Excédés, impatients, les islamistes estiment s'être trop «engagés» sans contrepartie. Dans un document de trois pages, dont L'Expression détient une copie, Madani Mezrag, ex-chef de l'AIS et interlocuteur privilégié des autorités algériennes depuis sa trêve négociée, critique de manière virulente la démarche politique du pouvoir concernant la concorde civile et la réconciliation nationale. Les chefs de l'AIS, très hégémoniques à l'Est, où, justement les redditions «en cascade» sont annoncées, après s'être réunis, semblent vouloir mettre un frein à leur engagement envers les autorités de continuer à soutenir une démarche politique «qui n'offre aucune solution à un problème autrement plus global». Les chefs de l'AIS, par la voix de Madani, ont été très actifs ces derniers jours, notamment vis-à-vis des contacts établis avec des dizaines d'éléments armés en vue de les amener à déposer les armes et intégrer le cadre d'une trêve. Après avoir soutenu, en 1999, puis en 2004, la candidature à la présidentielle de Bouteflika, ils affichent aujourd'hui une certaine amertume à voir la paix civile tourner en round. Le document qui reprend la genèse de la violence armée en Algérie et la part qui incombe aux autorités dans cette guerre, précise que «la réconciliation nationale n'est pas un système ésotérique qui demande un décodage précis ou une exégèse à décrypter», mais bien «un projet politique qui a été plébiscité, par voie référendaire, par tout un peuple et qui ne constitue pas uniquement une solution à la crise, mais aussi, et surtout, une nécessité absolue pour mettre fin à douze années de violence». «La réconciliation nationale doit en outre, s'appuyer sur les valeurs nationales, les principes d'islamité, d'arabité et d'amazighité, sur les règles fondamentales de la liberté et du libre exercice des droits constitutionnels, cibler des objectifs précis et régler des contentieux en souffrance», précise le document signé par Madani Mezrag. Ces objectifs, au nombre de quatre, sont cités comme suit : - le dossier des disparus, qui doit être rouvert afin de «situer les responsabilités et faire le suivi sur chaque cas de disparition», - le retour de tous les travailleurs suspendus de leurs fonctions dans le cadre du contexte 1991-92 et des événements qui ont secoué le pays, - la prise en charge de toutes les victimes du drame national, - l'arrêt des poursuites judiciaires contre ceux qui ont fait l'objet d'un mandat d'arrêt, - la protection de ceux qui peuvent faire l'objet de poursuites et que les «circonstances de la guerre» leur avaient imposé de vivre en clandestinité ou de commettre des actes répréhensibles. Le document des chefs de l'AIS fait une exception pour les «criminels de la tragédie nationale». Pour eux «sont exclus de ces mesures, tous ceux qui se sont rendu coupables de crimes contre le peuple algérien, et tous ceux qui ont attaqué les citoyens désarmés des villages et hameaux, et tous ceux qui ont été coupables de terrorisme et de génocide contre leur peuple». Cette colère affichée par l'AIS démontre entre autres que beaucoup de choses restent à faire en Algérie, dans le cadre de la réconciliation nationale et que cette politique, maintes fois annoncée, reste floue, vague, imprécise et illisible, car elle manque de cohérence et d'assurance. Abdelaziz Bouteflika est le principal interpellé par cette colère manifeste de ceux qui ont soutenu à bras-le-corps sa politique de réconciliation depuis 1999. Le président de la République, qui le 8 avril dernier, avait bénéficié d'un large soutien de la part des islamistes qui se sont reconnus dans son plan de réconciliation nationale, garde toujours le cap sur son credo politique, avec lequel il a fait florès depuis cinq années, «la réconciliation nationale et la fin des hostilités», mais sans préciser comment se fera cette paix civile.