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« C'est un honneur de chanter l'Emir Abdelkader »
Nassima Chabane (Chanteuse de hawzi)
Publié dans El Watan le 22 - 06 - 2009

Nassima Chabane, la « rose pourpre » de Blida, la grande chanteuse de musique arabo-andalouse vient d'éditer un nouvel album Des racianes et des chants.
Vous venez de sortir un nouvel album en France Des Racines et des chants que vous envisagez de mettre sur le marché prochainement. Vous rendez hommage dans ce CD à de grands maîtres de la chanson algérienne dans toute la diversité et la richesse de ses genres. Le besoin de ressourcement est fortement présent dans votre carrière artistique...
Il ne s'agissait pas seulement de rendre hommage à nos artistes musiciens et poètes comme Slimane Azem (Disque d'or en 1970), Cheikh El Hasnaoui, El Kebabti, Mahboub Bati et autres, mais de mettre en avant nos racines culturelles si riches. Des Racines et des chants propose un voyage vers l'autre rive (sud) de la Méditerranée grâce à cet oiseau voyageur chargé d'aller sur le sol de nos ancêtres. Je revisite les racines musicales et poétiques de ma tendre enfance et de ma jeunesse aux sonorités et couleurs des 4 coins d'Algérie, le Sahara avec le gumbri Hdjarte Bladi (au hit parade), Maluf, La Kabylie en duo avec Idir et les soirs parfumés d'Alger et de la luxuriante Mitidja à travers mes chansons écrites et composées spécialement pour cet album. Pour moi, mon nouvel album Des Racines et des chants est d'abord et avant tout un travail de mémoire collective. Mais j'ai aussi voulu rappeler que les artistes que je chante ici, sont les premiers à avoir introduit les sonorités musicales arabo-berbères dans la culture française. Ces artistes vivaient principalement en France, où se sont dessinés les premiers contours de la chanson maghrébine. Par la suite, enfants et petits enfants de la 1re, 2e et 3e générations d'immigrés ont su répercuter en berbère, en arabe, en algérien populaire ou en français cette identité plurielle si riche forgée dans la nostalgie et la douleur de l'éloignement du pays.
Après une incursion dans la chanson kabyle (cette fois-ci vous chantez en duo avec Idir une chanson de Slimane Azem, Ayafroukh Ifireless, (l'Hirondelle) vous interprétez dans ce nouvel album une chanson en français que vous dédiez au combat des femmes (Femmes de tous les pays et de toutes les couleurs). Vous êtes surtout connue comme une artiste versée dans le genre classique. Pourquoi cet intérêt aujourd'hui pour la chanson engagée ?
Chanter le genre classique ne veut pas dire être détachée de la réalité du monde. Le classique est aussi un engagement, ne serait-ce que sur le plan culturel, car nous défendons un patrimoine, une histoire qui tend à être oubliée. Une histoire qui raconte l'immensité de notre civilisation arabo-musulmane. Nous perpétuons sa mémoire, nous la portons sur le-devant des scènes les plus prestigieuses là où notre histoire n'est pas connue. Et le fait de parler d'autre chose ne signifie pas que j'ai changé le fusil d'épaule. Aujourd'hui, il est devenu urgent de dire haut et fort que le monde est en danger si l'on n'y prend pas garde. J'interviens d'une certaine manière dans l'actualité immédiate parce que la situation est inquiétante et qu'il faut tirer la sonnette d'alarme.
Vous avez été invitée les 16 et 17 mai dernier pour donner des concerts au château d'Ambroise où était détenu l'Emir Abdelkader. Que représente pour vous cet événement où la musique s'invite dans un haut lieu de l'histoire ? La réconciliation entre Paris et Alger passe-t-elle aussi par la musique ?
Pour moi, en tant qu'Algérienne, il était important de marquer de ma présence la continuité historique algérienne au moins sur les plans culturel et humain. N'oublions pas que l'Emir Abdelkader était un homme d'une grande culture, un géant des arts et des lettres, un humaniste et un poète magnifique. Je me situe en quelque sorte dans la continuité de son œuvre. Je partage avec lui le sentiment de la douleur de la séparation, de l'éloignement de son cher pays, « l'Algérie ». J'ai en effet mis en musique, déclamé et chanté ses textes sur scène mais aussi dans mon album création Voie soufie, voix d'amour paru en 2006 chez Ima/Harmonia Mundi. Quant à la dimension politique, je la laisse aux commentateurs qui veulent donner des interprétations politiques à toutes les rencontres humaines et à toutes les expériences artistiques. D'ailleurs, en tant qu'artiste, je ne perçois aucune nécessité à la réconciliation lorsque l'art n'est à l'origine d'aucune fracture, d'aucune mésentente qui auraient besoin de « réparation » et de réconciliation de deux « bords ». Si le but des organisateurs était de créer les conditions de meilleures relations entre deux pays, alors c'est tant mieux. La musique aura au moins servi à une noble cause que la politique était incapable de faire.
Après un long parcours dans la musique andalouse, vous avez fait des tentatives réussies dans la chanson enfantine, kabyle, populaire et tout dernièrement française. Nassima cherche-t-elle sa voie (x) ?
Fallait-il que je me contente de n'être que la représentante d'un seul genre toute une vie ? Il faut savoir qu'un artiste est libre de créer, d'innover, de se remettre en question, de varier. L'artiste dans toute son acception est celui qui n'a peur d'aucun défi et surtout qui n'a pas peur de tenter des choses lorsqu'il sent qu'il doit s'accomplir et découvrir les limites de ses possibilités.Ainsi, au lieu de parler de voie ou de voix, je dirais qu'il est plus question de se renouveler et de s'ouvrir de nouvelles frontières. C'est cela le parcours d'un artiste qui n'est pas frileux et qui ose prendre des risques.
Vous êtes invitée un peu partout dans le monde pour des concerts. Vous revenez d'Espagne et vous avez chanté récemment au Pakistan dans le cadre d'une rencontre sur la chanson soufie mais on vous voit très peu en Algérie. Pourquoi ?
L'Espagne est la matrice de l'art que je chéris par dessus tout, alors chaque fois que j'ai l'occasion de m'y produire, je me sens encore plus proche de l'art arabo-andalou de mes ancêtres. Quant au Pakistan, je m'y suis effectivement produite, notamment à Islamabad, Lahore, Multâne et dans d'autres villes à l'invitation des organisateurs du Festival international des musiques mystiques et soufies et j'ai été récompensée par un diplôme en tant que représentante de l'Algérie. Ils m'ont accueillie, ainsi que mes musiciens, avec faste et j'ai eu l'occasion de faire la rencontre de maîtres éminents du genre, venus des 4 coins d'Asie et du monde. Il faut savoir que la chanson soufie a un écho qui dépasse largement le cercle du monde musulman. Et le Pakistan peut être considéré comme la Mecque de la musique soufie. D'ailleurs, un artiste pakistanais comme le défunt Nusrat Fateh Ali Khan était une véritable star mondiale qui, lorsqu'il se produisait quelque part dans le monde, déplaçait des foules et créait l'événement. Il était le plus grand maître du Qawwali, une des branches de la musique soufie. C'était un honneur pour moi d'incarner la tradition soufie algérienne et de chanter les textes d'un de nos plus grands représentants, l'Emir Abdelkader.
Etes-vous invitée à vous produire au prochain Festival panafricain d'Alger ?
Je n'ai pour l'instant reçu aucune invitation tout comme, me semble-t-il, la plupart des artistes algériens installés à l'étranger. J'ai le sentiment que l'artiste algérienne que je suis est ignorée par son propre pays. A titre d'exemple, je n'ai toujours pas compris à ce jour pourquoi je n'ai pas été sollicitée pour le Festival de la musique arabo-andalouse. Pourtant, l'essentiel de ma carrière s'est fait en Algérie et je reste en France et ailleurs la représentante de la tradition musicale arabo-andalouse algérienne. Et on ne peut même pas m'accuser d'amateurisme, quand on sait que mon parcours s'est fait sous la houlette des plus grands maîtres du genre, tels que Dahmane Benachour et Sadek Bedjaoui. Quand je pense que j'ai passé une partie de ma vie à représenter la culture de mon pays aux quatre coins de la planète, je me dis que quelque chose ne tourne plus rond dans le domaine de la culture en Algérie. D'ailleurs, je ne crois pas me tromper de beaucoup en disant que nous tous, artistes algériens, nous ne sommes pas les bienvenus dans notre propre pays alors que dans un même temps, nous sommes invités partout à l'étranger pour représenter l'Algérie, notre pays. Par ailleurs, faut-il rappeler que les artistes étrangers sont ramenés en Algérie à prix d'or, alors que dans beaucoup de cas, ce ne sont pas les meilleurs artistes qui sont sollicités, qu'ils viennent d'Orient ou d'Occident. Décidément, l'artiste algérien a un meilleur statut et une vraie reconnaissance sous d'autres cieux alors qu'il n'est pas valorisé dans son propre pays ! Les artistes algériens ont besoin d'être rassurés sur leur devenir et celui de la culture algérienne qui passent par la mobilisation de toutes les potentialités du pays établies en Algérie ou à l'étranger. Les engagements des responsables de la culture dans notre pays, avec à leur tête madame la ministre Mme Khalida Toumi, qui s'investit à fond pour promouvoir la culture algérienne dans ses différentes facettes et pour donner à l'artiste algérien un statut digne qui lui permettra à son tour de donner le meilleur de lui-même en contribuant, chacun dans son domaine, au rayonnement de la culture algérienne, doivent être suivis d'effet pour le plus grand bénéficie de la culture dans notre pays. Les chantiers qui attendent ce secteur sont énormes et les défis qui interpellent ses responsables tout aussi considérables. L'investissement dans la formation des artistes reste la clé de sol du succès de ce secteur. Nos conservatoires, nos instituts d'art dramatique et la promotion des autres formes d'expression culturelle et artistique nécessitent des moyens à la mesure de l'ambition nouvelle que s'est fixée le secteur de la culture qui rompt ave la folklorisation du champ artistique en général. D'ailleurs, pour vous faire une idée plus précise, je vous rappelle que la chanson algérienne qui a été la plus « vendue » dans le monde, celle que l'on peut considérer comme l'ambassadrice de la chanson populaire algérienne et qui a eu un succès commercial inégalé c'est Ya Rayeh de Dahmane El Harrachi. C'est dire que l'on a encore besoin de nos anciens pour honorer notre chanson et notre culture. Des anciens qui, comme ceux d'aujourd'hui, n'ont jamais été soutenus par les pouvoirs publics. Décidément, l'histoire est un éternel recommencement.....
Vos projets ?
Beaucoup de surprises. Mais il est trop tôt pour en parler ici. Une certitude : mon public ne sera pas déçu.


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