L'histoire de la Ligue arabe est liée à celle de l'Egypte dans ses différentes étapes, depuis le roi Farouk jusqu'au Raïs Nasser, champion du panarabisme. En mettant sur le tapis la question d'un secrétariat général tournant au sein de la Ligue arabe, Abdelaziz Belkhadem est-il sérieux? Pense-t-il vraiment convaincre ses pairs arabes de l'urgence d'une telle réforme? A-t-il quelque chance d'être entendu? Il faut être doté d'une bonne dose d'humour pour croire que cette vénérable institution qui a été créée à Alexandrie en 1947 (l'idée de sa création remonte au 22 mars 1945), une année avant que n'éclate le premier conflit israélo-arabe à propos de la Palestine, va se remettre en cause aujourd'hui pour aborder les défis auxquels est confronté le monde arabe, surtout vis-à-vis de la question palestinienne et de la violation par Sharon de la légalité internationale et de la situation explosive en Irak. Le croire, c'est d'abord admettre que le pétrole arabe est soluble dans la démocratie. Ce qui n'est pas évident, et toute l'histoire du monde arabe depuis plus d'un demi-siècle prouve le contraire. L'histoire de la Ligue arabe est liée à celle de l'Egypte dans ses différentes étapes, depuis le roi Farouk jusqu'au Raïs Nasser, champion du panarabisme. La guerre du canal de Suez puis les deux guerres israélo-arabes de 1967 et de 1973 ont eu pour effet de renforcer la position de leadership de l'Egypte au sein du monde arabe. Mais la signature des accords de Camp David par El-Saddat ont eu pour effet de faire perdre à l'Egypte ce rôle dominant. Elle fut même isolée pendant plusieurs années, le siège de la ligue ayant été transféré à Tunis. Ce n'est qu'à l'arrivée de Hosni Moubarak que le Caire a pu récupérer sa place hégémonique, reprendre à Tunis le siège de la ligue et renouer les relations diplomatiques avec les autres Etats arabes, réussissant le tour de force de pouvoir dialoguer en même temps avec Arafat et les responsables israéliens, ce qui lui donnait, d'une certaine manière, la possibilité de jouer les intermédiaires et les bons offices, tout en bénéficiant, au passage, de l'aide américaine et de la manne financière des pays du Golfe qui ont besoin de ce double jeu égyptien pour donner le change aussi bien à leurs opinions publiques, léthargiques à l'égard de l'Etat d'Israël, et des Etats-Unis dont ils ont besoin du parapluie pour les protéger, pendant des décennies, de l'ogre communiste soviétique, ensuite de l'expansionnisme de Saddam Hussein. Sharon et les Palestiniens Vu sous cet angle, la fonction régulatrice de la Ligue arabe est bien claire : il s'agit de faire croire que les pays arabes font quelque chose pour leurs frères palestiniens tout en continuant à fermer les yeux sur les exactions de Sharon. En fait, chaque fois qu'il s'agit de dégager une position commune, les «Arabes se mettent d'accord pour ne pas se mettre d'accord !». C'est une vieille rengaine. Mais la situation a évolué et le monde n'est plus ce qu'il était. Ni la Ligue ni les Etats arabes ne peuvent maintenir ce statu quo. Les attentats du 11 septembre ont changé la donne. La montée en puissance d'El Qaîda et de Ben Laden ont fait montrer aux puissances occidentales, et en premier lieu aux Etats-Unis, que ce sont justement les dictatures arabes qui produisent le terrorisme et menacent la sécurité du monde, suspendent une épée de Damoclès sur les puits de pétrole et font craindre pour les approvisionnements en énergie. En d'autres termes, lorsque George Bush prône une ouverture démocratique du monde arabe, il ne fait que défendre les intérêts de son pays et ceux des lobbies pétroliers qui financent sa candidature à la Maison-Blanche, d'autant plus que la chute de l'empire soviétique fait de lui le maître du monde. La démarche est exactement inverse de celle des années quarante et début des années cinquante. A l'époque, certaines universités américaines, en partenariat avec les stations de radio qui émettaient en direction du Moyen-Orient, ont voulu tester l'effet de certains programmes radiophoniques sur le récepteur (c'est-à-dire l'auditeur) moyen-oriental pour savoir s'il était réceptif à la démocratie et à la modernité. Mais la nationalisation des hydrocarbures par Mossadegh a amené les Américains à remettre la chape de plomb sur les Arabes du Moyen-Orient et à favoriser le maintien ou la montée de régimes autocrates fermés à toute idée de démocratisation et de modernité. Depuis lors, l'idée est entendue, les «Arabes» sont allergiques à la modernité. La guerre froide et la peur de voir cette région riche en pétrole basculer dans le giron soviétique ont encore renforcé cette volonté de fermeture et de répression de toute forme de liberté, notamment la liberté d'expression, le pluralisme politique et l'émancipation de la femme. Les contraditions Pourquoi l'Algérie, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, veut-elle aujourd'hui dépoussiérer les statuts de la Ligue arabe? Elle qui a lamentablement échoué par deux fois à organiser un sommet de l'UMA, pourra-t-elle réussir à prendre la tête de la Ligue arabe, en jouant sur les antagonismes entre le Maghreb et le Machrek? Le Maghreb parle-t-il d'une seule et même voix? Ensuite, les contradictions qui minent la Ligue arabe ne sont-elles pas trop fortes? Certes, il est légitime que l'Algérie, qui a longtemps été isolée sur la scène arabe et a eu affronter seule l'hydre terroriste, aspire à revenir en force sur la scène diplomatique. Membre non permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, elle vient de signer un accord d'association avec l'Union européenne et elle s'apprête à amorcer un rapprochement avec l'alliance du pacte atlantique (l'Otan). Mais il faut convenir que malgré le pluralisme politique et la liberté de ton dont jouit notre presse, les pays du Golfe nous dépassent dans beaucoup de domaines. Sur les plans économique et financier, les pays du Golfe ont su mieux placer et faire fructifier leurs pétrodollars. L'économie de marché est déjà inscrite dans leurs moeurs alors que nous continuons à souffrir d'une bureaucratie tatillonne et étouffante et d'un marché informel qui échappe à toute idée d'efficacité et de rationalité. Sur le plan culturel, les élites intellectuelles, artistiques, et universitaires des pays comme l'Egypte, le Liban, la Syrie ont pris une longueur d'avance. Rien que sur le plan de la production culturelle, les marchés égyptiens et libanais sont beaucoup mieux structurés, notamment pour ce qui est de la production audiovisuelle et de l'édition de livres, alors même qu'il n'y a aucune comparaison entre l'Algérie et ces pays dans le domaine de l'ouverture du champ audiovisuel. Il existe une pluralité de chaînes dans ces pays depuis plus de dix ans alors que nous continuons à rouler avec une chaîne unique. En d'autres termes, il ne suffit pas de dire «nous sommes les meilleurs». Il faut aussi faire des comparaisons secteur par secteur, branche par branche. Prenons un autre exemple : alors que l'UMA est en panne, le conseil de coopération du Golfe nous donne chaque jour des leçons dans le domaine de l'intégration régionale, et l'on ne peut qu'être étonné du professionnalisme des chaînes de télé comme El Djazira et El Arabia. Les banques et les places boursières des pays du Moyen-Orient, ainsi que le tourisme et l'organisation du travail dans ces pays sont en avance par rapport à nous. Par conséquent, la question que l'on peut se poser est la suivante : faut-il changer le monde arabe d'en haut, ou celui d'en bas? Faut-il commencer par changer la Ligue arabe, ou les régimes arabes? Pour ce qui concerne l'Algérie, n'est-il pas plus opportun de commencer à balayer devant notre porte? En libérant les élites intellectuelles et culturelles, en ouvrant le champ audiovisuel, en consacrant la bonne gouvernance dans les domaines du management, de la réforme bancaire, de la création d'emplois, en mettant un terme à la corruption, aux passe-droits, à la bureaucratie. Pourquoi est-ce qu'on peut acheter un exemplaire de la première édition d'El Ahram au Caire à une heure du matin, alors qu'à partir de dix-huit heures tout est fermé à Alger ? Le retour de la confiance, c'est aussi cela. Mettre un terme à l'idée de couvre-feu et d'insécurité. Cela ne veut pas du tout dire qu'on soit obligé de se désintéresser de ce qui se passe en Palestine et en Irak. Loin de là. Mais comme la politique extérieure n'est que le reflet de la politique interne, il est bon de voir ce qui marche mieux chez les voisins pour en prendre de la graine. Realpolitik oblige. Même si c'est à Alger qu'a été annoncée la création de l'Etat de Palestine, notre diplomatie ne pèse pas lourd face aux exactions de Sharon et à la mise en oeuvre de la feuille de route, parce que la roue tourne et que nous sommes à la traîne. Nous devons nous adapter.