Le 14 novembre 1913, Marcel Proust publiait à compte d'auteur Du côté de chez Swann, premier volume de A la recherche du temps perdu, chef-d'oeuvre français rapidement traduit à l'étranger et qui fascine toujours les lecteurs à travers le monde. Depuis sa naissance, l'oeuvre de Marcel Proust n'en finit pas d'être assaillie par des hordes de puristes, de snobs ou de fétichistes. Mais cette «cathédrale» de la littérature française a aussi de simples amoureux en France et dans le monde. Né en 1871, Proust lui-même, passionné de littérature anglaise et russe, épris de musique allemande, de peinture italienne et flamande, sensible au «japonisme» et aux ballets russes, était nourri de culture cosmopolite, comme beaucoup de ses contemporains de la Belle époque, avant la guerre de 14-18. Cette culture multiple éclaire l'esthétique de ce grand roman européen. Le narrateur de La Recherche, qui se nomme Marcel, parle par exemple du «côté Dostoïevski de Mme de Sévigné». Il fait aussi référence à Thomas Hardy, l'auteur anglais de Tess d'Uberville. «Ce qui m'impressionne chez Proust», confiait récemment le romancier américain Daniel Mendhelson, «c'est combien il s'intéressait à tout le monde, à la politique, au désir, à la nature... Sa scène, c'était le monde». Pourtant, avant de publier Du côté de chez Swann chez Grasset, il avait été refusé par la NRF, futures éditions Gallimard qui feront ensuite paraître toute son oeuvre. Dire non à Proust «a été la plus grande erreur de la NRF, l'un des regrets, des remords les plus cuisants de ma vie», avouera André Gide, l'un des piliers de la maison, qui lui écrira en 1914 une lettre d'excuses, dont le brouillon sera mis aux enchères le 26 novembre à Paris. Proust et Gallimard décrocheront en 1919 le Goncourt, le plus prestigieux des prix littéraires français, avec le second volume de La Recherche, A l'ombre des jeunes filles en fleurs. Quant à l'éditeur Ollendorf, auquel Marcel Proust avait aussi envoyé son manuscrit, il lui répondra: «Cher ami, je suis peut-être bouché à l'émeri, mais je ne puis comprendre qu'un monsieur puisse employer 30 pages à décrire comment il se tourne et se retourne dans son lit avant de trouver le sommeil». Ce commentaire peu amène portait sur les célèbres premières pages de Swann. Autre temps, l'oeuvre de Proust est aujourd'hui étudiée, traduite et lue dans le monde entier, du Japon aux Etats-Unis en passant par l'Europe, la Turquie ou au Moyen-Orient, en dépit des difficultés à restituer la langue proustienne, notamment en arabe ou en japonais. «La plupart des amoureux de Proust le gardent pour leur retraite. Il faut du temps. Pour les étrangers, Proust incarne la culture française. «C'est la France», remarquait dans le Figaro le traducteur japonais de Proust, Akio Wada. Du côté de chez Swann est divisé en trois parties: Combray, nom fictif inspiré de Illiers, le village de son enfance, Un amour de Swann et Noms de pays: le Nom. Cette commune est d'ailleurs l'un des rares villages français à avoir ajouté une référence littéraire à son nom, puisqu'il s'appelle désormais Illiers-Combray en hommage à Proust. Chaque mois de mai, l'universitaire Mireille Naturel, secrétaire de la Société des amis de Marcel Proust y organise «La journée des aubépines» pour les amoureux de Proust venus des quatre coins du monde. En 1919, Proust avait fait entrer dans son roman la Première Guerre mondiale, déplaçant Combray sur le front. L'écrivain mourra trois ans plus tard, en 1922. «La Recherche est un livre hilarant dont la drôlerie est masquée par l'idée qu'on s'en fait», assure le philosophe Raphaël Enthoven, coauteur avec son père Jean-Paul d'un Dictionnaire amoureux de Marcel Proust, l'une des très nombreuses parutions à l'occasion du centenaire de Du côté de chez Swann.