Dans ses différentes déclarations, Sidi-Saïd dénonçait l'érosion du pouvoir d'achat des travailleurs. Le premier mai 2004, Ahmed Ouyahia rendait visite à Sidi-Saïd et à tout le staff de la Centrale syndicale à la maison du peuple à Alger. Aux côtés du chef du gouvernement et du SG de l'Ugta, on avait aussi remarqué la présence de Habib Youcefi, président de la Cgeoa. Tout un symbole. Les travailleurs, l'Exécutif et le patronat dans la même tranchée et réunis autour d'une date qui célèbre la fête du travail. Et tout cela se passe quelques jours à peine après le scrutin du 8 avril 2004, qui a permis la réélection de Abdelaziz Bouteflika pour un deuxième mandat, grâce entre autres au soutien de l'Ugta, du Forum des chefs d'entreprise et de l'Unpa. C'est-à-dire les principales forces sociales du pays. Pourtant, il y a une année, à la même époque, les choses n'étaient pas aussi évidentes et on ne donnait pas cher de la cohésion sociale. L'Ugta, de guerre lasse, avait décrété une grève générale de deux jours qui avait paralysé le pays et mis le gouvernement sur la sellette. Dans ses différentes déclarations, Sidi Saïd vilipendait la politique réconciliatrice du président de la République et dénonçait l'érosion du pouvoir d'achat des travailleurs. Le patronat aussi saisissait toutes les opportunités et toutes les tribunes pour stigmatiser les réformes économiques, les retombées de l'accord d'association avec l'Union européenne sur la production nationale, la bureaucratie bancaire et les contraintes liées au foncier. Qu'est-ce qui a donc bien changé entre-temps? Dans sa déclaration de soutien au candidat Abdelaziz Bouteflika, le SG de l'Ugta a énuméré ce qui, à ses yeux, est à inscrire à l'actif du président sortant: le Smig a été porté à 10.000 DA, il n'y a pas eu de fermeture d'entreprises publiques, l'emploi a été sauvegardé, l'Etat a pris en charge les allocations familiales, etc. Quant au Forum des chefs d'entreprisse, il a également relevé le bon état général de l'économie algérienne depuis cinq ans, l'augmentation des réserves de change, la diminution de la dette extérieure et la mise sur les rails des principales réformes économiques. Juste après l'annonce de sa reconduction à la tête du gouvernement, Ahmed Ouyahia a annoncé, de concert avec Sidi-Saïd et les responsables patronaux, l'idée d'aller vers la signature d'un pacte social. Certes, le climat général du pays permet d'arriver à un tel résultat, mais les trois partenaires: Exécutif, patronat et travailleurs doivent se faire des concessions mutuelles tout en conjuguant leurs efforts. Voyons d'abord le premier aspect de cette question, à savoir le climat général du pays. Il y a d'abord la réélection confortable de A.Bouteflika, qui confère la légitimité à son action et lui donne les moyens de sa politique. On peut dire qu'il a désormais les coudées franches pour réaliser le programme pour lequel il a été élu, à commencer par cette réconciliation nationale aux contours encore flous mais qui assure une certaine stabilité au pays. Côté gouvernement, il y a le fait qu'Ahmed Ouyahia, qui a apporté un soutien sans réserve à Bouteflika au moment le plus opportun, a certainement carte blanche pour mener une politique économique et sociale offensive, d'autant plus que les caisses sont pleines et que l'insécurité a nettement reculé. Dans ces conditions, il sera plus aisé de satisfaire dans une large mesure les demandes de l'Ugta. Ces dernières concernent la revalorisation du Smig, une prise en charge efficiente des allocations familiales, l'amélioration du régime des pensions de retraite, la sauvegarde de l'emploi, l'assainissement des entreprises publiques, une meilleure définition des privatisations, et bien entendu, la confirmation de la position hégémonique de l'Ugta comme partenaire des pouvoirs publics. Le patronat maintenant. Ses revendications sont bien évidemment différentes de celles du monde du travail. Cela ne veut pas dire qu'elles sont foncièrement antagoniques, sinon aucun pacte social ne serait possible. En gros, les opérateurs économiques souhaitent un allègement de la pression fiscale et douanière et une diminution des charges patronales, l'amélioration de l'environnement de l'entreprise pour l'approvisionnement en matières premières, l'accès au crédit bancaire et d'une façon générale la modernisation des banques dans le sens d'une meilleure orientation du capital risqueur, l'assainissement du foncier dont l'imbroglio a bloqué des milliers de projets porteurs, et enfin, last but not least, il y a cette question de l'amnistie fiscale qui a été évoquée ces derniers temps par le chef du gouvernement. Dans un entretien au journal Le Figaro français, Ahmed Ouyahia n'a pas exclu la possibilité d'une amnistie fiscale pour faire rapatrier l'argent de milliers d'Algériens. Mais sur ce plan, les différentes organisations patronales souhaitent qu'une éventuelle amnistie fiscale bénéficie en priorité aux nationaux résidents qui investissent en Algérie et qui font l'objet de redressements intempestifs de la part des services des impôts. En outre tous s'accordent à dire qu'amnistie fiscale ne doit pas signifier blanchiment d'argent. En d'autres termes, l'origine des capitaux doit être connue. Pour le forum des chefs d'entreprise notamment, l'amnistie fiscale est de nature à résorber les masses monétaires considérables qui circulent dans les circuits parallèles. D'une façon plus générale, les trois partenaires du dialogue social, à savoir l'Exécutif , les travailleurs et le patronat sont intéressés par un autre plan de relance économique, qui aura pour effet d'injecter de l'argent frais pour faire tourner la machine, doper les investissements, offrir un cadre de travail et des marchés aux entreprises algériennes publiques ou privées, assurer la stabilité et la sauvegarde de l'emploi, générer cela va de soi de nouveaux emplois, mais surtout créer un cadre de concertation et associer les partenaires sociaux aux grandes décisions qui engagent l'avenir du pays, comme les négociations avec l'OMC, tout en assurant une meilleure visibilité dans le domaine des privatisations, définissant les priorités de la réforme économique, et enfin encourageant la consommation des ménages laquelle en retour aura un effet bénéfique sur le secteur productif. Lorsqu'on l'avait interrogé sur les dates de la bipartite et de la tripartite, ainsi que sur le pacte social, Sidi-Saïd avait dit d'attendre que le programme du gouvernement soit connu et adopté par le Parlement. C'est une chose sur laquelle on sera fixé très bientôt, et l'on verra à ce moment-là jusqu'où ira Ahmed Ouyahia pour acheter la paix sociale, sans remettre en cause justement les buts que se fixe l'Exécutif.