Quel sera son rythme de consommation d'électricité et de gaz à cette échéance? Est-ce qu'il y aura plus de véhicules? Combien il y aura d'appartements?...etc. Une fois que nous aurons défini tout cela nous allons faire des évaluations de nos richesses et ressources, notamment en matière d'énergies fossiles. C'est seulement là que nous pourrons commencer à construire ce modèle de consommation énergétique. Nous pouvons, tout de même, procéder dès maintenant à encourager la création de start-up spécialisées dans les énergies vertes. Le chantier sur la vérité des prix de l'électricité, du gaz de l'essence, au prix réel peut amener les citoyens à réduire leur consommation d'énergie. Les subventions uniquement aux nécessiteux. Construire des logements équipés, à titre d'exemple, de chauffe-eaux solaires est à notre portée étant entendu que chaque calorie épargnée est une calorie disponible pour les générations futures. Enfin et encore une fois, les gaz de schiste ne doivent pas nous inciter à la paresse. Leur exploitation dans une dizaine d'années sera possible si la technologie est mâture, respecte l'environnement, ne compromet pas le potentiel hydrique.. Il est nécessaire aussi de développer des transports en commun pour réduire la consommation de carburant. Il faut enfin et surtout inculquer la culture de consommer des énergies vertes chez nos citoyens. Le développement des énergies renouvelables est susceptible de réduire le chômage et de créer de l'emploi, des milliers d'emplois peuvent être créés à court et moyen terme. Les pouvoirs publics doivent introduire l'ensemble des métiers liés aux énergies renouvelables et à l'économie verte en général dans les nomenclatures des activités proposées par les dispositifs d'appui à la création de l'emploi comme l'Ansej. Aujourd'hui plus que jamais, l'adéquation entre le «produit» de l'université et les exigences des secteurs économiques et sociaux en termes de ressources humaines qualifiées est d'actualité. Le groupe de réflexion Notre Algérie Bâtie sur de Nouvelles Idées (Nabni), invité à la tripartite propose une révolution dans la gouvernance publique. Abdelkrim Boudraâ porte-parole de Nabni parle de franchise des débats. Pointant du doigt la nécessité de tourner le dos à la situation actuelle car le modèle est intenable à court-terme. Le rôle de l'Etat étant «de réguler et de créer les conditions de la richesse». Plus que les interventions des acteurs habituels des tripartites, il est nécessaire de rompre avec le modèle de croissance portée par les seules dépenses publiques. IL faut aller vers la transparence dans la gestion des dépenses publiques et oser des mesures audacieuses pour couper les cordons de la rente pétrolière. Il est urgent d'engager l'Algérie dans la voie du sevrage aux hydrocarbures. Il est impératif «d'inventer un nouveau modèle de croissance qui ne dépende plus des hydrocarbures» car «la fenêtre d'opportunités» qui s'offre aujourd'hui au pays «pourrait se refermer». Pour donner force à ces mesures, Nabni propose un saupoudrage économique à la révision constitutionnelle en gestation en y inscrivant, entre autres, une «règle d'or budgétaire qui limite progressivement la part du budget de l'Etat provenant de la fiscalité des hydrocarbures, jusqu'à la ramener à zéro en 20 ans». Nabni propose ensuite qu'une partie significative des recettes en devises provenant des exportations d'hydrocarbures (20% dans une première phase) soit investie dans la création d'un fonds d'investissement international. Nabni propose d'instituer au niveau du Premier ministère ou de la présidence de la République, «une unité de coordination et de mise en oeuvre stratégique des politiques économiques», une sorte de task force qui sera «ouverte à la concertation continue avec les partenaires sociaux et la société civile» afin «d'identifier les blocages et de proposer des arbitrages ou des ajustements à l'Exécutif». (2) Avons-nous des capitaines d'industrie réellement soucieux de sédimenter un savoir-faire local et non tenter de faire «comme tout le monde», est cela dont nous avons besoin? Nous avons besoin de capitaines d'industrie qui créent de la richesse in situ. Il ne faut pas de mon point de vue donner en pâture le pays au néolibéralisme sauvage et en faire un bazar. Méditons la sentence de Percy Barnevick ancien président d'ABB: «Je définirais la mondialisation comme la liberté pour mon groupe d'investir où il veut, le temps qu'il veut, pour produire ce qu'il veut, en s'approvisionnant et en vendant où il veut, et en ayant à supporter le moins de contraintes possibles en matière de droit du travail et de conventions sociales». Cette tripartite, à bien des égards, consacre une rupture par la transparence affichée. Il faut espérer que la prochaine tripartite consacrera le système éducatif comme acteur incontournable. C'est à lui qu'échoit la formation des Algériennes et des Algériens seuls à même de prendre en charge le destin de ce pays quand la rente ne sera plus qu'un souvenir 1.http://www.pmm.qc.ca/salami/francais/mondial.html 2.http://www.maghrebemergent. info/economie/algerie/item/30507-algerie-nabni-veut-des-mesures-aussi-audacieuses-que-la-nationalisation-des-hydrocarbures-en-1971.html