Le poids des affinités régionales et celui des bastions traditionnellement acquis à l'Etat ont été déterminants. Comme il fallait s'y attendre, Abdelaziz Bouteflika a fait le plein des voix et s'en sort mieux qu'en 1999, avec la certitude, cette fois-ci, qu'il a été réellement élu par le peuple. Même si on a trouvé à redire, concernant le taux qu'il a obtenu, il n'y a vraiment rien à spéculer sur le poids très pesant de ses «bastions traditionnels». Bien avant le 8 avril, on savait que la partie ouest et sud de l'Algérie avait déjà tranché en faveur de Bouteflika, c'est-à-dire qu'entre Aïn Defla et Tlemcen, puis entre Djelfa et Tamanrasset les cinq autres candidats ne pouvaient rien, absolument rien faire contre l'apport extraordinaire de ses bastions, liés au président-candidat soit par la force du régionalisme, soit par la tradition historiquement vérifiable, d'allégeance au président qui a déjà commandé. A aucun moment, il n'était prévu qu'un candidat autre que Bouteflika fasse un score honorable à Chlef, Tlemcen, Oran, Maghnia, Bel Abbès, Relizane ou Saïda, ni encore à Touggourt, Adrar, Illizi ou Béchar. Ces régions constituaient depuis 1999, des bastions acquis à Bouteflika. Restaient le Centre et l'Est, où l'on pensait que le «match serait serré». Mais les résultats furent, là aussi, à la démesure de l'étonnement qui leur a fait face. Aussi bien dans la région kabyle que dans les fiefs de l'Est, donnés acquis à Benflis, la victoire écrasante de Bouteflika se passe tellement de commentaire que tout argument de fraude passe pour un sophisme qui laisse froid, même si les 83,49% des voix peuvent susciter des doutes chez les candidats recalés. Notons d'abord cette victoire de Bouteflika sur Benflis dans la propre dechra d'origine de ce dernier Belih. Sur près de 672 voix exprimées, le président-candidat en a récolté près de 500. De quoi laisser l'ancien chef de gouvernement groggy... Avec 57,40% des voix exprimées, Bouteflika l'emporte largement à Batna, ce bastion de l'Est où Benflis et ses appuis locaux avaient essayé de manoeuvrer. Toujours dans les fiefs de l'Est, Oum El-Bouaghi a préféré Bouteflika avec un taux de 73,81% des voix alors qu'à Tébessa, qui jusqu'à une date récente était un axe central du puissant lobby militaro-politique BTS, le président entrant l'emporte avec 82,91% contre un peu plus de 7% pour Djaballah et Benflis. Seule Mila Skikda avec 79,83% pour Bouteflika, Constantine avec 79,03% et Guelma avec 77,54% confirment la tendance de la désintégration des «réseaux de l'Est pour l'Est» et donnent une large avance pour le président aux dépens d'un Benflis sans base électorale réelle et sans appuis sérieux de la part des notables locaux. Seule Mila déroge à la règle et place en haut du tableau un Benflis exubérant avec 78,53% alors que Bouteflika, en seconde position, ne récolte que 9,22% de voix exprimées. Ne sortant pas du cadre de l'exceptionnel, Mila place Louisa Hanoune à la troisième place et Rebaïne à la quatrième, tout en ayant soin de mettre Saïd Sadi à la dernière place avec un taux ne dépassant pas les 0,85%. Un sacrilège pour le champion du laïcisme dans cette ville conservatrice à souhait. Tous ces résultats tendent à mettre en échec un vote exclusivement régionaliste et le fameux «l'Ouest pour Bouteflika et l'Est pour Benflis» n'a pas fonctionné comme les spécialistes s'attendaient à le voir se réaliser. Pourquoi? Là encore, il faudrait chercher du côté d'un discours présidentiel qui a convaincu, ou d'une base électorale que Benflis n'a pas réussi à constituer, malgré tout ce que ses talk-shows et ses discours-spectacles laissaient deviner. En terre kabyle, le problème qui se posait était énorme, et les enjeux qui découlaient de cette élection l'étaient tout autant. Au moins trois acteurs se disputaient l'hégémonie sur la région la plus secouée par les troubles politiques et sociaux en Algérie : le RCD, le FFS et les archs. Le parti de Saïd Sadi, en se présentant à l'élection, tentait de ratisser large en l'absence de tout concurrent sérieux, alors que celui d'Aït Ahmed et les archs appelaient, chacun de leur côté et chacun pour des motifs qui lui sont propres, à boycotter les urnes. Finalement, le camouflet a été magistral pour celui qui s'était souvent «trompé de société». Même si on inclut le «bon score» obtenu à Tizi Ouzou - premier avec 32,82% des voix en sa faveur -, Saïd Sadi s'en sort dans toute la région kabyle (Tizi Ouzou, Béjaïa et Bouira) avec 58.702 voix. En face de lui, Bouteflika fait mieux. Avec ses trois derniers passages dans la région, il a réussi à convaincre une région qui ne croit plus aux chimères encore moins à la «résistance politique». Avec 191 613 voix dans ces trois grandes villes de la Kabylie, Bouteflika fait mieux que tous les candidats, en se plaçant notamment, premier à Bouira et Béjaïa et 3e à Tizi Ouzou. Ce qu'il faut tirer de la «leçon kabyle» est d'abord, le taux d'abstention moins important qu'on le présageait, ensuite, le calme qui a prévalu, malgré les enjeux et les tensions et enfin, le régionalisme de naguère qui n'a pas fonctionné. Il y a aussi peut-être le fait que les archs, la Kabylie, les citoyens d'une manière générale, pensent qu'après trois années de crise, le président Bouteflika est le seul capable de mettre fin à toutes les tensions qui existent. On n'aura pas besoin de s'étendre sur les scores obtenus à l'Ouest. Tout le monde, tous les candidats avaient compris, pendant la campagne même que Bouteflika était pratiquement en terrain conquis à Aïn Defla et Tlemcen et entre Djelfa et Tamanrasset. 92% à Béchar contre 1% pour Benflis, son plus sérieux concurrent, 85,14% contre 9,32% à Tamanrasset, 94,82% contre 1,40% à Tiaret, 93,67% contre 1,73% à Djelfa, 93,54% contre 2,21% à Saïda, 93,79% contre 1,72% à Sidi Bel-Abbès, 94,02% contre 1,96% à Mostaganem, 82,01% contre 8,09% à Ouargla, 93,58% contre 1,90% à Oran, 88,45% contre 5,44% à Tindouf, 95,47% contre 1,65% à Tissemsilt, 94,57% contre 1,24% à Aïn Témouchent, 93,93% contre 1,74% à Relizane, et 93,76% dans son fief à Tlemcen contre 1,40% pour le candidat malheureux du FLN. Voilà donc, en termes de chiffres, froids et hégémoniques la notoriété de Bouteflika. Le poids des affinités régionales et des bastions traditionnellement acquis à l'Etat ont été déterminants. Bien évidemment, le président-candidat avait réussi aussi à s'allier de nouveaux appuis de poids. Mezrag et l'AIS Il y a d'abord, l'apport des islamistes de l'ex-FIS, dont principalement Hamouche et Dhaoui Hacène, membres-fondateurs du parti dissous et figures importantes dans le Constantinois. Il y aussi, celui de l'AIS (l'Armée islamique du salut, branche armée de l'ex-FIS, autodissoute le 13 janvier 2000) qui, par la voix de Madani Mezrag, et malgré la réticence des chefs algérois du parti dissous s'était clairement positionnée pour la candidature de Bouteflika. Sans oublier l'appui de dernière minute de Hachemi Sahnouni, figure emblématique auprès des islamistes de l'ancienne génération, et Mohamed Bouyali, frère et compagnon d'armes de Mustapha Bouyali, chef de la première organisation islamiste armée, entre 1982 et 1987. L'influence des cheikhs de zaouias sur leurs «mourids» (élèves) et l'appui des imams de mosquée, que le président-candidat a su capter par un discours religieux, pacifiste, réconciliateur et respectueux des valeurs religieuses et morales de l'Algérie, ont été là aussi, autant de points qui ont compté dans le calcul final des voix. Il est malheureux que tous ces appuis, prépondérants du reste, aient été ignorés par des candidats qui se sont conduits comme des champions de la laïcité dans un pays qui reste encore très imprégné de sa religion. Un dernier point de curiosité ou d'anthropologie concerne la dernière place de Louisa Hanoune, dans les villes du Sud, réputées hostiles à la gouvernance des femmes. Tamanrasset, Djelfa, M'sila, Ouargla, El Bayadh, Illizi, Tindouf, El Oued, Naâma et Ghardaïa ont toutes placé la pasionaria de la politique algérienne à la 6e place.