Tout est clair… ! », a déclaré le 8 janvier dernier, le président Bouteflika à Tamanrasset, tout heureux d'avoir écouté à satiété le refrain bien connu de « oûhda thalitha ». Rien n'est désormais clair quand on lit, même entre les lignes, les réponses qu'il a fournies mercredi au journaliste de Reuters qui, pour la circonstance, offre à son agence une deuxième exclusivité présidentielle. Ceux qui attendaient, impatiemment, que Bouteflika sonne le clairon du troisième mandat, via Reuters, doivent donc attendre. « Pour l'instant, il s'agit pour moi d'achever correctement mon deuxième mandat en espérant atteindre tous les objectifs que je m'étais fixés et qui faisaient l'objet de mon programme électoral. » Le président Bouteflika n'a pas jugé utile d'abattre prématurément ses cartes alors qu'il est préoccupé par… son deuxième mandat. Il préfère terminer d'abord « correctement » son bail pour prétendre éventuellement postuler à un troisième. Il suggère que la rallonge de sa présidence ne tient plus uniquement, comme le croient ses soutiens zélés, à sa propre volonté, mais également et surtout à son bilan qui doit être « correct », c'est-à-dire irréprochable à tous points de vue. Contrat de performance Visiblement soucieux de ne pas contrarier les autres sphères décisionnelles du régime, le président Bouteflika sous-entend que c'est à la lumière de ses résultats comptables que son destin présidentiel sera tranché. Une sorte de contrat de performance qu'il se doit de réaliser pour prétendre se mettre en orbite. C'est, peut-être, la première fois que Abdelaziz Bouteflika, pour qui les choses sont souvent « tout à fait claires » pour reprendre sa propre réplique, met aussi clairement un bémol à ses certitudes, voire hésite aux entournures. Il n'est donc pas question qu'il se prononce avant d'achever « correctement » son mandat qui n'interviendra qu'à la veille d'avril 2009. Comment, ce faisant, pourra-t-il préparer, convaincre, promouvoir puis organiser un référendum sur la Constitution en un laps de temps aussi court ? S'il est vrai que les voies du système sont impénétrables, il n'en est pas moins vrai que l'exécution d'un tel agenda procédural relève de la gageure et que Bouteflika apparaît plus comme un lièvre qu'un candidat potentiel, comme l'a suggéré récemment Abdelaziz Rahabi. Dans ses réponses, le chef de l'Etat envoie un signal à ses soutiens parmi les partis et la société civile en y décelant via leurs pressants appels, « un signe de maturité politique dont je ne peux que me réjouir ». Ceci, au moment où d'autres acteurs de la vie nationale dénoncent un spectacle aussi théâtral que folklorique indigne d'une démocratie. « Que des organisations ou des partis politiques se préoccupent déjà des prochaines élections présidentielles, je n'y vois que la manifestation de l'intérêt que notre population et la classe politique apportent à la vie politique et au devenir de notre pays », a-t-il concédé. Il faut noter néanmoins que Bouteflika n'a à aucun moment évoqué le thème de la révision constitutionnelle, pourtant seule rampe de lancement à l'assaut d'un 3e mandat. Mais, s'adressant à une agence étrangère dont on connaît l'influence, le Président a produit un discours à consommation externe, à savoir qu'on ne peut retourner le fusil sur une partie de la « population » qui vous porte aux nues même en usant de méthodes archaïques, voire anachroniques. Il invite, allusivement, cependant ses ouailles à ranger « pour l'instant » les clairons, en attendant un hypothétique feu vert. En insistant sur son « espoir » d'atteindre les objectifs (projets) qu'il s'était fixés dans son programme, d'ici à la fin de son 2e mandat, le président Bouteflika démolit de fait l'argument majeur de ses soutiens qui motivent leurs appels pressants et incessants à un 3e mandat par le souci de lui permettre de « parachever ses chantiers ». Or, ne voilà-t-il pas que c'est le Président himself qui détruit leur « exposé des motifs », en déclarant sa détermination à tout entreprendre pour achever ce qu'il a entrepris pour être dans les délais quand l'heure des bilans sonnera… Sans le vouloir peut-être, Bouteflika a battu en brèche le thème de campagne des partisans de la « oûhda thalitha » centré autour du générique d'un « chef de chantier » qui ne saurait ni ne devrait quitter son fauteuil tant que les projets restent au stade de projets… Quant à l'armée, réputée jadis pour être la « faiseuse des rois », Bouteflika lui a une nouvelle fois tressée des lauriers et plus si affinités… « L'armée, il est vrai, a joué un rôle très important dans la vie de notre pays tout en respectant le cadre qui lui a été fixé par la Constitution », a-t-il dit. Clair-obscur Il s'est même positionné pour la première fois contre le « Qui tue qui ? » qu'il a expliqué par le fait qu'il « est intervenu à un moment où cette lutte n'était pas très bien connue à l'étranger et où certains voulaient l'entourer de confusion quant à la responsabilité, pourtant évidente, des méfaits du terrorisme ». Mieux encore, le Président concède que « l'intégrisme qui a animé le terrorisme n'est partagé que par les terroristes eux-mêmes », rejoignant ainsi la thèse de ceux qui pensent que l'intégrisme est la matrice idéologique du terrorisme. Une thèse estampillée « éradicateurs ». Bouteflika n'en pense pas moins aussi que le rôle de l'armée « décroît en importance à mesure que les institutions politiques du pays se renforcent et gagnent en efficacité pour prendre entièrement en charge leurs responsabilités ». Mais au-delà du terrorisme, le président de la République a glissé tout au long de l'entretien accordé à l'agence Reuters des messages politiques faits de clair-obscur qui réinstallent plus que jamais le doute sur ses intentions.