Le milieu artistique en Algérie restera une jungle et les artistes des animaux errants tant qu'ils ne seront pas «considérés» sur le plan juridique et social. Parler du statut de l'artiste en Algérie nous semble incongru tant la réalité sur le terrain est implacable et les témoignages de la plupart des artistes interrogés unanimes et sans équivoque. Pour Moh KG2, chanteur et animateur et producteur à la Radio Chaîne 3, il ne fait aucun doute, «il n'y a pas de statut de l'artiste en Algérie. Ce dernier est livré à lui-même, c'est pour cela qu'on ne peut pas créer à 100%. L'artiste ici doit faire un deuxième boulot pour subvenir à ses besoins. Il ne peut pas vivre de son art». Moh sait de quoi il parle et de poursuivre: «Tant que le ministère de la Culture et de la Communication ne tranche pas la question du statut de l'artiste, on ne pourra jamais dire que l'artiste algérien a sa place en Algérie. Il faut qu'il tranche au plus vite car on en a assez des paroles. Il faut agir. Il faut vraiment qu'on bouge parce qu'il y a des artistes qui meurent. Je cite Yahia Benmabrouk qui va très mal, toute sa vie il l'a consacrée à l'art. Il y a aussi Mohamed Aziz... Ce statut reste dans le flou. Je suis au courant des lois en cours mais on n'a rien vu ! Si les artistes ne se réunissent plus, c'est qu'ils n'y croient plus. L'artiste algérien ne croit plus !» Et Arezki Larbi, plasticien, de confier : «La situation de l'artiste en Algérie est bizarre. L'artiste est perdu. Il n'a pas de cadre où il peut vivre pleinement. Il n'y a pas de syndicat. Rien n'est réglé. Chacun et n'importe qui représente l'Algérie à l'étranger à tel point que l'Algérie a perdu ses valeurs. Or, doter un artiste d'un statut, c'est d'abord le reconnaître en tant que tel. C'est aussi le reconnaître dans ses droits et sa dignité, lui assurer la couverture sociale et la liberté de création, ainsi que la préservation de ses oeuvres morales en créant des espaces adéquats... chose qui n'existe pas...» Deux avis seulement mais qui suffisent à dire et à traduire tout le malaise, le désarroi et le fossé dans lequel est jeté l'artiste aujourd'hui, 40 ans après l'indépendance. Au jour d'aujourd'hui, parler du statut de l'artiste suppose en effet de définir d'abord qui est artiste et qui ne l'est pas, du chanteur de cabaret par exemple et de l'animateur de spectacle. Ensuite, défricher ce terrain miné qui gravite autour à savoir «les métiers du spectacle». A ce sujet, M.Hakim Taoussar, directeur de l'Onda, nous éclaire : «Actuellement, il y a une confusion totale dans ce domaine. Ici, le producteur, c'est lui le diffuseur, le tourneur de spectacle... Il y a un projet de décret qui organise les métiers du spectacle visant à séparer juridiquement selon des paramètres bien précis ces différents métiers du spectacle en donnant par exemple des agréments pour le festival culturel. Dorénavant, les festivals seront régis par des agréments ou autorisations qui n'existaient pas avant. Il y a des aspects de contrôle aussi pour que chacun se limite à son travail». A propos des festivals, notons l'ordonnance promulguée, en septembre dernier, par le chef du gouvernement, attirant l'attention sur l'organisation anarchique et improvisée de telles rencontres culturelles. Aussi, y est-il mis bon ordre par un certain nombre de décisions prises à cet effet. Par ailleurs, et dans ce même ordre d'idées, la même ordonnance rappelle «qu'aucun festival culturel international ne peut être organisé sans qu'il soit précédé d'un festival national dans la même discipline». D'autre part, la même ordonnance exhorte à multiplier les festivals culturels locaux dans la perspective de permettre l'éclosion de nouveaux talents. Certes, mais cela remet de façon plus incisive la question du statut de l'artiste. Ainsi, combien d'artistes continuent à travailler dans la clandestinité, dans le noir, et à animer de sordides mariages dans la précarité la plus totale, c'est-à-dire pour un cachet des plus minables. Une relation employeur-employé que compte régler incessamment le ministère de la Culture à en croire le directeur de l'Onda qui affirme qu'un contrat de travail spécifique aux artistes sera mis en vigueur entre l'artiste et l'employeur privé ou public afin de déterminer les particularités de la relation de travail ainsi que les sanctions liées au non-respect de l'engagement contractuel et les clauses y afférentes. Marginalisés, brocardés et face aux difficultés économiques et sociales auxquelles les artistes sont confrontés quotidiennement, beaucoup ont pris la poudre d'escampette à la recherche de cieux plus cléments. D'autres résignés, changent de métier ou attendent carrément que leur fin arrive et que les hommages posthumes s'ensuivent, avec des primes qui profiteront à leurs familles, pourquoi pas, exception faite à ces hommages rendus à certains artistes à l'aune de leur déchéance, autrement dit de leur vivant... Mais qu'à cela ne tienne. Persuadés que la recommandation relative à la condition de l'artiste adoptée à Belgrade par l'Unesco en 1980 ainsi que la déclaration finale du congrès mondial de l'Unesco sur la condition de l'artiste, adoptée à Paris en 1997, constituent une base fondamentale pour la mise en place d'un cadre de réflexion visant à organiser et à structurer la profession, un groupe d'artistes se sont réunis à Alger les 27 et 28 avril 2003 au siège et avec le soutien de l'Ugta pour une meilleure prise en charge de leur revendication. L'instigateur de cette opération est Rachid Doufène qui a réussi à réunir pour rappel, la FIA (Fédération internationale des acteurs), la FMI (Fédération internationale de musiciens), le Syndicat français des artistes interprètes, le Syndicat national des artistes musiciens de France et l'Association internationale zone franche. Dans leur «Déclaration d'Alger», il a été décidé de créer un syndicat national des artistes en Algérie dès l'autonome 2003. Mais comme cela demande du temps, beaucoup de rencontres et de concertations interwilayas et surtout énormément d'argent, c'est finalement le syndicat des artistes de la wilaya d'Alger qui a simplement été élu non sans quelques frictions entre les artistes, le 24 novembre avec comme secrétaire général Amar Laïdoun et Rachid Doufène comme président. Il s'agit plus précisément d'un «comité préparatoire du syndicat des artistes» en attendant «l'élection, nous assure-t-on, du syndicat national d'ici au mois de mai». Ce même comité a annoncé le 11 mars dernier la création d'un fonds de solidarité au profit des artistes. Affilié à l'Ugta, ce dernier sera géré exclusivement par le syndicat national des artistes. «Il s'agit d'une caisse de prévention rapide de solidarité sociale non pas administrative, c'est-à-dire gérée par des lois et des règlements», confie Rachid Aït-Ali, représentant de l'Ugta, et à M. Laïdoun Amar de préciser : «On veut aider l'artiste dans ses besoins sociaux. On lance un appel à toute personne ou entreprise privée ou étatique susceptible de nous aider dans cette mission au profit des artistes». Mais combien d'entre eux seront véritablement aidés? Sérieusement, comment ce bureau qui a mis près de quatre mois pour débloquer sa ligne de téléphone, malgré le payement de sa facture, pourra-t-il débloquer des sommes d'argent pour «subvenir» aux besoins sociaux de ces nombreux artistes acculés au «misérabilisme». Une impression qui en tout cas, n'a cessé de planer tout au long de la rencontre de ce jour-là ! Un exemple effarant : Mohamed Ghadban, 46 ans, et toujours célibataire, est un ancien élève de l'école des Beaux-Arts d'Alger (année 1974). Il a à son actif plusieurs expositions à l'étranger (France, Italie, Espagne, Londres). En 1993, il a réalisé à Francfort une fresque qu'il baptisa «l'Image de l'Algérie»... mais la roue tourne et point d'assurance, «actuellement je suis jeté dans un centre familial de société à Dély Ibrahim. Je suis SDF. J'ai adressé pas mal de lettres au niveau du ministère de la Culture, au chef du gouvernement et même un dossier au Président mais je n'ai reçu aucune réponse. J'ai rendez-vous avec Laïdoun Amar, le secrétaire général du syndicat des artistes. Peut-être trouverai-je quelques solutions avec ce fonds de solidarité car à 46 ans, toujours célibataire, et sans parents, où aller ?», se demande désespéré cet artiste. Mohamed Ghodban semble caresser un grand espoir dans ce comité préparatoire du syndicat des artistes. Aujourd'hui pour survivre, Mohamed est obligé de collectionner les petits boulots. «J'ai travaillé comme garçon de café pour 200 DA afin de pouvoir m'acheter le matériel pour peindre. Ne serait-ce que le pinceau !», avoue-t-il. Triste réalité de l'artiste en Algérie. N'étant pas contre la coopération avec le ministère de la Culture et de la Communication, M.Rachid Doufène y pose tout de même un regard suspect voire de «réserve» car, dit-il, «je ne veux pas que le ministère de la Culture, constitué au demeurant de fonctionnaires, nous impose son statut. L'artiste n'a pas besoin de tuteur. Il est libre !». Quoi qu'il en soit, le temps fera ses preuves. Mais les artistes pourront-ils attendre, eux? Et surtout n'ont-ils pas assez attendus? Une lueur d'espoir pointe à l'horizon pour nos artistes?