Les militaires espagnols ont tiré sur la foule à Najaf. Au moins vingt morts, et plus de 200 blessés tel était le bilan provisoire, hier, de la répression des manifestations chiites. La violence a atteint un pic, hier, lorsque l'armée espagnole, qui contrôle la région Koufa-Najaf, a tiré sur la foule de manifestants qui réclamait la libération d'un important responsable chiite, Moustafa Al-Yaacoubi, proche du jeune dirigeant radical chiite, l'imam Moqtada Sadr. Le dirigeant chiite a été arrêté samedi à son bureau de la ville sainte de Najaf, par, semble-t-il, des soldats du contingent espagnol de la coalition, stationné dans cette région à dominante chiite. De fait, samedi, dès que l'arrestation du dirigeant chiite a été connue, Moqtada Sadr a exigé sa libération immédiate, alors que des manifestations étaient programmées. Hier, ils étaient des centaines à manifester, à Koufa, à Najaf, à Bassorah, principaux fiefs des chiites irakiens, de même que dans la capitale Bagdad. Ainsi, des groupes de manifestants se sont ébranlés de Koufa pour se diriger vers Najaf où se trouve le QG du contingent espagnol. En cours de route, la foule menée, selon des témoins, par des miliciens de «l'Armée du Mehdi», (milice du chef radical Moqtada Sadr), s'est considérablement gonflée et ce sont des milliers de manifestants qui prenaient d'assaut le centre de regroupement des forces espagnoles, où était censé être tenu prisonnier le responsable chiite. Toutefois, cette foule est stoppée avant son arrivée sur les lieux par des forces espagnoles. Les soldats espagnols, selon les témoins, ont tiré, sans sommation, sur les manifestants en en tuant plusieurs et faisant des dizaines de blessés. Selon un journaliste de l'Agence France Presse, présent sur les lieux, «Les gens tombaient, d'autres tentaient de fuir alors que des balles sifflaient de partout et le bruit des explosions remplissait l'air. Chacun cherchait un endroit pour se protéger alors que derrière, les manifestants continuaient à avancer». Le bilan provisoire établi hier par le ministère irakien de la Santé indiquait au moins 20 morts et plus de 200 blessés. Hier, les questions que d'aucuns se posaient étaient de savoir ce qui s'était réellement passé pour que des soldats aguerris tirent sans autre forme de procès sur la foule. Ont-ils pris peur? Y a-t-il eu des provocations? Les milices chiites ont-elles usé de leurs armes? Est-ce une bavure due à la gâchette facile des soldats de la coalition? Aucun des éléments connus jusqu'ici ne favorise les unes ou les autres pistes. Toujours est-il que des soldats ont tiré directement sur la foule tuant des dizaines de manifestants. L'autre mystère de cette affaire est le fait que les troupes espagnoles, dans un communiqué officiel, dégagent leur responsabilité quant à l'arrestation du dirigeant chiite en question, indiquant : «Les forces de la division multinationale Ultra Plus nient catégoriquement avoir procédé à l'arrestation de M.Yaâcoubi». Alors qui a arrêté ce responsable? A Bagdad, un responsable de l'administration de la coalition en Irak a déclaré pour sa part «ne pas être en mesure de confirmer» l'arrestation du responsable chiite proche de l'imam Moqtada Sadr. Toutefois, ce dernier et son mouvement estiment que les forces espagnoles, responsables de la sécurité dans le secteur Koufa-Najaf, portent l'entière responsabilité de l'arrestation (disparition?) de Moustafa Al-Yaacoubi. Toujours au plan sécuritaire, deux marines américains ont été tués hier dans la province d'Al-Anbar, selon un communiqué de l'armée américaine. Hier encore, quatre personnes ont été tuées à Kirkouk par la déflagration des explosifs qu'ils transportaient. Ces évènements intervenaient, hier, quelques heures avant l'arrivée à Bagdad de l'émissaire de l'ONU, Lakhdar Brahimi, attendu pour aujourd'hui, ou demain, dans le cadre de consultations avec les responsables du Conseil intérimaire irakien de gouvernement, et avec les dirigeants de l'Autorité provisoire de la coalition (CPA). En fait, tant pour les dirigeants provisoires de l'Irak, que pour la coalition, les consultations qu'entreprend M.Brahimi, au nom de l'ONU, sont considérées comme cruciales, car de leur issue dépend, en grande partie, le schéma du futur pouvoir transitoire en Irak. Ces discussions sont d'autant plus décisives qu'elles auront pour objectif prioritaire de dégager une représentation irakienne crédible à laquelle la CPA transférera le pouvoir le 30 juin prochain, en sus d'aider les Irakiens à trouver les meilleures formules de représentativité des différentes ethnies et d'organiser des futures élections qui sont tout aussi déterminantes, telles que l'Assemblée nationale. La mission de M.Brahimi est d'autant plus difficile que l'influent dignitaire chiite, le grand ayatollah Ali Sistani, n'a pas caché ses réserves sur la loi fondamentale en en contestant le contenu, et réclamant de l'ONU qu'il cautionne ces réserves avant toute rencontre avec ses représentants. Aussi, il est peu probable que Lakhdar Brahimi se réunisse avec des notables chiites, l'ethnie qui représente une large majorité de la population irakienne.