Des strophes ciselées comme des quatrains de Khayyâm. «Layla, si vous avez vu les yeux qu'elle a» chante Francis Cabrel. «Layla, besoin de toi», lui répond en écho Youcef Merahi . Parce que c'est elle, et parce que c'est lui, Youcef Merahi nous invite à une re-lecture et à un autre effeuillage de Lila la fleur, de Layla la nuit, en convoquant tous ses amis poètes de jadis et naguère. Qaïs, d'abord, le majnoun de Layla, et puis Aragon, le fou d'Elsa, qui savait qu'il n'y a pas d'amour heureux, ensuite le veuf, le ténébreux, l'inconsolé Nerval, qui fit son voyage d'Orient mais ne sut pas consumer sa corde, comme se consume une bougie sous les caresses de la flamme. Et enfin, bien sûr, le fou de Fatma, qui alla noyer son chagrin au-delà des océans : El Hasnaoui. Le recueil Les 101 nuits de Layla de Youcef Merahi aurait pu renvoyer à l'éternelle Shéhérazade, celle-là qui sut dompter par la fresque tissée de ses contes, un roi sanguinaire et coupeur de tête, mais il renvoie plutôt à Qaïs des Mouaqallat, le poète préférant les arômes du désert arabique, ses bivouacs et ses feux de camp, aux dédales de Bagdad la tumultueuse, à ses palais enchanteurs. Un seul poème. Cent et une nuits. Des strophes ciselées comme des quatrains de Khayyâm, Omar de son prénom. Ce poème aux 101 haltes est un voyage sans viatique, un va-et-vient lancinant entre l'Orient et l'Occident, entre Mezghena, l'espace de ses amours, et l'Arabie, le désert de ses désirs, et la mer immorale d'un Qaïs qui n'est peut-être qu'un imposteur qui prétend aimer. Mais pourquoi aimer, puisque la femme, par définition, n'est que mensonge et démence? Et puis... Layla, le poète n'a jamais raison Il dorlote son rêve et oublie de vivre Le bougre ! Ainsi parle Youcef Merahi, énarque, qui a occupé divers postes de responsabilité, dont celui de directeur de la réglementation et des affaires générales (Drag) à la wilaya de Tizi Ouzou (de 1990 à 1995). Il assure depuis 1998 à ce jour, la fonction de secrétaire général au Haut Commissariat à l'amazighité. En outre, il a collaboré à divers journaux et revues en tant que chroniqueur et critique littéraire, en utilisant parfois le pseudonyme d'Idir Illyès. L'Unité, Algérie Actualité, Révolution africaine, Le Pays, Algérie Hebdo et Izuran sont les titres où il a publié ses écrits. A côté de ses nombreux recueils de poèmes, on retiendra surtout un ouvrage magnifique qu'il a publié en 1998 sur le regretté Tahar Djaout, intitulé «Tahar Djaout ou les raisons du cri» à Top Edition. Ainsi, le poète insatiable poursuit sa quête, sans parvenir à mettre un garrot à son coeur, dans le flot impétueux d'un amour géologique et géographique qui s'égaille dans les veines malgré... L'infidélité qui se brise comme la vague sur le récif Mer, désert, eau, salive, embarcadère, parole et silence, présence et absence, chant de la douleur et de l'orgasme qui annule les distances. Layla, écoute le chant de Qaïs monter du môle d'Alger Parce que sa légende est bâtie sur l'eau, esquif impotent, le poète a passé son temps à rêver, à défaut de vivre, le temps ayant désormais pris la forme d'un noeud coulant, comme le fit jadis la corde de Nerval. A force de rêver de blé , il moissonne la douleur d'aimer. Seul le nom de Layla abolit la durée. Entre jadis et naguère, les nuits se suivent, fécondées par l'amour. A la 48e nuit, voici le rêve de Antar, naufragé andalou, échoué à Bgayet. A la 57e nuit, Sisyphe n'a plus le temps, lui qui est condamné pour l'éternité à pousser son rocher. Et à la 62e nuit, le poète à jamais reste dans la folie de Qaïs, «la cendre de tes cendres». Bien sûr, il parle à Layla, femme au nom de nuit : Avant toi les ténèbres ! Après toi les ténèbres ! Youcef Merahi a également publié le Journal d'un Kabyle aux éditions Sabrina, comme le fit naguère son aîné Mouloud Feraoun. «Je veux mettre tout à l'intérieur d'une phrase», dit-il au tout début de ce journal de 120 pages, tout en avouant : «J'ai peur que ce journal ne devienne une galerie où j'accrocherai, jour après jour, les victimes de la barbarie et de l'intolérance.» C'est vrai, un journal ne peut être que le miroir du contexte dans lequel il est écrit.