Moqtada Sadr a déclaré la guerre totale aux forces d'occupation étrangères. Les combats meurtriers ont duré plusieurs heures. La situation a totalement basculé dans la violence, dimanche et hier, où des affrontements sanglants ont opposé à Sadr City, à Koufa, à Kerbala et à Najaf des miliciens chiites, de l'«Armée du Mehdi» du jeune chef radical Moqtada Sadr, aux soldats de la coalition. 46 Irakiens ont été tués, dont 22 à Sadr City, banlieue populeuse de Bagdad, peuplée en majorité de chiites, et 12 soldats de la coalition, dont 11 Américains et un Salvadorien. Plus de 200 blessés ont été recensés parmi les deux parties. En effet, Moqtada Sadr a appelé ses partisans à se battre indiquant : «Je vous demande de ne plus manifester car c'est devenu inutile, à partir du moment où votre ennemi aime terroriser, faire taire les opinions et méprise les peuples.» Aussi, à Sadr City, forteresse chiite, et l'un des bastions de la lutte contre l'ancien régime baassiste, les combats ont-ils été rudes, et ont duré plus de sept heures dans la nuit de dimanche à lundi, les coalisés utilisant des chars lesquels continuaient hier à assiéger les lieux. Hier toujours, des hélicoptères de combat Apache ont pris part à la bataille en bombardant des membres des milices de l'Armée du Mehdi. A Sadr City, un proche du jeune imam avertit : «Nous voulons la paix et pas l'affrontement, mais si les Américains entrent dans le quartier, il y aura des combats.» C'est dire la violence qui est celle de cette guerre impromptue livrée entre les partisans du jeune chiite rebelle, Moqtada Sadr et les forces d'occupation de la coalition quasiment toutes mobilisées sur le front chiite. Ainsi, soldats américains, britanniques (huit, parmi ces derniers, ont été blessés à Bassorah, sud de l'Irak), espagnols, portugais, (qui comptent trois blessés) polonais et bulgares (un soldat tué) sont mobilisés contre «la rébellion» de Moqtada Sadr. De fait, Falloujah, Baaqouba, Najaf, Kerbala ont, depuis l'occupation de l'Irak, été au coeur de la résistance contre les forces armées étrangères, et n'ont jamais accepté la présence américaine et plus généralement celle des forces d'occupation de la coalition. Hier, la situation était encore tendue, notamment à Najaf et à Koufa, les deux villes irakiennes dont les partisans de Moqtada Sadr en contrôlent une bonne partie, notamment le mausolée d'Ali à Najaf, où est enterré le gendre du Prophète, de même que le mausolée de Koufa, qui était hier encore, aux mains des «rebelles» chiites. Ces derniers n'ont pu, en revanche, s'emparer des mausolées des imams Hussein et Abbas à Kerbala, l'autre ville sainte, d'où ils ont été repoussés par les gardes fidèles à l'ayatollah Ali Sistani. Hier des renforts ont été envoyés dans les régions chiites de Najaf et Koufa et dans celles sunnites de Falloujah et Baaqouba où l'armée américaine est engagée sur deux fronts en lançant des opérations d'envergure et qui doivent durer, selon un responsable militaire américain, plusieurs jours. L'administrateur en chef américain Paul Bremer, a indiqué hier que Moqtada Sadr s'est placé hors-la-loi de la coalition indiquant «Nous sommes dans une situation sécuritaire difficile. Nous avons un groupe mené par Moqtada Sadr qui s'est placé en dehors de la légalité de la coalition et des responsables irakiens». Le responsable américain a affirmé par ailleurs qu'«il (Moqtada Sadr) est effectivement en train d'essayer d'installer son autorité à la place de l'autorité légitime. Nous ne le tolérerons pas. Nous réinstallerons la loi et l'ordre que les Irakiens attendent» conclut M.Bremer. Provocant envers le numéro un américain en Irak, Moqtada Sadr répond que «la mort et le martyre est le lot quotidien des chiites». De fait, la communauté chiite se trouve très partagée, notamment parmi les dignitaires qui tentent de calmer le jeu. Ainsi, le grand ayatollah, Ali Sistani, figure influente du chiisme irakien «a appelé les manifestants (chiites) à garder leur calme et leur sang-froid, et à laisser le problème se résoudre par la négociation». De son côté, le grand ayatollah Kazem Al-Husseini Al-Haïri, «mentor» du jeune imam turbulent, a mis en garde les Etats-Unis à partir de Qom (Iran où il réside) indiquant: «Nous mettons en garde les Américains contre tous ces actes irréfléchis et contre toute atteinte à la dignité des Irakiens, ainsi qu'à celle des étudiants de la Hawza (école théologique) qui sont devenus des cibles des forces d'occupation». Dans cette atmosphère de guerre, l'arrivée à Bagdad, dimanche en soirée, de Lakhdar Brahimi, émissaire du secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, est passée presque inaperçue, noyée qu'elle a été dans le vacarme des coups de canon des chars et des hélicoptères de combat de la coalition.