Batailles et morts à Koufa, à Bagdad c'est la confusion autour de la formation du gouvernement. On se battait hier à Koufa avec l'habituel cortège de morts et de blessés, se soldant par la mort d'une vingtaine de miliciens chiites, celle d'une Irakienne tuée par des tirs de chars et d'hélicoptère américains, - qui ont détruit sa maison dans la périphérie de la ville -, et la mort de trois soldats américains. Ainsi, la situation sécuritaire demeure très préoccupante à Koufa où les accrochages entre les partisans de Moqtada Sadr et les marines américains se sont multipliés, ces dernières heures, au moment où, à Bagdad, les tractations pour la formation d'un gouvernement intérimaire tournent au feuilleton, sinon à la farce. En effet, un différend est apparu entre l'administrateur américain, Paul Bremer, et le Conseil transitoire irakien à propos de la désignation du futur président de la transition irakienne. Le pro-consul américain semble avoir opté pour le vieil opposant Adnane Pachachi, 81 ans, alors que le Conseil donnait sa préférence au jeune Ghazi Ajil Al-Yaouar, 46 ans, chef de tribu et aussi ancien opposant à Saddam Hussein. Ce «bras de fer» américano-irakien, qui peut fort bien ne pas en être un, s'explique d'autant mal que le poste de président, dans le profil politique mis au point par la coalition, reste tout à fait symbolique. En tout état de cause, la future présidence irakienne ne semble pas être aussi importante politiquement que le sera le poste de Premier ministre, du moins dans le cadre de la période de transition jusqu'aux élections générales fixées au plus tard le mois de janvier 2005 pour la mise en oeuvre des nouvelles institutions irakiennes. Les deux candidats, qui sont des sunnites, présentent le même profil politique et seul l'âge les différencie en fait. A moins que Washington ne veuille, au soir de sa vie politique, offrir au vieil opposant, 33 ans dans l'exil, Adnane Pachachi, un bonus, cette fonction honorifique de premier président de l'Irak libre. Toutefois, le principal intéressé M.Pachachi, affirme qu'il ne revenait pas au Conseil, qui lui préfère M.Al-Yaouar, de choisir la formation gouvernementale indiquant que «(...) Ce gouvernement sera formé à l'issue de consultations avec toutes les branches de la société irakienne». Un euphémisme si l'on fait crédit aux déclarations d'un porte-parole du Conseil transitoire, Sami Al-Askari, qui affirme : «Pour être honnête, tout le monde se sent exclu. Le Conseil de gouvernement se sent exclu, y compris pour choisir les ministres. C'est comme si la coalition était chargée de tout le processus». Ce qui n'est guère étonnant si l'on préjuge que la coalition veut garder la haute main sur toutes les transactions concernant la mise en place de la composante humaine des futurs interlocuteurs «souverains» de la coalition américano-britannique. Notons par ailleurs que les réunions coalition-Conseil transitoire se sont déroulées en l'absence de l'envoyé spécial de l'ONU, Lakhdar Brahimi, quelque peu désarçonné par la tournure prise par les évènements à Bagdad. Dans un entretien avec le magazine Time, M.Brahimi explique que la formation du nouveau cabinet irakien se trouve «coincé» entre les pressions des Américains et des Irakiens, indiquant : «C'est une affaire très compliquée», d'autant plus, souligne-t-il, qu'il «existe très peu de communication entre les Irakiens eux-mêmes». Ceci sans compter le fait que «la situation de la sécurité est tout simplement impossible». «Tout cela, affirme l'émissaire onusien nécessitera beaucoup de travail de la part des Irakiens». Des Irakiens à l'évidence peu préparés à prendre en charge la complexe mise en oeuvre des institution d'un pays plongé dans le chaos après le démantèlement par les occupants américains et britanniques de l'administration et de l'armée irakiennes livrant le pays à l'instabilité et à l'aventure. Il est de plus en plus évident que la coalition n'a aucune intention de laisser le champ libre aux Irakiens et à l'envoyé spécial de l'ONU pour composer en toute indépendance le futur cabinet dirigeant de l'Irak, cela même si le porte-parole de la coalition, Don Senor, dément laborieusement toute ingérence de son institution dans les tractations actuelles affirmant : «Nous ne faisons aucune pression sur quiconque pour soutenir un candidat (...) contre un autre» ajoutant : «Il y a une organisation qui dirige le processus de nomination, et ce sont les Nations unies». Or, c'est bien M.Bremer qui imposa au Conseil de désigner un Premier ministre, passant outre la médiation de l'envoyé spécial de l'ONU, lequel reconnaît lui-même l'existence de pression américaine. L'Irak, est plus mal parti que jamais?