img src="http://www.lexpressiondz.com/img/article_medium/photos/P140119-15.jpg" alt=""La santé n'a pas de prix, mais elle a un coût"" / Le chef de service au CHU d'Alger aborde avec nous le dysfonctionnement de la politique de santé en Algérie. L'Expression: Votre vision sur la politique actuelle de santé en Algérie? Professeur Bouraoui Mohamed Salah: Il est question de poser les vrais problèmes et de chercher sans détour les véritables solutions. D'abord, au niveau global, politique. On ne peut pas résoudre les problèmes par les effets d'annonce. D'abord, il y a l'aspect politico-administratif de la santé. Nous sommes encore sous le coude de la loi de la médecine gratuite. Il faut avoir le courage de réformer cette loi. Les choses ont changé. Il faut avoir le courage de poser les termes de la nouvelle loi de santé. Pourquoi dites-vous, qu'il faille du courage? Il faut du courage, oui! car la démagogie de la médecine gratuite, genre bon chic bon genre pour tout le monde n'est pas vraie. La médecine a un coût, le niveau économique d'un pays a un coût. Il faut savoir offrir un niveau de santé en fonction du niveau de possibilités algériennes et ne pas aller vers l'effet d'annonce de l'égalitarisme en matière de soins. On parle du ministère de la Santé et de la Réforme hospitalière! L'intitulé lui-même date de 35 ans. Qu'avons-nous réformé? Nous avons parlé de la contractualisation des soins pour savoir combien coûte le diagnostic et la thérapeutique d'une maladie pour un patient afin que la caisse sociale puisse rembourser... rien n'a changé! Les actes de nomenclature qui sont un petit peu les éléments de calcul des soins se référent à 1985! Ce qui a fait qu'on a créé un service de santé où c'est le malade qui paye et on n'ose pas toucher quelque chose de peur que tout s'écroule... Le problème est là. Il faut savoir dire aux gens: voici le niveau de soin qu'on peut offrir aux Algériens de façon légale... Sommes-nous dans la posture de pouvoir le dire aux Algériens au jour d'aujourd'hui? Il faut faire la part des choses. En matière de tiers payant, comment est budgétisée la santé? Elle est budgétisée de façon forfaitaire. C'est-à-dire on ramasse l'argent des cotisés, on ramasse du Trésor public, «on fait un amalgame, on fait un budget et on dit aux gens, soignez-vous avec ça! Nous, on ne vous demande pas de comptes et vous ne demandez pas d'augmentations». Le tout c'est d'exploiter un budget. Il faut d'abord situer le problème. Le budget de l'hôpital ou de la santé en général c'est quels sont les tiers payants des cotisés? Il y a un citoyen qui cotise pour la Cnas, un citoyen pour la Casnos, un autre dépendant de la Caisse des chômeurs,... il y a des caisses spécifiques... ces gens-là, l'argent doit leur revenir. Cet argent n'appartient pas à l'Etat... Maintenant, si vous soignez des gens qui cotisent et ceux ne cotisant pas en faisant un amalgame, le tout mélangé, chacun se soigne avec l'argent de l'autre. Normalement, il faut budgétiser les choses. Il faut clarifier le débat. Parce que là, rien n'est clair. Qu'est-ce qui a fait, selon vous, que l'Etat maintienne ce flou justement? Il faut dire qu'à la base ça s'est fait de bonnes intentions. C'est comme le communisme. C'est-à-dire, nous sommes là pour offrir du bonheur aux gens à leur place. Mais en fait, on oublie de mettre les mécanisme où l'homme est au centre du problème. C'est ce qui fait qu'on obtient l'effet pervers. Actuellement, comme l'hôpital est ouvert à tout vent, le pauvre lui n'a pas accès! En essayant d'enlever tous les garde-fous de gestion, de comptabilité, nous n'avons plus les moyens d'analyse. Là, vous abordez la question d'un point de vue général sur la gestion de la santé en Algérie, qu'en est-il au niveau des hôpitaux? L'hôpital fonctionne mal. Là, il y aussi des raisons. Il faut savoir que la gestion d'un hôpital doit se faire avec une hiérarchie en pyramide équilibrée au triangle isocèle, dans laquelle en haut il y a le malade, sous le malade il y a l'équipe soignante et les moyens, la logistique, l'intendance, les finances et enfin la direction de la gestion. La direction est en bas et pas en haut de la pyramide. C'est comme en guerre, on va vers la maladie, vers le malade... et nous avons les moyens pour le faire. Cette pyramide n'existe pas malheureusement. Elle est à l'envers. On donne la gestion à un directeur ou une direction et ensuite on le pourfend c'est ce qui fait que la pyramide flotte! Le médecin-chef est responsable de la chefferie médicale, le directeur est responsable du volet administratif... On ne sait pas si le médicament arrive vers le malade. Il faut une traçabilité. Jusque-là, nous n'avons pas eu le courage de faire un organigramme moderne. Nous sommes au stade de l'hospice de la générosité. Il faut une autre gestion de l'hôpital, il faut donner les moyens de contrôle... Les maux sont connus, les moyens pour y remédier le sont aussi. Au total, le dysfonctionnement de la santé publique est d'abord et avant tout dû à l'absence du découpage des centres de responsabilité et d'absence des feed-back censés évaluer, analyser et remédier aux dysfonctionnements. Cette organisation est aggravée par l'absence de traçabilité aussi bien dans les ressources humaines (activité complémentaire) et du consommable avec un effet poreux des structures hospitalières. En 1992 un travail avait été initié par un groupe interministériel sur proposition du HCA afin d'analyser les coûts de la santé ainsi que des prix de journées et des actes médicaux, propositions restées sans suite jusqu'à ce jour. Oui, la santé n'a pas de prix mais elle a un coût, un coût dont le budget et sa gestion transparente sont indispensables pour une politique de santé moins malade.