Un auteur qui ne laisse pas indifférent Son prochain livre sortira en février à la fois chez Grasset et aux éditions algériennes Barzakh. Rencontré à ce stand, au Sila, qui vient de fermer ses portes, l'écrivain iconoclaste et imprévisible nous dévoile le contenu de son roman qui traite des printemps arabes tout en faisant le tour d'un siècle dans l'histoire des civilisations. Fidèle à son franc-parler, mais un tantinet apaisé, l'auteur se confie à L'Expression.. L'Expression: De L'hôtel Saint-Georges où vous évoquez la guerre d' Algérie au printemps arabe, il n'y a qu' un pas avec votre livre Printemps, motivé sans doute par l'actualité? Rachid Boudjedra: Ce n'est pas du tout un livre d'actualité. C'est un roman comme tous les romans de Boudjedra. L'hôtel Saint-Georges, c'est l'histoire de deux destins ratés, foutus, un harki et ce Français qui est ébéniste et qui va faire des cercueils en carton pendant trois ans. C'est le destin qui me fascine. Il y a toujours la grande histoire avec un grand H et la petite histoire avec un H minuscule de nos destins minuscules. Je suis fasciné par la maniabilité de l'être humain. L'être humain est menteur. Vous vous faites jolie, vous vous maquillez, mais vous êtes porteuse d'un destin terrible, dur, moi aussi. C'est ça ce qui me turlupine, ce qui est formidable c'est que ce sont toujours des histoires vraies. Le harki, je l'ai rencontré dans une zone montagneuse en France où j'y allais pour donner une conférence. On m'a invité à faire du ski et il était là à la sortie du café, à 7 heures du matin. Il m'a raconté sa vie comme ça. Il s'est déversé sur moi. C'est la même chose pour l'histoire de l'ébéniste français, sa fille est venue ici. Elle a fait le tour de l'Algérie. C'est une femme architecte mariée à un autre architecte, elle m'a raconté l'histoire de son père, comment il était ébéniste compagnon de France, et qui finit ici... De même pour ce roman qui est sous presse, Printemps. On nous a cassé la tête avec le printemps arabe. C'est mon premier roman sur les lesbiennes. Deux filles, une Algérienne de 30 ans, ancienne championne de 400 m haies. Elle est professeur de littérature arabe à l'Université d'Alger, amoureuse d'une Espagnole. Elle voyage. Elle reste deux ans en Chine pour enseigner la littérature amoureuse arabe. Tout est vrai, je n'invente rien. Ce que j'invente c'est la poétique du texte et la structure du texte, ce qui vous embête beaucoup... Vous avez déclaré que vous n'y croyez pas du tout au printemps arabe, vraisemblablement? On a bien vu ce que ça a été. Cela fait longtemps que j'ai pensé à ce roman que j'ai commencé à 'écrire... Je ne suis pas du tout un médium, mais je suis un homme avisé politiquement et un professeur de philosophie.. Vous aviez prévu donc cet échec dudit printemps arabe? Absolument. Fondamentalement. Le premier jour, j'ai dit à mes amis qu'un type qui s'immole ce n'est pas ça la révolution. C'est une autre chose sur le plan marxiste, c'est un changement radical. Sur tous les plans. De façon fondamentale. Parlons d'octobre 1988 que je rattache d'ailleurs à mon histoire. C'est la base de départ de tous ces printemps arabes. Ça a été aussi quelque chose de spontané, à un moment donné. On a appelé ça, en Europe surtout, les émeutes de la faim. C'était les émeutes d'Adidas! Ils ont volé les Adidas, les machines à laver, les cuisinières, les vêtements. Il n'y avait aucun idéal révolutionnaire. Ces jeunes s'amusaient en même temps. Et ça a été une répression terrible. Dans La répudiation, je raconte la torture faite sur des Algériens par des Algériens. Et là c'était terrible. La sécurité militaire a torturé. J'ai écrit un roman là-dessus d'ailleurs en langue arabe qui s'appelle Le désordre des choses. j'ai vécu octobre 1988. On a mis les communistes deux jours avant, en prison. Alors qu'on n'avait rien fait. On avait demandé ni à manifester ni à faire grève. Cela s'appelait le Pags à l'époque. Quand ça a commencé en Egypte et en Tunisie, je voyais que c'était la répétition du fameux accord Sykes-Picot qui a eu lieu en 1917 qui a divisé la Syrie. Le Liban n'existait pas. C'était un peu l'équivalent de Tikjda, une partie montagneuse et les Syriens allaient faire du ski et ils ont cassé la Palestine et on a créé l'Etat d'Israël. C'était prévu en 1917, avec l'accord de la CIA bien évidemment. Et à peu près un siècle plus tard, ils refont ça. Il y a cette volonté de casser le Monde arabe, l'Islam. Ce plan a été réalisé en 1953 par la CIA américaine. Pour revenir à l'histoire de mon livre, il s'agit d'une histoire d'amour entre deux femmes, une Algérienne et une Espagnole. A ma connaissance, elles sont lesbiennes et elles vivent les choses, analysent, voient les révoltes au Moyen-Orient et en Tunisie à travers les unes de journaux et flashs de radio. Il n'y a pas du tout d'analyse. Cela se passe à Alger. Les deux femmes habitent le même immeuble. Elles sont amoureuse, mais à un moment donné cela ne passe plus.. Parce qu'il y a des choses que l'Espagnole ne comprend pas que l'Algérienne comprend, analyse et essaye d'expliquer à l'autre ce qu'elle ne comprend pas. Mais peine perdue. L'Espagnole fini par repartir chez elle. Elle est venue en Algérie car elle est chômeuse. Elle est ingénieur des travaux publics. Elle est venu travailler au métro d'Alger et au bout de quelque temps, elle se rend compte qu'elle est malheureuse en Algérie malgré l'amour et elle s'en va!..Elle étouffe surtout. Elle s'est rendue compte que même si elle partage des choses avec cette femme, il y a des choses qui ne passent pas. Il y a des problèmes liés aux cultures, nés du racisme. Même nous, nous sommes racistes, mais eux, les Occidentaux, ils sont d'ailleurs plus racistes que nous car ils croient qu'ils sont supérieurs à nous. Autour de tout ça j'ai essayé aussi de faire un texte poétique, structuré, compliqué... Vous évoquez l'échec du printemps via le prisme de deux regards féminins. C'est aussi d'une certaine manière, dénoncer en arrière-fond, la situation mitigée de la femme arabe qui continue à revendiquer ses droits à la liberté.. d'aimer notamment puisque le printemps c'est aussi l'appel à la liberté de conscience notamment en Tunisie.. Oui, depuis toujours, depuis mon premier roman. Même dans les pays occidentaux, vous croyez que la femme est libre en Occident? C'est l'homme qui reste le macho. Dans les pays arabes n'en parlons pas. Avez-vous lu un jour dans la presse qu'une femme a égorgé son mari ou cassé la gueule à son époux? Qui en est mort? Le contraire est vrai. y a 3000 femmes qui sont assassinées par leur mari chaque année en France. Je suis féministe, depuis toujours. J'ai une femme et une fille et une seule petite-fille. Je suis entouré de femmes. A cause de ma mère, j'ai commencé à être entouré de femmes... Que pensez-vous de la nouvelle génération d'écrivains algériens? Elle fait son boulot. Elle existe. Elle produit beaucoup. Je trouve cela formidable, mais elle ne fait pas de chef-d'oeuvre, ni de miracle. Et le miracle il n'y en a pas beaucoup dans la littérature algérienne. Il y a eu Mohamed Dib qui a fondé le roman moderne algérien, Kateb Yacine qui a cassé le courant classique de Dib avec son roman Nedjma. C'est un roman anticolonialiste où il n'y a pas d'ailleurs un mot contre le colonialisme ou les Français dans Nedjma. C'est le génie de Nedjma et je pense être le troisième à avoir cassé ces codes. Je suis venu car Kateb Yacine n'a pas pu casser et entrer dans les taboux sexuels. Il n'y a pas un seul baiser dans ses livres, moi il y a des parties pornographiques n'est-ce pas? Eh bien, moi j'ai cassé l'hypocrisie sociale, l'homosexualité dans La répudiation, chose que j'ai reprise dans Journal d'une femme insomniaque... c'est ça la chair de l'écriture, de la poétique du texte, c'est de montrer des destins terribles. La mère de cette fille algérienne dans mon roman Printemps est égorgée. Elle était sage-femme à la clinique de la rue Debussy en 1994. Votre roman se situe à quelle période exactement? En fait, dès 1913 à l'époque de l'attentat de Sarajevo qui a fait que l'Occident commence à attaquer la Turquie et on a décidé de casser le Moyen-Orient et la Première Guerre-mondiale. J'en parle aussi. Ce roman sert à éveiller les consciences et dire aux Occidentaux vous nous racontez des histoires sur notre violence alors que vous avez été pire, violents, violeurs, guerriers. Il n'y a pas pire guerriers que les Français et les Allemands qui se sont entre-tués. Ils ont fait une première guerre qui s'est soldé par huit millions de morts et la Seconde trente-deux millions de morts. Les Allemands sont rentrés en Russie à l'époque de l'Union soviétique. Cette dernière s'est défendue. Quand les Allemands ont attaqué l'Union soviétique, cette dernière n'avait même pas dix pour cent de l'armement nécessaire. Il a été fabriqué pendant les 5 ans et, qui était dans les usines? Les femmes. Car les hommes étaient au front. C'est un monde occidental extrêmement méchant. Le roman se situe entre 1913 à 2013. C'est un siècle de guerres, tout ce qui s'est passé de façon effrayante. Vous avez dû faire beaucoup de recherche pour ce livre? Oui, bien sûr. Pour la presse j'ai regardé sur le Net la presse de l'époque. J'avais besoin surtout des unes des journaux tunisiens, marocains, algériens, français et anglais. Comme le printemps, la question de la liberté et la démocratie me casse les pieds. Quelle démocratie? Aujourd'hui en France, Hollande est à 91% de moins. Il a 9% avec lui, bouge-t-il? Ehna imout Kaci. Moralement, il aurait démissionné immédiatement. Alors il reste. La Bretagne s'est enflammée, encore dans le Sud et il demeure encore. Comme les nôtres. Les hommes politiques sont des pourris. Moi je suis un militant politique. On m'a demandé d'être ministre de la Culture par deux fois, j'ai refusé. C'était la présidence de Zeroual et de Chadli et j'ai refusé. Parce ce que si je rentre dedans je me pourris et je ne veux pas. Même avec toutes mes idées, on tombe dans le piège et on devient un salaud. Alors, ce n'est pas la peine de vous attendre en tant que candidat à la présidentielle? Rire. Pas du tout. Y a mieux que moi pour ça... Pour Yasmina Khadra, qu'en pensez-vous? C'est son droit, c'est dans la Constitution. Même vous, vous pouvez vous présenter. Senghor effectivement est devenu président de la République. Oui, la proposition de Yasmina Khadra est très farfelue quand même parce que Senghor était connu, il était pour l'indépendance du Sénégal et quand il est arrivé, lui, à l'indépendance, c'était un homme mur, connu, célèbre, aimé... Et avec beaucoup d'antécédents politiques alors que là ce n'est pas le même itinéraire mais ceci-dit je n'ai rien contre, bien au contraire...