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"Titeuf vaut bien des explications d'adultes..."
ENTRETIEN AVEC LE CELÈBRE BEDEISTE SUISSE ZEP
Publié dans L'Expression le 12 - 10 - 2013


«Je m'inspire peu de mes enfants»
De son vrai nom Philippe Chappuis, il est le père du fabuleux destin de Titeuf, ce personnage aussi bien déluré que farfelu que l'on trouve dans la BD mais qui existe aussi à la télé et au cinéma et dont la BD en a fait une icône incontournable et indétronable à tel point que ses albums au Fibda se sont arrachés comme des petits pains. Nous l'avons constaté par nous-mêmes, en effet, mercredi dernier où la star Zep (nom d'artiste inventé en hommage au groupe Led Zeppelin qui est son groupe préféré) était invité à dédicacer ses oeuvres devant un public curieux et admiratif, véritable attraction du Fibda 2013. Une rencontre inopinée avec cet homme humble dès son arrivé à Riadh El Feth et hop, nous le chopons pour un sympathique entretien dans lequel l'artiste du crayon et des couleurs nous livre ses sentiments et décortique pour nous le secret de longévité de l'immense succès de Titeuf (un million d'albums vendus fin 1998, 16 millions traduits en 25 langues). 20 ans déjà...
L'Expression: Cela fait quoi d'être célèbre et connu depuis plus de 20 ans maintenant, notamment grâce à ce petit personnage enfantin affûté délirant et malin?
Philippe Chappuis: Cela a mis un certain temps à venir, mais pour moi ce qui est étrange est d'être avec ce personnage depuis 20 ans, en fait. Quand je l'ai inventé, j'imaginais que cela allait durer quelques semaines ou quelques mois et je me retrouve toujours avec ce personnage 20 ans après.
Comment est né ce personnage?
En fait, mon atelier donnait sur une cour d'école, je regardais les enfants et tout à coup je me suis retrouvé comme dans un voyage dans le temps, comme si j'étais avec eux et je me suis dit que quelque chose se passait et que je n'avais jamais vécu avant. En écrivant ces histoires j'avais vraiment l'impression de retrouver la vérité de ce que je vivais quand j'étais enfant alors j'ai commencé à écrire ces histoires en bande dessinée autour de l'enfance, écrites sous forme de pages en story board dessinées de manière assez rudimentaire pour noter des idées et j'en ai fait 20. Je n'avais jamais eu assez de facilité à écrire des histoires qu'avec ce personnage donc je les ai proposées à divers éditeurs. Au début, personne n'en voulais et puis il y en a un qui m'a appelé, Jean-Claude Camano, qui a tiré un journal de sa pile (un petit journal de bandes dessinées à Genève qui avait publié quelques pages de mon travail) et voilà le premier album qui sort comme ça, un peu entre les gouttes. Il était destiné à sortir nulle part. Et voilà, 20 ans après Titeuf est toujours là. Il est traduit dans beaucoup de pays. C'est génial. C'est formidable. Il y eut un dessin animé, un long métrage réalisé par moi-même. J'ai participé aussi à l'écriture de la série télé...
Pourquoi cette envie d'en faire un film de cinéma?
Pour la série télé, il fallait tout arrêter pour faire ça pendant deux ans, et moi je n'ai jamais eu envie d'arrêter de faire des livres. J'ai laissé faire. Par contre, quand on m'a proposé de faire un film au cinéma, je me suis dit que ça, on allait me le proposer qu'une seule fois dans ma vie, donc ce serait dommage de ne pas le faire. J'aurai regretté de l'avoir fait, mais j'aurai regretté beaucoup plus de dire non. Donc je l'ai fait et c'était une belle expérience. Effectivement, pendant pratiquement deux ans j'ai été englouti par le film.
Un film d'animation. Ce genre cinématographique a pris de nos jours de l'ampleur, car cela parle aussi aux adultes donc le public s'élargit..
C'est par période. Oui, il faut toujours qu'il y ait de nouvelles écritures. C'est comme dans Titeuf. Au départ Titeuf était destiné à un public d'adultes et petit à petit, après deux ou trois albums, il y a tout un public d'enfants qui est venu s'identifier au personnage. Au départ, j'imaginais des gens de mon âge qui auraient le plaisir de retrouver leur enfance. A l'époque, j'avais 25 ans. J'ai 45 aujourd'hui, entre-temps j'ai eu des enfants moi-même qui ont maintenant l'âge de Titeuf.
Si je peux me permettre, vous en avez cinq. Vous aimez donc autant les enfants? Vous vous inspirez un peu des vôtres?
J'en ai trois et mon épouse en a deux. Oui, j'aime bien les enfants. Ce qui m'inspire c'est toujours quelque chose d'assez intérieur en fait. Quand je dessine les pages de Titeuf, c'est moi qui raconte mon histoire, qui est une fiction. Ce qui arrive à Titeuf ne m'est pas arrivé. Je n'ai pas eu une enfance qui a duré aussi longtemps que ça, mais je me mêle dans la vie de ce personnage. C'est pour moi un moyen...Je pense que j'ai besoin de lui pour raconter des choses autour de l'enfance, mais j'ai l'impression que je m'inspire, assez peu de mes enfants. Parce que mes enfants je les observe et sont formidables, je ne leur prête pas des..(rires) des intentions comme celles de Titeuf, mais j'ai besoin d'être à l'intérieur du personnage, quelque chose qui est direct, à mon avis, plus vrai sur l'enfance car quand on devient adulte, on a toujours un regard nostalgique sur l'enfance, on confond entre l'innocence et la réalité. Quand on est enfant, on est innocent de tout alors on a envie de tester beaucoup de choses. On a soif de grandir...
On dit souvent que la vérité sort de la bouche des enfants, c'est ce qui rend sans doute votre personnage le plus attachant et drôle qu'il soit dans l'univers de la BD...
On a besoin de ça, besoin de ce genre de personnage. Quand on est adulte on accepte beaucoup de choses. On accepte des choses qui ne sont pas très normales. Dans notre manière de fonctionner, on devient plus raisonnable. Quand on est enfant on met le doigt sur tout ce qui ne fonctionne pas. Parfois, ce qui peut dire Titeuf vaut bien des explications d'adulte..
Une dernière question. Le dessin a été une révélation pour vous, je veux dire raconter par le dessin et l'image. N'avez-vous jamais songé à l'écriture littéraire?
Ça viendra peut-être, mais j'aime vraiment dessiner. Raconter par le dessin. J'ai commencé à faire de la BD avant de savoir écrire. Comme sont souvent les enfants. Je recopiais des bandes dessinées que mes parents avaient à la maison. Et puis ça me faisais rêver à l'idée de faire des livres quand je serai grand. Voilà, aujourd'hui j'en fais. Je fais un métier que je rêvais de faire quand j'étais enfant, adapté à l'homme que je suis devenu. C'est un métier qui bouge toujours avec moi. Là, je viens de sortir un livre qui est un album réaliste qui raconte une histoire plutôt dramatique. Je fais aussi des livres en fonction de ma vie, des choses qui changent, en fonction de mes questionnements. Mais c'est vrai que le personnage de Titeuf me suit depuis le début. J'arrive à le garder et à continuer à raconter des choses avec lui.


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