Il faut penser que nous vivons une ère de manipulations à l'échelle planétaire. Dans un document rédigé et signé à Paris par le vice-président extérieur du Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad, Mahamat Mahadi Ali, et faxé à l'Expression, il est fait part de «la surprise et l'étonnement» du mouvement à propos de l'article paru dans Le Jeune Afrique du 25 avril au 1er mai 2004, et dans lequel l'auteur établit des liens entre le Gspc algérien et le Mdjt tchadien. «Nous ne sommes pas surpris que le régime aux abois de Deby essaie par tous les moyens de nous discréditer aux yeux de l'opinion, mais lorsque Jeune Afrique lui offre une telle tri-bune, notre consternation est sans égale», est-il dit dans le document. Pour le Mdjt, «les affrontements entre les forces de Deby et les islamistes algériens s'étaient passés dans les zones sous contrôle des autorités», et le Mdjt n'était «pas au courant du déroulement des événements». Le Mouvement d'opposition armé tchadien qui se définit lui-même comme étant d'essence laïque, dit condamner l'action du Gspc et apporter son concours «pour lutter efficacement contre ces salafistes rétrogrades» et accuse le régime Deby d'être lui, l'ami des islamistes lorsque «pendant la décennie 90, il acheminait armes et munitions en provenance du Soudan de Tourabi et destinées aux terroristes islamistes». Le représentant du Mdjt affirme aussi que tout le monde connaît les espaces géographiques où se cantonnent ses militants, «alors que les terroristes ont été interceptés plus au sud (du Tibesti, Ndrl)». Ironisant sur les capacités des armées de Deby, il ajoute : «S'ils (les terroristes) n'avaient pas été signalés par le Niger aux soldatesques de Deby, seraient-ils interceptés par les feux ou accueillis par les accolades?» Voilà donc en quoi consiste la riposte du Mdjt et qui se résume en ceci : «Le combat du mouvement rebelle est politique et interne et aucun lien n'est réalisable avec le Gspc, car, pratiquement, tout diverge entre eux.» La présence d'islamistes algériens au Tchad a mis, en fait, aussi bien le régime Deby que les organisations d'opposition armées, dans une situation très inconfortable. Le premier se devait de les pourchasser efficacement afin de souscrire au plan américain «Pan Sahel», les seconds, soucieux de ne pas s'aliéner la colère de Washington pour leurs éventuels liens avec une organisation terroriste figurant en bonne place sur la «liste noire», se gardaient d'afficher peu ou prou leur amitié aux hommes armés du Gspc. De fait, aussi, il y a alors à se demander ce que le Gspc est allé faire au Tchad. Pour le Mali et le Niger, «il a été chassé de son territoire». Pour N'djamena, «aussitôt arrivé, le groupe armé algérien a été anéanti», tirant une grande vanité de la mort d'Amari Saïfi, dit «Abderrezak El Para» sur le sol désertique du Tibesti, et matière à accuser le Mdjt «d'accointances avec le terrorisme». Les experts américains, sans en donner l'air, suggèrent que c'est grâce à leur équipement que les militaires ont pu, par deux fois, à Tamanrasset et au Tibesti, «venir à bout des groupes terroristes». Chacun essaie de faire en sorte de sortir grandi de l'épreuve du terrorisme, et au lieu d'éclairer la situation, ces parties en rajoutent à une confusion générale qui, en fait, ne fera qu'empirer la situation dans la bande du Sahel. Les mouvements rebelles, l'opposition, politique ou armée, les groupes séparatistes et les organisations aux objectifs politiques imprécis peuvent basculer à tout moment dans un terrorisme - encore très mal défini - pour peu qu'une répression brutale s'abatte sur eux. En outre, des régimes de la région peuvent aussi et tout aussi brutalement, jeter l'anathème sur tout groupe d'opposition local et le qualifier de terroristes pour peu qu'il le combatte militairement et lui pose problème sur ce plan-là. Ce vaste monde de la rébellion qui s'étend sur plusieurs pays constitue la seule et unique raison de la présence du Gspc dans la bande du Sahel. Le commerce d'armes qui prospère au Niger, au Mali, au Tchad et au Soudan est plus qu'une raison qui justifie la présence de groupes de la facture du Gspc dans les confins désertiques du Tchad. Sur un autre plan, l'annonce de la mort de Abderrezak El Para annoncée, en premier par L'Expression (n°997 du 15 mars 2004), ne met pas fin pour autant aux mouvements terroristes de la région, qu'ils soient islamistes ou non. Après l'épisode réussi de Kidal, (libération au Mali des 14 touristes et obtention des 60 millions d'euros versés par les autorités allemandes), puis la débâcle de Tam (élimination d'un important groupe du Gspc au sud de la ville), Abderrezak El Para devait regagner les maquis du Nord algérien, sachant que la bande du Sahel avait été infestée par les écoutes et les moyens de repérage américains. Or, il a continué son chemin vers le Tchad avec des Algériens, des Maliens, des Nigériens et des Toubous, au nombre de 43, et on ne sait absolument rien, sinon qu'ils avaient été tués par l'armée de N'djamena. Pour appuyer ces thèses, une mission d'enquête malienne vient de remettre un rapport sur les mouvements suspects des membres du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (Gspc), recommandant une extrême vigilance aux autorités maliennes. Composée de spécialistes maliens de la sécurité, cette mission avait séjourné à Gao et contacté tous ceux qui pouvaient fournir des indications intéressantes sur le Gspc. Selon cette mission, «le Gspc fait d'incessants va-et-vient entre le Mali et les pays voisins, et une bonne poignée d'islamistes seraient actuellement dans le grand désert de Taoudénit (nord du Mali), un désert rarement fréquenté et à cheval entre le Mali, l'Algérie et la Mauritanie».Les services spéciaux français qui contrôlent le Mali, le Niger et le Tchad voient d'un mauvais oeil la brusque incursion des experts militaires américains dans la région. La gestion de l'islamisme armé étant devenu un phénomène de mode politique, c'est à qui domptera le plus d'islamistes que se livrent les puissances occidentales dans un jeu des organisations, qui en fait, ne risque que d'exacerber les tensions locales, les conflits armés et les rebellions de tout bord. Car tout ce malaise qui s'exprime par une violence au nom de l'Islam n'est que l'effet manifeste et brutal de dysfonctionnements politiques graves dans la région.