S'exposant à de nouvelles critiques internationales, le président Goodluck Jonathan a annulé hier sa visite annoncée à Chibok, localité du nord-est du Nigeria où plus de 200 lycéennes ont été enlevées mi-avril. «Le président a annulé sa visite à Chibok. C'était à son agenda jusqu'à ce matin», a déclaré hier un responsable de la présidence. Cette visite surprise dans la petite ville de l'Etat de Borno, dans le nord-est du pays, où 276 jeunes filles ont été enlevées dans le dortoir de leur lycée le 14 avril, avait été annoncée jeudi soir. Aucune raison officielle n'a été donnée, mais beaucoup ont mis en avant des considérations de sécurité. Au lieu de se rendre à Chibok, le chef de l'Etat nigérian quittera directement «Abuja (hier après-midi) pour la France», où il doit participer aujourd'hui à un sommet international convoqué à l'initiative de Paris pour dessiner une stratégie de lutte globale contre Boko Haram, a ajouté le même responsable à la présidence. Ce déplacement au coeur du fief de Boko Haram devait être le premier geste politique fort du président Jonathan depuis le rapt des jeunes filles, alors qu'il est critiqué pour son inaction tant dans son pays par l'opposition, la société civile et les familles des victimes, que sur la scène internationale, notamment aux Etats-Unis. De fait, c'est seulement à la suite de la diffusion le 5 mai d'une vidéo d'Abubakar Shekau, le chef de Boko Haram, menaçant de traiter les lycéennes kidnappées comme des «esclaves», qui a soulevé une indignation mondiale et provoqué la réaction de Barack Obama, que le pouvoir nigérian a semblé s'émouvoir du sort des jeunes filles. Au total, 223 adolescentes sont toujours portées disparues, et dans une vidéo publiée cette semaine, Abubakar Shekau a affirmé en avoir converti quelque 130 à l'Islam. «Si en tant que Commandant en chef des forces armées, il a peur de se rendre à Chibok, pour des raisons de sécurité, il dit tout simplement aux gens du Nord-Est qu'il ne peut pas les protéger», a déclaré Debo Adeniran, de la Coalition contre les dirigeants corrompus, une ONG basée à Lagos. Aux Etats-Unis, le pays le plus mobilisé en faveur des jeunes Nigérianes kidnappées, avec notamment des drones et des avions de surveillance qui survolent le nord-est du pays pour recueillir du renseignement, le sénateur démocrate Robert Menendez a jugé jeudi que «la réponse du gouvernement nigérian à cette crise a été d'une lenteur tragique et inacceptable». Washington considère le géant d'Afrique de l'Ouest comme un «partenaire stratégique» et s'alarme de la menace régionale que pose Boko Haram, inscrit depuis novembre 2013 sur leur liste noire des «organisations terroristes étrangères». Washington offre une prime de 7 millions de dollars pour la capture d'Abubakar Shekau. Alors que la police a rapporté jeudi la destruction de deux nouvelles écoles par Boko Haram dans des villages du Nord, les députés nigérians ont approuvé dans la soirée, à l'unanimité, la prolongation de l'état d'urgence, déjà en vigueur depuis un an dans les Etats de Yobe, Borno et Adamawa, principaux théâtres de l'insurrection de Boko Haram, dans le Nord-Est. Le Sénat devra à son tour se prononcer mardi sur cette prolongation de six mois réclamée par le président. Boko Haram, qui condamne comme un «péché» l'éducation occidentale, a attaqué ces dernières années des centaines d'écoles, n'hésitant pas à massacrer élèves et étudiants. Par ailleurs, un des cerveaux présumés de l'attentat du 14 avril à Abuja, revendiqué par Boko Haram et qui avait fait 75 morts dans une gare routière, a été arrêté au Soudan. Il s'agit d'Aminu Sadiq Ogwushe, né en Grande-Bretagne, interpellé alors qu'il demandait un visa à l'ambassade de Turquie de Khartoum, au Soudan, a rapporté une source proche du dossier.