On se pointe, selon un rituel maintenant bien établi, à la première projection, celle dite «d'ouverture» et qui, de tradition, propose un film hors compétition, mais suffisamment glamour pour drainer le ban et l'arrière-ban artistiques, politiques et aussi...parasites, susceptibles de briller sous les sunlights, pour la première «montée des marches», celle qui «fait» Cannes, du moins sur les écrans télés du monde entier (ou presque)... Et comme toujours, on sort de là, avec un rictus, mélange de doute et d'agacement, pour commencer avec une histoire dont la légèreté aurait été la bienvenue, à cet instant méridien où le festival aura atteint sa vitesse de croisière et donc mis à rude épreuve les nerfs des plus assidus, c'est à ce moment là, qu'un peu de légèreté sur l'écran de la salle «Lumière», ferait office de baume apaisant, voire décontractant... C'est avec toutes ses idées, se bousculant sous un crâne, pas forcément vierge de tout a priori que l'on s'installe dans son fauteuil carmin, guettant les premières images de Grace de Monaco, par celui qui a été, à ce jour, l'enfant terrible du cinéma français, statut octroyé en son temps à Léos Carx, avant qu'il ne devienne le plus capricieux des cinéastes français... Certes, on savait que Dahan était d'une trempe dont on façonne les bons caractères, ceux qui ne cèdent pas (souvent) aux chimères de la finance et de la gloire qui va avec... Donc l'homme à la casquette portée à la Gavroche, partait, malgré le titre de son film, avec quelques atouts positifs... Et cela a été rapidement justifié, dès la première demi-heure, de Grace de Monaco qui s'ouvrait sur le décor d'un tournage du dernier film de Grace Kelly (Nicole Kidman, au plus juste) dans un studio de Hollywood, juste avant qu'elle ne traverse la mer pour aller à la rencontre de son destin, et de «son» Prince, Rainier de Monaco (Tim Roth, bouleversant dans son désarroi), l'héritier des Grimaldi, régnant sur ce petit rocher qui ne vivait jusque-là que des subsides (assez substantiels) que lui procuraient les casinos et les dépôts exonérés qu'effectuaient les magnats du monde entier, l'armateur grec, Aristote Onassis, en tête... Grace Kelly est montrée telle une princesse qui n'a pas trouvé chaussure à son pied, d'où cette démarche gauche... Elle peine à trouver ses marques dans ce palais et ce n'est pas Rainier de Monaco qui peut lui faciliter l'intégration occupé qu'il était à déminer un terrain que Charles de Gaulle empêtré dans la guerre d'Algérie, s'évertuait à truffer de chausse-trappes, histoire de forcer le «Rocher» à décréter l'imposition des activités bancaires, dans la Principauté voisine afin de limiter la fuite des capitaux français. Il ira jusqu'à barrer, à l'aide de herses et autres chevaux de frise, la route qui mène à l'aéroport de Nice, c'est l'embargo contre Baghdad, à l'échelle départementale française, quoi!... L'ex-star américaine, de sensibilité kennedyenne, ne comprend pas cet acharnement et quand on évoque devant elle l'Algérie, sa réponse est cinglante: «La colonisation est une idée dépassée.»... Mais De Gaulle, héritier de l'Empire colonial français et dans son désir chimérique d'une France qui va avec de «Dunkerque à Tamanrasset», ne reculera pas devant le ridicule que pareille situation pourrait suggérer... Il menace d'envahir Monaco... Ce qui fera dire à Rainier, dans un moment d'abattement, que «ce sera la guerre la plus courte de l'Histoire»... Les services policiers de Maurice Papon et de Foccart, iront même à fomenter un complot en se servant de la fantasque soeur de Rainier, Antoinette Grimaldi, leur «taupe» au Palais, pour se tenir au courant des intentions du prince, en lui faisant croire qu'à la faveur d'un coup d'Etat, à fomenter, elle accèderait sur le trône, à son tour... C'est d'ailleurs, une des explications, les plus plausibles, qui justifieraient la farouche opposition des enfants de Rainier et de Grace, à la version proposée dans Grace de Monaco par le cinéaste Olivier Dahan. Le linge sale est par définition une affaire de famille, à plus forte raison quand les traces de la forfaiture prévue sont restées indélébiles sur le tissu familial... Albert II, Caroline et Stéphanie qui n'ont pas vu le film, dénonçait une... «bande-annonce fantaisiste» laissant deviner une «page de l'histoire de la Principauté, basée sur des références historiques erronées et littéraires douteuses». Et la plus jeune des enfants Grimaldi, Stéphanie, de surenchérir «ce film, qui n'aurait jamais dû exister (...) ne fait pas l'éloge de Monaco, ni du grand homme qu'était mon père, le prince Rainier»... Pourtant, Olivier Dahan et son producteur Pierre-Ange Le Pogam déclarent de leur côté, qu'ils avaient communiqué «plusieurs versions du scénario, y compris le texte final, au Palais. Ils ont eu sans problème les autorisations de tournage dans la Principauté». Sinon, le film montre bien que Grace n'est pas cette pièce rapportée (de Hollywood) pour tenir le rôle que la gentry financière lui délivrerait aux côtés d'un prince Rainier, jusque-là, «croupier en chef d'un Etat-casino»... C'est d'ailleurs, ce même Rainier qui fera dire à De Gaulle, que les Monégasques ne peuvent être un peuple de croupiers, mais qu'ils ont aussi besoin d'écoles, d'hôpitaux etc. A la réflexion, c'est peut-être, aussi l'absence de cette image de Grace de Monaco, en princesse de papier glacé qui a pu agacer le distributeur américain, Harvey Weinstein, qui a exigé le remontage du film. Ce à quoi Olivier Dahan a répondu par un niet franc et massif: «Il veut un film commercial, au ras des pâquerettes, en enlevant tout ce qui dépasse»... Weinstein à qui on prête outre-Atlantique de multiples pouvoirs, dont celui d'être un «faiseur d'Oscars», dit que le succès de The Artist lui incombe, mais voilà, Olivier Dahan a aussi décroché un Oscar pour sa Môme, Marion Cotillard, dans le rôle de Edith Piaf, en 2007. Il estime donc qu'il a suffisamment d'épinards pour faire le Popeye devant le Thimotée yankee... Pour le moment, le bras de fer se poursuit et le film qui a été vendu dans les trois-quarts de la planète pourrait faire pencher la balance du côté du créateur français qui a eu le toupet, avec la maestria qui va avec, de faire franchir le biopic de Grace Kelly des franges de la petite histoire aux annales de l'Histoire, tout court... Et du coup, le tableau affichera, subrepticement: Grace: 1 - De Gaulle: 0. On voit d'ici le sourire, sous la casquette, d'Olivier Dahan s'apprêtant à découvrir, une fois la lumière revenue dans la salle, la tête des festivaliers dans leur plus beau linge essayant, pour la plupart, de faire bonne mine devant ce portrait d'une aristocratie princière vacillante et où la guerre d'Algérie s'est bel et bien invitée au Festival de Cannes, de la manière la plus... trabendiste qui soit dans Grace de Monaco de Olivier Dahan et ce, au grand dam des derniers myopes de l'Histoire...