L'installation de la permanence du candidat Bouteflika dans l'ancien siège de l'ex-Amicale relance la polémique. Ouvert dans le milieu des années 80, le dossier hautement sensible des biens de l'Algérie à l'étranger, notamment en France, n'a jamais été totalement épuré. Villas, appartements et bureaux continuent d'échapper au contrôle de l'Etat, malgré leur rétrocession (sur le papier) aux Domaines. Il n'est en fait qu'un propriétaire virtuel sur cette partie du patrimoine immobilier. C'est en 1991 que l'ex-Amicale des Algériens en Europe (AAE) - devenue Union des Algériens en France et en Europe (Uafe) - a commencé à transférer ses biens à l'Etat algérien. L'opération s'est achevée le 4 avril 1994, jour de la signature du procès-verbal entre le président de l'AAE, Arezki Aït Ouazzou, et des représentants de l'Etat, dont le directeur général du Domaine national. Le document stipule que la prise en charge et la sauvegarde de ce patrimoine immobilier incombe désormais à l'Etat qui doit le mettre à la disposition du mouvement associatif de la communauté algérienne installée en France. Parmi les biens que l'ex-AAE détenait directement ou indirectement figuraient le Centre culturel de Paris, le Centre algérien de documentation et d'information (Cadi), qui abritait notamment l'hebdomadaire Actualité de l'immigration qui ne paraît que très épisodiquement depuis, faute de moyens. L'association ne reçoit plus de subventions ni d'aides d'Alger depuis janvier 1991. Le dossier a refait surface à la faveur de l'élection présidentielle. Et les interrogations se multiplient sur les «indus» occupants de ces biens si convoités. Le plus convoité d'entre eux est le petit joyau payé près de 4 millions de Francs en 1987 (deux étages situés au 41, boulevard de Strasbourg à Paris, à deux pas de la gare de l'Est) et qui a longtemps servi de siège à l'ex-Amicale. Aujourd'hui, il abrite la permanence du représentant du président sortant Abdelaziz Bouteflika, en charge de la communauté algérienne à l'étranger. Le FLN-France et les comités de soutien à Ali Benflis y voient un «parti pris» en faveur de celui-ci. Une accusation que réfute l'ambassadeur d'Algérie à Paris, Mohamed Ghoualmi. Selon le premier diplomate algérien en France, ce local fait bien partie des biens rétrocédés par l'ex-Amicale des Algériens en Europe. «Il est occupé, depuis plusieurs années, et à l'instar de nombre d'autres biens de cette catégorie, par une association issue de l'ex-organisation sus-mentionnée», écrit Mohamed Ghoualmi dans un communiqué adressé à quelques correspondants de la presse algérienne à Paris. L'ambassadeur souligne que son institution «n'est pas parvenue à déloger ces associations». «Nous avons intenté des actions en justice contre elles, mais elles refusent de quitter les lieux», nous assure-t-il. Le représentant de l'Algérie dans la capitale française nous confie sa «gêne» à faire appel à la force publique pour faire respecter la décision de justice. Ainsi, que ces associations «les aient mis provisoirement à la disposition de candidats de leur choix (aucun autre candidat que le président sortant n'a installé sa permanence dans un bien similaire, Ndlr), ne peut être un fait imputable - à moins d'une mauvaise foi manifeste - à la représentation diplomatique», précise le communiqué. Le plus surprenant encore est que nos représentants diplomatiques avouent que certains de ces locaux sont occupés par des associations françaises. Il ne s'agit plus alors de «scrupules» à user de la force publique pour en recouvrer la pleine propriété de ces biens. Les huissiers français en font presque leur activité principale. L'argument de l'ambassade ne semble pas convaincre les soutiens d'Ali Benflis. «Puisque l'ambassade ne veut pas utiliser tous les moyens pour récupérer ses biens, elle devrait leur imposer, au moins, une obligation de neutralité dans l'usage qui en est fait», rétorque Zoheir Rouis, un des animateurs des comités de soutien à la candidature du secrétaire général du FLN. Qui occupe en fait le 41, boulevard de Strasbourg? Selon l'ambassadeur de l'Algérie, exhibant un document «interne», les bureaux litigieux sont exploités par une association dénommée «Amicale des Algériens d'Île-de-France». À la permanence d'Amara Benyounès, le généreux maître des lieux a un tout autre nom. Il s'agirait, selon Mourad, une des vigiles de la permanence, de l'Office national des anciens moudjahidine (Onam). «Elle a le droit de faire ce qu'elle veut de son local», répond-il sèchement. La vérité serait ailleurs, à en croire Arezki Aït Ouazzou, qui a gardé un oeil sur le dossier des biens de l'Algérie en France. Selon ce responsable du FLN-France - son nom a été longtemps associé à l'Algérie du parti unique - le bénéficiaire de son ancien siège et un proche du représentant de la campagne d'Abdelaziz Bouteflika à l'étranger. «C'est l'Asept, une association qui se présentait comme activant pour la défense des travailleurs algériens, qui a occupé les lieux depuis 1993. C'était à l'époque où Sid-Ahmed Ghozali était ambassadeur à Paris, explique-t-il. L'Asept est une association fantôme qui n'a jamais activé pour le compte des Algériens. Je mets au défi quiconque qui pourrait m'apporter la preuve du contraire.» Pour appuyer son accusation, il rappelle que l'association n'a jamais produit «ne serait-ce qu'une déclaration» à l'occasion de la célébration des événements parisiens du 17 Octobre 1962. «Je connais le dossier et je suis prêt à affronter des contradicteurs éventuels.» Arezki Aït Ouazzou risque d'en avoir besoin un jour. «Aït Ouazzou a intérêt à se tenir tranquille, car il occupe un logement de l'Etat algérien, nous glisse à l'oreille un diplomate lors de la conférence de presse du 24 mars. Il occupe aussi un local, tout comme un de ses neveux qui non content d'accaparer les lieux nous envoie les factures d'électricité.» Interrogé, l'intéressé déclare occuper un studio appartenant à son ancienne organisation, mais «c'était en échange de la rétrocession de la résidence qu'occupe actuellement l'ambassadeur». «J'ai les documents», précise-t-il. Le futur président de l'Algérie a d'ores et déjà un dossier «ficelé» à traiter en toute urgence. Son traitement, dans la transparence, contribuera à renforcer la crédibilité de l'Etat auprès de la communauté algérienne à l'étranger et à sauver certains biens laissés dans un piteux état.