Les Arabes vivent dans le rêve, et s'en remettent par fatalisme à une époque révolue «Qui s'instruit sans agir, laboure sans semer.» Proverbe arabe Mon attention a été attiré par un ouvrage qui fait le procès de l'Islam Aristote au Mont Saint Michel. Dans sa charge où on sent une haine sourde qui n'a rien à voir avec un travail d'historien digne de ce nom, Sylvain Guggenheim attribue la Renaissance de l'Europe à l'apport d'un obscur abbé Jacques de Venise, dans l'Abbaye du Mont Saint-Michel et à des chrétiens assyriens, des juifs, des Perses, bref, tout, sauf des Arabes! Mieux encore pour lui l'Islam de par sa rigidité - conditions de Dimmis- a empêché ces compétences non arabes de mieux s'épanouir, de mieux transmettre. En clair, on pourrait comprendre que la Renaissance de l'Europe aurait pu se faire plutôt. Mais qui a traduit Aristote? Mais qui a traduit Aristote? C'est par ces mots qu'Andrè Burguière renvoie dos à dos les honnêtes courtiers quant à l'apport de la civilisation islamique au patrimoine universel, et le procès des Arabes et de l'Islam à qui Sylvain Guggenheim dénie tout apport à la renaissance de l'Europe. Nous l'écoutons: «Il semblait acquis que l'Europe avait redécouvert la philosophie grecque au Moyen Âge grâce aux Arabes. Sylvain Guggenheim le conteste, au grand dam de ses confrères. L'Europe a-t-elle toujours gardé un lien direct avec les penseurs grecs ou a-t-elle renoué avec eux par l'intermédiaire de la culture arabe après un oubli de huit siècles? Ce débat est devenu une question explosive. L'idée que les universités du XIIIe siècle aient redécouvert Aristote à travers Averroès et la médecine grecque dans l'oeuvre d'Avicenne est reprise comme une évidence par ceux qui veulent combattre l'islamophobie renaissante en Europe et qui refusent de désespérer Bab-El-Oued.» (1) Vient ensuite un plaidoyer de l'auteur: «Qui peut reprocher à un historien de s'attaquer aux idées reçues? L'essai de Sylvain Guggenheim, appuyé sur une solide connaissance des échanges intellectuels entre Orient et Occident au Moyen Âge, est convaincant sur deux points essentiels: les clercs d'Occident n'ont jamais perdu le contact avec les textes de la Grèce antique. Quand le grec a cessé d'être connu des lettrés dans le monde latin, des clercs souvent formés à Byzance se sont mis à traduire les auteurs grecs; comme ce Jacques de Venise dont Guggenheim nous rappelle le travail considérable. Attaché à l'abbaye du Mont-Saint-Michel, l'un des ateliers de copie les plus actifs de l'Occident, il a traduit en latin au milieu du XIIe siècle la plupart des oeuvres d'Aristote. Et c'est dans ses traductions, non chez les penseurs arabes, qu'Albert le Grand et Thomas d'Aquin se sont réapproprié l'oeuvre du philosophe grec. Dans le monde musulman lui-même, ce sont avant tout des chrétiens syriaques qui ont traduit en arabe et commenté les textes grecs, comme le nestorien Yuhanna ibn Masawayh, médecin et logicien, né au VIIIe siècle sous le calife Harun al-Rachid, ou son disciple Hunayn ibn Ishaq.» (...) Cet essai conclut André Burguière, dont les quatre premiers chapitres sont passionnants, tourne au réquisitoire quand il revendique pour l'Europe des racines authentiquement grecques. (1) «Selon Guggenheim, l'Occident ne devrait rien ou presque à la transmission arabe du savoir grec, puisqu'il existe une filière concurrente de traductions latines du grec. Comme «notre» savoir est grec, Guggenheim tente de montrer, toujours selon Aurélien Robert, que l'Occident n'a aucunement eu besoin de la médiation arabe, mais aussi que les Arabes n'étaient pas capables, faute d'outils linguistiques et conceptuels appropriés, d'assimiler ce savoir grec. Cette thèse, à savoir que le savoir grec a irrigué l'Europe bien avant la confrontation avec l'Islam, est moins reconnue des spécialistes. En conséquence, Guggenheim a attiré l'attention sur les moines copistes du Mont Saint-Michel, et en particulier sur un personnage, Jacques de Venise, qui a traduit Aristote directement du grec au latin un demi-siècle avant les traductions de l'arabe effectuées à Salerne, en Sicile, et à Tolède ou ailleurs. Guggenheim insiste sur une autarcie de l'Occident et la connaturalité de la culture grecque et de la culture chrétienne; l'hellénisation limitée - voire manquée - du Monde arabe (les Arabes auraient reçu passivement le savoir grec qu'ils n'ont pas su assimiler). Ces deux aspects sont liés pour Guggenheim, car, pour lui, c'est parce que la raison est l'apanage des Grecs et des chrétiens que l'islam n'a pu ni s'helléniser ni devenir rationnel.» (2) «Mais pour Marwan Rashed «le monde arabo-musulman n'a pas reçu passivement le savoir grec, puisqu'un savoir y était déjà constitué, dont une large partie n'avait d'ailleurs pas encore d'équivalent en Occident (comme l'algèbre ou la médecine). Le besoin de traductions des textes grecs en arabe ne s'explique donc que par une volonté d'un savoir nouveau pour répondre à des questions déjà posées par les penseurs arabes. En ce qui concerne la philosophie, dès le ixe siècle les théologiens rationnels (les Mutakallimun) auraient formulé, selon Marwan Rashed, des théories très complexes pour penser la compatibilité de la liberté et de la prédestination, les limites du possible en métaphysique et la constitution du monde dans une physique de la création. (...)».(2) Ceci est vrai, le pensons-nous! Les Arabes vivent dans le rêve, et s'en remettent par fatalisme à une époque révolue. Mais ceci n'a rien à voir avec l'Islam! Les Arabes c'est 300 millions de personnes, une île dans un océan 1,3 milliard de musulmans. Les autres musulmans réussissant à l'instar des pays d'Asie tels que la Malaisie, voire l'Iran qui est une nation spatiale, qui dispose des meilleurs centres de recherche qui lui ont permis de faire atterrir en douceur le dernier drone américain venu en espion au-dessus du territoire... Qui sont les Syriaques? Arme fatale de Guggenheim contre les Arabes? Sylvain Guggenheim a pour fil conducteur: l'islam et les Arabes ne sont pas des références. Il cite abondamment les non -arabes, les non-musulmans notamment les chrétiens assyriens. Examinons d'abord la langue, on montrera que sa parenté avec l'arabe est totale. Nous lisons dans l'encyclopédie Wikipédia: «Le syriaque est une langue sémitique du Proche-Orient, appartenant au groupe des langues araméennes. L'araméen existe au moins depuis le xiie siècle av. J.-C. Le syriaque représente si l'on veut un «dialecte» de l'araméen. L'araméen - la langue du Christ- apparaît en Syrie et en Mésopotamie, au moins dès le Ier millénaire avant notre ère. À partir du xiie siècle av. J.-C., des tribus araméennes venues du sud s'installent en Syrie et en Iraq. L'araméen devint la lingua franca du Moyen-Orient.» (3) La suprématie de la langue arabe À partir du iiie siècle, le syriaque devient la langue des chrétiens d'Edesse. La Bible est traduite en syriaque (Bible Peshitta) et une riche littérature voit le jour. Ephrem le Syrien, auteur chrétien prolifique et docteur de l'Eglise, est une des figures les plus emblématiques de cette époque. C'est l'âge d'or de la littérature syriaque avec de nombreux textes traduits du grec mais aussi de nombreuses oeuvres originales, scientifiques, philosophiques, théologiques, historiques (nombreuses chroniques) et liturgiques, et des traductions bibliques ou autres. Après la conquête arabe au viie siècle, le syriaque va perdre définitivement son rôle de langue d'échange. L'usage de l'arabe se répand dans les villes et cantonne progressivement les parlers araméens, qui s'éloignent de plus en plus du syriaque classique, dans des contrées toujours plus reculées. Vers le xe siècle, le syriaque lui-même semble disparaître pratiquement de l'usage parlé.» (3) Une langue ne s'impose pas quand elle n'est pas adossée à une production intellectuelle. C'est tout naturellement que les savants de l'époque, juifs, chrétiens assyriens, perses, se sont mis à l'arabe langue plus fluide. Quand Maïmonide écrivit Dalil el Haïrine «le Livre des égarés», son ouvrage majeur qui est encore une référence dans le monde juif, il le fit en arabe, il aurait pu le faire en syriaque, en hébreu. L'arabe du Moyen Âge était la vulgate planétaire, c'était l'anglais du XXe siècle. Nous lisons: «Quand l'arabe a commencé à s'imposer dans le Croissant fertile, les Chrétiens ont commencé par écrire l'arabe avec des caractères syriaques. Ces écrits sont appelés karshouni ou garshouni. On a pensé que l'alphabet arabe dérivait d'une forme d'araméen appelé nabatéen utilisé dans la région de Pétra. Des hypothèses plus récentes nuancent cette affirmation et lient l'alphabet arabe à l'alphabet syriaque. Les locuteurs du syriaque sont appelés chaldéens ou assyriens, du nom de leurs Eglises. La parenté des grammaires et du vocabulaire est très importante ce qui explique le passage du syriaque à l'arabe sans problème. Mieux encore. La poésie syriaque est purement ecclésiastique (...) Au ixe siècle, la rime fut introduite par imitation de la poésie arabe (première attestation: Antoine le Rhéteur vers 820), et elle ne tarda pas à se généraliser.(...) Certains poètes de basse époque tentèrent d'imiter la virtuosité technique de leurs collègues arabophones.» (3) La langue arabe a au moins servi à cela! Mieux dans le Nouveau Testament, les dernières paroles du Christ ont été laissées en araméen. A leur lecture: «Ya ilahi, Ya ilahi, Lima sabactani?» «O mon Dieu, O mon Dieu, Pourquoi m'as tu laissé tomber? que les Chrétiens occidentaux ânonnent sans savoir, un locuteur arabe les comprend parfaitement: «Mon Dieu pourquoi as-tu pris de l'avance sur moi,- tu m'as abandonné?»... Il n'y a donc pas de division à introduire entre les chaldéens assyriens et arabes au niveau de la culture et de la langue. Ce sont des langues soeurs, et même si on devait un jour établir le génome, il y aura à n'en point douter des ressemblances. Reste l'ethnie sociale? Est-ce important? Est-ce cela qui fait dire à Guggenheim que les Arabes sont nuls, sont des imposteurs et que ce sont des Chaldéens assyriens qui ont tout fait pour transmettre à l'Europe l'héritage grec. N'est-ce pas plutôt cette atmosphère d'abord, de Dar El Hikma à Baghdad - qui était une grande belle ville alors qu''à l'époque Londres était un gros bourg- où on comptait dit-on des centaines de milliers d'ouvrages où le sultan donnait son poids d'or à tous les traducteurs d'ouvrage? Cela se passait au VIIIe siècle. Les ministres étaient juifs. Pendant qu'il était interdit aux juifs d'enterrer leurs morts intra-muros à Paris, que l'inquisition battait son plein? Comment expliquer cette période que nous fait connaître par miracle Sylvain Guggenheim - que constituait l'abbaye du Mont Saint-Michel alors que l'Europe était à feu et à sang, qu'on pendait les hérétiques qu'on rôtissait les juifs? On dit, d'après Mostefa Lacheraf, que pour écrire la Muqqadima, Ibn Khaldoun, le père de la sociologie a consulté des milliers d'ouvrages. A Grenade et à Cordoue l'atmosphère intellectuelle était très favorable à la floraison des idées, une liberté de penser en action, qui fait que les juifs, musulmans et chrétiens vivaient en harmonie. Seul le savoir était à l'honneur et pouvait discriminer envers les individus,ce n'était ni l'ethnie, ni la religion! Dans l'encyclopédie Wikipédia, nous lisons: «La publication est d'abord saluée par un article du journaliste Roger-Pol Droit, «Et si l'Europe ne devait pas ses savoirs à l'islam?» dans Le Monde des livres du 4 avril 2008 (...) Le 25 avril, Le Monde publie ensuite une lettre envoyée par Hélène Bellosta et signée par quarante chercheurs, dont Alain Boureau. D'autres spécialistes en histoire et philosophie médiévale tels Gabriel Martinez-Gros ou Alain de Libera lui reprochent de nier, à des fins idéologiques, l'apport des intellectuels arabes dans la transmission du savoir grec à l'Europe au Moyen Âge ou d'écrire des«inepties» et le soupçonnent de développer une thèse nourrissant celle du choc des civilisations.» (4) «Le 30 avril, Libération donne la parole à 56 chercheurs dont Barbara Cassin, Alain de Libera et Jacques Chiffoleau, «Oui, l'Occident chrétien est redevable au monde islamique» considérant que la démarche de l'auteur n'avait «rien de scientifique» et qu'elle n'était qu'«un projet idéologique aux connotations politiques inacceptables» (...) Jean-Luc Leservoisier, conservateur de la bibliothèque d'Avranches depuis vingt ans, et participant depuis 1986 à la sauvegarde et à la mise en valeur des 199 manuscrits médiévaux du Mont Saint-Michel dont les traités d'Aristote, écrit:«C'est du pur roman!... On sait trois fois rien sur Jacques de Venise. Son nom est cité seulement dans deux lignes de la chronique latine de l'abbé Robert de Torigni entre les années 1128 et 1129, où il est dit que celui-ci a traduit les oeuvres d'Aristote. Mais en aucun cas il n'a pu venir au Mont Saint-Michel à la fin des années 1120, période de troubles extrêmes qui culminèrent avec l'incendie de l'abbaye par les habitants d'Avranches en 1138.» (4) Les réactions: les pour et les contre On le voit le «chaînon manquant» qui dit-on a servi de courroie de transmission, un certain Jacques de Venise, honnêtement pouvait-il traduire autre chose que des livres religieux? De plus, l'apport scientifique et technologique a bien eu lieu. Comment? Guggenheim a son idée! Pour lui ce ne sont pas des Arabes mais des chrétiens assyriens et des juifs, des dimmis, bref des esclaves qui dans des conditions sociales difficiles- tel qu'on les présente en Occident- Faut croire qu'ils aimaient être dimmis, puisque cela leur a permis d'écrire, de traduire, d'inventer à l'aise, voire occuper les plus hautes fonctions dans la hiérarchie. Que reste-t-il du réquisitoire de Guggenheim contre les Arabes, l'Islam? Pas grand-chose si on est scientifiquement honnête! Ce réquisitoire ne peut s'expliquer que par un sacerdoce. Pour nous, Sylvain Guggenheim n'a pas été scientifiquement honnête. Il s'est d'abord fixé le cap et il a utilisé toute son énergie à démontrer-en vain- son postulat ou plutôt son apostolat celui de diaboliser les Arabes et l'Islam. Pourquoi fait-il cela? On dit que c'est un historien du Moyen Âge. Je lui propose de faire une enquête aussi minutieuse sur le sort des juifs en Europe depuis que l'Eglise les a proclamés déicides. Il pourra peut-être expliquer les pogroms et avoir un regard indulgent sur l'Islam qui, à la même époque, en Andalousie était le berceau de la tolérance et le sanctuaire des Juifs, «El Hara» «la Maison du dernier secours, en hébreu. Il pourra aussi nous expliquer le cheminement de l'antisémitisme qui touche tous les peuples sémites- pas seulement les juifs- mais aussi les musulmans arabes, les chrétiens arabes, assyriens. Gageons qu'il ira jusqu'à nous révéler honnêtement qu'il n'y a pas de peuple juif mais une religion juive. Que les Cananéens étaient les ancêtres communs des Israéliens et des Palestiniens et peut-être qu'avec un peu d'empathie il tordra le cou au conformisme ambiant en admettant que ce qui compte ce n'est pas l'appartenance ethnique ou religieuse, c'est ce que l'on apporte individuellement à l'humanité pour diminuer l'anomie du monde, ce que les thermodynamiciens appellent l'entropie. Monsieur Guggenheim confond militantisme pour une cause et les faits historiques qui sont têtus. La civilisation islamique a sa place parmi les grandes civilisations. Ceux qui l'ont portée aux nues étaient musulmans, mais aussi juifs, zoroastriens, chrétiens. Bref des arabes, des Assyriens, des Perses, des Phéniciens et Palestiniens qui se sont épanouis à l'ombre de l'islam et d'une langue qui a connu ses heures de gloire. Les Arabes n'étaient qu'une composante mais le miracle de la langue arabe est qu'elle a été la langua franca pendant des siècles. Un seul bémol, le sort actuel des peuples arabes n'est pas dû ni à la langue, encore moins à l'islam mais à leurs dirigeants qui se sont installés dans les temps morts, pour l'éternité avec la complicité active de l'Occident, mais ceci est une autre histoire. 1. André Burguière http://bibliobs.nouvelobs.com/ essais/20080522.BIB1350/mais-qui-a-traduit-aristote.html 22-05-2008 2. Bachir Senouci:Les Grecs, les Arabes Revue Africaine des Livres Vol. 9 n°1, Mars 2013 3. Syriaque: Encyclopédie Wikipédia 4. Aristote au Mont Saint-Michel Encyclopédie Wikipédia