«Pourvu que je ne parle ni de l'autorité, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni de l'opéra, ni des autres spectacles, je puis tout imprimer librement, sous la direction, néanmoins, de deux ou trois censeurs.»Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais «Il faut me croire, M.le Président, qu'il n'est pas aisé d'exercer mon métier dans les conditions actuelles. Avant, c'était plus facile: on pouvait reprendre les mensonges officiels sans risquer d'être désavoués par la concurrence. Il n'y avait pas de télés privées et encore moins Internet qui coupe l'herbe sous les pieds de tous ceux qui veulent, soit avoir le «scoop» qui va rendre célèbre soit avoir la primeur d'une analyse fine qui sera reprise par tous les blogueurs sans inspiration. Mais en aucun cas, je n'ai voulu ni porter atteinte ni diffamer la respectable personne qui ignorait jusqu'ici jusqu'à mon existence. Je suis sûr qu'il ne doit s'agir que d'une malheureuse méprise ou d'une interprétation dictée par les circonstances politiques actuelles. Loin de moi l'idée de songer à porter atteinte à quelqu'un qui a passé sa vie à défendre les constantes de la nation ni à chercher à flétrir les nobles institutions qui sont les nôtres. Vous pensez bien qu'avec le niveau de vie qui est le mien, il ne me viendrait pas l'absurde prétention de m'attaquer à quelqu'un de si haut placé. Je n'ai pas oublié les 4 millions de dinars de dommages et intérêts demandés par un haut fonctionnaire à l'encontre d'un chétif plumitif qui, se faisant l'écho de la rue, a osé critiquer la gestion d'une administration récriée. Vous n'avez qu'à considérer le curriculum vitae d'un journaliste moyen: un jeune homme plein d'ambition, sorti à grand- peine d'une école qui fend l'âme en table, vient à se présenter dans le marché saturé de la presse où il doit d'abord faire ses preuves pour pas cher avant de prétendre à une reconnaissance légitime de son employeur. Qu'il sorte de l'Ecole de journalisme, de Sciences po, de Lettres ou tout simplement de l'école de la vie, le journaliste en herbe, après avoir fait quelques années à droite et à gauche (pour pouvoir manger ou acheter ses cigarettes sans avoir à racketter ses parents fatigués), des petits métiers dans l'assurance (cela en douce!) ou chez un opticien (cela aiguise la vue et rend perspicace), ose, enfin, franchir le seuil d'une rédaction, lieu géométrique où les sortants sont aussi nombreux que les candidats, il est aussitôt présenté à un rédacteur en chef aux tempes grisonnantes, rescapé des années de plomb et rassis, qui le soumettra à des exercices de rédaction rébarbatifs. S'il a un peu de chance, des avantages physiques et des bagages culturels consistants, il lui sera épargné la rubrique des chiens écrasés, les communiqués de gendarmerie sur les fluctuations de la délinquance ou les conférences de presse de chefs de partis rachitiques dont le discours est aussi suivi qu'un bulletin de météo par un grabataire. Mais l'apprenti-journaliste qui fait ses premiers pas, doit aussi (et cela, je suis sûr que les plus anciens que lui l'ont averti) faire preuve de beaucoup de prudence: bien sûr, il n'a plus à éviter les ruelles jadis infestées par des raccourcisseurs de carrière ou les routes secondaires où les faux barrages entretiennent encore un peu de suspense sur la viabilité de la réconciliation nationale, mais il ne doit énoncer que les vérités qui ne font pas trop mal: certes, il peut critiquer la gestion d'une APC vu que les présidents de cette cellule de base n'ont plus autant de prérogatives qu'avant. Il peut sans risque s'attaquer au SG de l'Ugta comme il peut compter les différends entre le ministre de l'Agriculture et celui du Commerce, mais sans plus. D'ailleurs, a-t-il les moyens de vérifier sans se référer à un spécialiste du fonctionnement de la justice, des magouilles qui sentent le naphte ou de la vitesse de transmission des informations sécuritaires? Alors, s'attaquer à des personnes au-dessus de tout soupçon, cela relève de la science-fiction.»