Contrairement aux précédentes campagnes présidentielles, la ville du Vieux Rocher n'est pas emballée par le scrutin du 9 avril. Entre opportunisme politique à outrance où les permanences sont beaucoup plus intéressées par le qu'en-dira-t-on à Alger et les actions de proximité qui se font presque en catimini, les Constantinois espèrent un déplacement du Président-candidat. ce jour printanier, le mercure dépasse les 20 degrés dans le Vieux Rocher. Le centre-ville souffre, la pollution a atteint son seuil limite. Le taux d'humidité est au moins deux fois supérieur à la normale et la circulation, aussi bien automobile que piétonne, est très dense en cette période de vacances scolaires. Même à pied, en cet après-midi du premier jour de la semaine, il est difficile de se frayer un chemin au centre-ville qui n'arrive plus à contenir tout ce monde sorti dehors pour respirer un bol d'air qui n'est plus frais depuis un lustre. Le ciel est chargé annonçant un orage qui tarde à éclater enveloppant la médina qui étouffe dans une m'laya sombre comme dans Galou Laarab Galou de Mohamed Tahar Fergani. Cela fait près de deux semaines que la campagne pour la présidentielle du 9 avril prochain a été entamée et la veuve de Salah Bey, drapée dans son habit noir, attend toujours d'être courtisée par les six cavaliers, comme aiment les appeler les plus optimistes des observateurs du paysage politique. À ce jour, des six candidats, seul Mohamed Saïd a fait le déplacement constantinois dans l'indifférence totale des populations. Il faut avouer que même le candidat n'est pas allé à leur rencontre. Mohamed Saïd a limité sa présence à une virée au cimetière central pour se recueillir sur la tombe du Cheikh Ibn Badis, fondateur du mouvement réformiste algérien. Louisa Hanoune, Djahid Younsi Moussa Touati Fawzi Rebaïne et Abdelaziz Bouteflika sont toujours attendus par leurs partisans. Timides actions de proximité du FLN Même si le Président sortant n'a pas encore fait le déplacement pour la ville qu'il a le plus visitée depuis sa première investiture en 1999, ses éclaireurs, en la personne du secrétaire général du RND et du président de l'Assemblée populaire nationale, sont déjà passés par là. Mais ces derniers ne sont pas allés à la rencontre de la foule de la ville du Vieux Rocher. Pour certains, cette omission est dictée par le souci d'éviter les conséquences d'une défection de l'assistance. Pour d'autres, afin de réserver les moments de communion à leur seul candidat, Abdelaziz Bouteflika. Ainsi, Ahmed Ouyahia se contentera d'une rencontre éclair dans la ville du Khroub évitant le chef-lieu de wilaya et Abdelaziz Ziari s'exercera à une action corporative étrangère aux traditions du vieux parti. En effet, Abdelaziz Ziari, lui, préférera des rencontres ciblées avec un auditoire corporatiste. Lors d'un séjour de deux jours à Constantine, après une virée dans un café à Sidi Djeliss, il rencontrera, au siège de l'UGTA, non pas les cheminots, les mécanos, les taxis et les enseignants, soit les plus actifs sur le terrain, mais des artisans de la cité. À l'hôtel Cirta, le président de l'APN recevra des avocats de la ville, l'espace d'une discussion autour d'un thé. Une source proche de la mouhafadha du FLN nous précisera que ces activités du parti s'inscrivent dans les actions de proximité que privilégie le parti. Difficile exercice car le FLN s'est toujours considéré comme un parti de masse et non de corporation et élitiste. Une explication est donnée par un universitaire de la ville. “Le président de l'APN est à la tête d'une institution qui a perdu sa crédibilité au sein de pans entiers de la population, une réalité dont d'autres candidats ont pris acte, alors lui demander d'aller convaincre l'autre est un exercice impossible mais obligatoire pour lui car il doit prouver qu'il est faiseur d'opinion dans sa région.” “Je fais du bruit, donc j'existe” Il est 16h30, la foule devient de plus en plus dense au centre-ville. C'est à ce moment de la journée que les banlieusards commencent à quitter la métropole pour céder les lieux aux habitants du Rocher, eux aussi, pris par la frénésie du lèche-trottoirs et des Tawaf. À l'ex-rue Roll, sous ses arcades, il faut jouer des coudes pour avancer. Les corps, en mouvement, sont portés par la musique diabolique que diffusent des haut-parleurs installés à la permanence du Président sortant. Devant le siège, la foule passe sans y jeter le moindre regard. Pourtant, des vitrines des commerces, alignées les unes après les autres, sont dévorées des yeux. Les boutiques de l'intérieur sont, elles aussi, pleines de monde. “D'où ramènent-ils de l'argent pour le dépenser autant ?” réfléchit à haute voix un jeune bourré et branché à son MP3 et à ses fantasmes. Un peu plus loin, toujours au centre-ville, des chants de tout genre fusent de la permanence ouverte au sein des locaux des ex-organisations de masse du FLN, limitrophe du siège de l'UGTA. Dans la ruelle qui y mène, sur laquelle veillent deux policières, une dizaine de véhicules sont stationnés dans une artère interdite au reste des usagers. Le siège du démembrement de la centrale syndicale est vide si ce n'est quelques fonctionnaires retardataires. Même chose pour les locaux de l'Unja et autres unions professionnelles. Des jeunes d'une troupe musicale viennent de terminer leurs répétitions et s'apprêtent à quitter les lieux laissant, à l'intérieur, seules, les personnes chargées de la sono pour mener une campagne par hauts décibels interposés. “Les véhicules stationnés dehors sont ceux des automobilistes détenteurs d'un laisser-stationner et non des sympathisants d'un quelconque candidat”, nous explique un des jeunes de la troupe musicale. C'est la monnaie Constantine des années 2000 avec ses deux faces, interdits d'un côté et dérogation d'un autre. En bas, pas loin de l'hôtel Cirta, le siège du RND est quasi vide, si ce n'est la présence de 4 militants. Même état des lieux, un peu plus haut, au siège e la mouhafada du FLN, au Koudiat. On est loin de ces sièges de partis et même de ces cafés et garages transformés en permanence et animés lors des dernières campagnes, y compris celles des récentes locales. À Constantine, la campagne est en hibernation à l'image de ce jeune, installé seul dans la permanence du candidat Abdelaziz Bouteflika située à l'entrée de la Casbah, perdu dans un décor fait de géants portraits du Président sortant et qui somnolait dans un coin malgré le vacarme d'une artère qui n'a de pareil qu'une ruche d'abeille. Les passants, dans leurs tawaf, sont intéressés, dans ces deux ruelles, la Casbah et l'ex-rue de France, par une nouvelle occupation purement algérienne, le lèche- chaussée au lieu du lèche-vitrine. Ici, les jeunes commerçants de l'informel, chassés la veille par une présence policière permanente, reviennent le lendemain en proposant leurs produits, qu'ils étalent à même la chaussée, aux passants, sous le regard passif des agents de l'ordre qui attendent l'ordre du jour pour charger une énième fois. Le couffin de la ménagère est trois fois plus cher Il est 17h quelques minutes passées. Le marché Boumezzou, situé dans un sous-sol en plein cœur du vieux Cirta, commence à se vider. On fait les dernières courses avant la fermeture d'ici une demi-heure au plus. La mercuriale est toujours en hausse. Les prix des fruits et légumes sont au moins trois fois supérieurs à ceux affichés l'année dernière pour la même période. Tomate à plus de 80 DA, la pomme de terre dépassant les 50 DA et les pommes, comme fruit, à pas moins 140 DA pour le dernier choix. La cherté de la vie est là pour expliquer et dans le détail que l'Etat a beaucoup dépensé pour des projets qui peinent à influer positivement sur la croissance qui devrait, elle, entraîner une amélioration du pouvoir d'achat. À Constantine, l'annonce de la suppression provisoire des marchés de proximité pour construire de nouveaux, qu'on dit plus adaptés, a entraîné vers le haut l'indice des prix. Du coup, “Qsantina n'est plus la ville des zaoualia”, comme nous le répétera Mohamed, un commerçant installé dans ledit marché. Au marché Boumezzou, dans cet underground de la cité millénaire, le Constantinois découvre les ravages d'un Etat dépensier à la place d'un Etat gestionnaire sur son couffin. Au même moment, là-haut, on le sollicite pour choisir le nouveau gestionnaire en chef de son économie. Les affiches du ministère de l'Intérieur et le business des permanences De l'avis de tous nos interlocuteurs, jamais une campagne n'a été aussi tiède. Même les affiches des candidats se font rares. Exception de celles placardées au centre-ville, notamment celles du Président sortant et de Djahid Younsi, il vous arrive rarement de tomber sur une affiche. En fait, les affiches du ministère de l'Intérieur appelant la population à aller voter sont dix fois plus nombreuses que celles des candidats appelant les Constantinois à leur donner leurs voix. On dirait que l'échéance du 9 avril partagera non pas 6 candidats mais deux, la participation et le boycott. Dans les rédactions locales de la presse, point d'échos de ces querelles, vécues lors des précédentes élections, sur les représentations dans les commissions de surveillance et autres bureaux de vote comme si le dossier du partage de cette partie de la rente est définitivement clos et chacun a accepté son sort. Cette année, point aussi des traditionnels conflits au sein du FLN entre les éternels jeunes responsables de l'Unja et la direction de la mouhafada qui mettaient du sel dans un plat que les Cirtéens n'affectionnent plus. Du coup, du moment que les rôles sont déjà distribués, l'enjeu de ces comités de soutien est de bien figurer, non pas vis-à-vis de l'électorat potentiel, mais des directions algéroises de campagne des candidats, notamment celle du favori, le président sortant. Ainsi, une nouvelle activité vient de naître à Constantine, en marge de cette chute vers la décadence politique. Une nouveauté, on invite plus la presse aux meetings mais à l'inauguration des sièges des permanences. La seule chose qu'attendent les Constantinois, en ces jours de campagne, est l'éventuel déplacement du président sortant, jeudi prochain, mais pas pour les mêmes motivations. Les uns, les plus convaincus des militants et des sympathisants des parties engagées dans les élections, espèrent voir la campagne prendre de l'envol. Les autres attendent les gens d'Alger pour leur présenter le bilan des activités de leurs permanences. Enfin, d'autres commencent déjà à réfléchir de ce qu'ils vont faire de leur journée : “Un véritable calvaire pour une course dont les résultats sont connus d'avance”, nous dira Amel, un médecin installé en banlieue et habitant en ville avant de nous confier que ce jour-là, elle restera chez elle. La coalition islamo-conservatrice a mis sur le carreau l'élite constantinoise Le diagnostic clinique, en attendant les résultats de la présidentielle le 10 avril prochain, est fait par notre médecin. Ici, à Constantine, mêmes les plus proches des 5 autres candidats croient que le Président sortant sera reconduit. “Notre participation est pour la stabilité du pays et de ses institutions”, précisent certains d'entre eux en guise de bémol. “À tort, on parle de la ville de Constantine, comme baromètre. Or, elle ne l'est plus depuis la deuxième moitié des années 1980. La coalition islamo-conservatrice a mis sur le carreau l'élite d'avant-garde de la cité pour ne laisser place qu'à une flore d'opportunistes venus de tous bords”, nous explique un universitaire aujourd'hui à la retraite, y compris de ses rêves d'une Algérie affranchie de l'archaïsme dont il a fait son idéal dans les années 1970 et 1980. La ville aux 7 ponts a déjà vécu au rythme de campagnes électorales moroses mais pas à ce point, nous dit-on. “Même les fameuses disputes à propos de l'affichage anarchique, qui donnaient une certaine vie aux paysage, manquent cette année”, se plaint Abdelhamid, membre d'une des permanences de Abdelaziz Bouteflika. Ce “fou” venu perturber la sérénité électorale ! Toutefois, cette monotonie a été brisée par un fait divers qui s'est déroulé, durant la première semaine, dans la localité toute proche de Zighoud-Youcef.Pour avoir déchiré le portrait d'un des 6 candidats et crié tout haut ce que d'autres pensent tout bas sur la mal-vie, M. J. a été interpellé par les services de sécurité et présenté devant le parquet. Les magistrats, certainement gênés par une telle tournure et ne voulant pas voir la justice traînée dans un non-événement qui n'a pas sa raison d'être si le climat politique était sain, ont présenté l'inculpé à des psychiatres pour déterminer sa responsabilité. Moralité de la chose, M. J., démuni de ses facultés mentales, n'aurait pas dû venir chahuter une vie politique des plus saines à Constantine ! Réalisé par : Mourad KEZZAR