Scène du film Accompagné de son équipe du film, l'auteur de Roma wela ntouma et Gabla a présenté hier à Alger, en avant-première nationale, son tout nouveau film, bien expressif à tous points de vue.... On dit souvent que le calme précède la tempête, il est parfois signe de résilience, de résignation ou de lâcheté. Pour Tarik Teguia, il «fait entendre...» mais quoi? le bruissement de nos révoltes tues ou les pas de nos fantômes assourdissants régénérés? Car tout n'est question au final que d'un éternel recommencement. Ou presque. 30 ans après le film Nahla de Farouk Beloufa, Tarik Teguia dépoussière les vestiges du passé pour scruter, à l'aide de sa loupe de caméra ce qu'est advenu du Liban et partant, de tous ces idéaux révolutionnaires arabes décimés. Mais pas que. Tarik Teguia aime à repousser ses limites, c'est connu, celles-ci sont hors frontières. Dans le cinéma, nous l'avons vu marcher sur Alger et ses périphéries dans Roma wela n'touma, puis élargissant le cadre en Afrique dans Gabla, pour élargir à nouveau le cercle de sa géographie intérieure, au monde, partant du clivage bien connu de l'Orient-Occident. La globalisation étant ce qu'elle est dans son nouveau film qui a mis plus de quatre ans pour naître, après moults péripéties, Tarik Teguia ose à nouveau le voyage réunificateur qui fait rassembler des objectifs et des causes finalement, somme toutes communes à plusieurs nations sur la planète. En cela, le réalisateur s'est voulu prémonitoire, son film ayant été fait à quelques mois avant le déclenchement des «printemps arabes». Dans ce nouveau long métrage, encore un road moovie, Ibn Battuta, clin d'oeil à ce célèbre globe-trotter, alias Fethi Gharès, est un journaliste pigiste qui bosse dans un quotidien algérien. Le synopsis: un banal reportage sur des affrontements communautaires dans le sud algérien le conduit imperceptiblement sur les traces de révoltes oubliées du VIIIe-IXe siècle sous le califat abbasside en Irak. Pour les besoins de son investigation, il se rend à Beyrouth, ville qui incarna toutes les luttes et les espoirs du Monde arabe en 1982 en chassant l'armée israélienne. Que reste-t-il des acquis de ces résistants du passé? Le monde a changé et l'échiquier du pouvoir aussi. L'Amérique est devenue le centre du monde. Elle est celle qui distribue les cartes pour faire régner son tout-puissant pouvoir. Or, tout «système a besoin de mise à jour.» pour paraphraser le titre d'une installation plastique signée Mustapha Sedjal. Aussi, la nature a horreur du vide. La guerre, les révoltes sont-ils les ingrédients cycliques de la regénérence humaine? Peu importe. Qu'on soit en Grèce, en Tunisie, au Liban ou en Irak, l'homme refusera toujours de se soumettre à la dictature de l'Autre fusse-t-elle économique (lutte des classes), religieuse (poids du confessionnalisme et l'intégrisme...) ou politique, il s'agit là d'un refus d'abdiquer aux forces castratrices qui assujettit l'homme et le réduit à l'état d'esclavagisme. D'aucuns désirent une chose: recouvrir sa dignité et sa liberté. Et c'est en cela que réside le thème du film de Tarik Teguia. L'histoire de ces «indignés» suivant le fil d'Ariane de ce journaliste dans sa quête initiatique de soi-même, à l'image de cet alchimiste qui parcoura le monde pour se rendre compte que la clé du pouvoir est entre ses mains, pour peu qu'il en prenne conscience. Le changement deviendra ainsi, non pas une utopie, mais un acte effectif et concret. Le film s'ouvre sur cette image de spectre de cet homme qui s'efface au gré du vent puis rencontre sur son passage des émeutiers dans le sud de l'Algérie. La caméra capte juste après le son de plusieurs individus jugés de mécréants pour appartenance à plusieurs confréries à Ghardaïa. Puis place aux graffitis dans le mur en Grèce: «Nous désirons sans fin» et «Un spectre hante l'Europe» et ces images de révoltes. Une jeune femme à l'accent arabe fait la fête au milieu d'activistes étudiants grecs. Tarik Teguia aime dessiner des lignes qui se croisent. Avec l'aide de ce journaliste, il va redessiner une géographie des résistances, des échecs, mais des espoirs malgré tout. En Grèce vit cette Palestinienne qui décide de partir au Liban afin de voir ses amis tout en soutenant la lutte contre l'occupant. Sur son chemin, Nahla, croise ce journaliste parti lui aussi à Beyrouth poursuivre son enquête. L'histoire du 7e qui se répète. Qui se renouvelle différemment. Nahla de Farouk Beloufa n'est pas celle de Tarik Teguia. Elle est plutôt une métaphore d'une cause perdue qui continue à survivre tant qu'il y a la vie et à laquelle on s'accroche comme ces deux vieux amants solitaires.. Entre les luttes ancestrales, autrement les esclaves noirs d'Irak et ceux d'aujourd'hui, il est simple de faire le parallèle et comprendre à quoi veut en venir le réalisateur. Le cinéaste qui s'entête à filmer des «obstinations» nous montre la beauté cachée de l'absent et son legs inestimable pour l'humanité. Et qu'importe si on ne retrouvera pas ce trésor, cette monnaie des Zendj dont la légende parle, tant que les hommes debout seront là. Le film qui «sert de paradigme» dira le réalisateur lors du débat, se veut en effet dresser «des lignes de croisement des luttes de part et d'autre de la Méditerranée». En cela, si les rôles des personnage arabes sont parfois vaporeux, hésitants, voire nonchalants, mais bien téméraires, le discours grandiloquent qui frise parfois la caricature de ces hommes anglo-saxons venus pour investir en Irak, s'apparente presque à de l'obscénité moralisatrice. Et pourtant, leur discours rocambolesque puise sa légitimité dans la force de cette mission à laquelle ces gens, «les nouveaux messies» du XIIe siècle semblent bien attachés. Un néocapitalisme qui se confond même avec une forme de conservatisme primaire dont ils ont été affublés. Des personnages, somme toute grotesques et absurdes à l'extérieur et pourtant voilà que gouverne le monde, pointe du doigt le film de Tarik Teguia. Un film à l'image de ses précédents, long et méditatif qui se raconte en apnée pour nous laisser le temps de reprendre notre souffle et l'apprécier, surtout avant de nous replonger dans les abysses du glauque, parfois, du néant, du chaos, mais de l'espérance aussi, un peu. De l'utopie résurgente qui se déploie tel un phénix dans une démarche formelle esthétique, non pas éblouissante, mais raffinée, tendue par ce jeu d'ombre et de lumière, de couleur et de bande son qui insuffle une crudité d'une rare densité esthétique dans toute cette vérité des choses. L'ex-professeur à l'Ecole des beaux-arts d'Alger et photographe aime soigner ses plans. C'est une évidence et si les parties de son film paraissent parfois décousues, l'image, elle, est d'une saisissante expressivité. Ce fou du cadrage se moque de l'artifice ramenant ses personnages au degré zéro de la sensation, telles des «membranes qui reçoivent des ondes qui vibrent aux sensations qui les entourent». Revolution Zendj est donc un constat d'un état d'âme et partant, de l'état dans lequel est plongé le monde, en attendant le grand saut. Faut-il une révolution pour faire changer les choses? se demande-t-on dans le film. La question reste posée.