Le timing choisi par le Cnapest pour relancer son mouvement de grève n'est pas fortuit. La pratique syndicale en Algérie a connu plusieurs phases. Il se trouve qu'elle traverse ces dernières années l'une des étapes les plus dynamiques de sa courte existence, mais un dynamisme qui prend des allures inquiétantes, sachant le caractère souvent maximaliste des revendications des syndicats, notamment ceux du secteur public. Le monde du travail en est arrivé à cet extrême du fait de plusieurs facteurs, dus essentiellement aux circonstances de l'éclosion de syndicats autonomes. Ces derniers ont vu le jour dans une conjoncture socio-politique particulière. Ils ont vu leur parcours freiné par la suspicion nourrie à leur égard par le pouvoir politique. Lequel a tenté de minimiser leur poids réel au sein de la société. A cette entrave, est venue se greffer la dégradation de la situation sécuritaire qui a mis tout le pays en état de psychose. Au plan syndical, à l'exception du Conseil national des enseignants du supérieur (Cnes) qui a fait parler de lui, les syndicats autonomes n'existaient que symboliquement à travers de petites initiatives, souvent sans impact sur l'opinion. Ainsi, de 1992 à 2000, le pluralisme syndical n'était visible qu'à travers les sigles des différentes organisations des travailleurs et autres communiqués de dénonciation. Seul grand syndicat à occuper le devant de la scène, l'Ugta qui, dans le milieu des années 90 avait réussi la plus grande grève générale nationale, jamais organisée dans l'histoire de l'Algérie indépendante. Le mastodonte syndical s'est imposé comme seul interlocuteur du pouvoir et également son allié, lorsqu'au nom de la sauvegarde de la République, il a apporté son soutien à la candidature de Zeroual en 1995 et de Bouteflika en 1999. Agissant comme un rouleau compresseur, la centrale syndicale a écrasé toute velléité d'organisation autonome, aidée en cela par un pouvoir qui n'a pas voulu voir l'émergence des autres organisations des travailleurs. Tant que les tentatives de grève nationale sectorielle se soldaient par des échecs, le gouvernement était conforté dans sa démarche privilégiant l'Ugta en tant que partenaire unique. Seulement, ce que le pouvoir et l'organisation de Sidi-Saïd n'ont pas vu venir, c'est cette nouvelle forme d'expression syndicale, dure, jusqu'au-boutiste et porteuse de revendications parfois impossibles à satisfaire. C'est ainsi qu'à la faveur du rétablissement de la sécurité, de nouvelles entités syndicales voient le jour et parviennent à fédérer, en un temps record, l'ensemble des travailleurs du secteur dans lequel lesdits syndicats exercent leur influence. C'est le cas de la Coordination nationale des enseignants du secondaire et technique (Cnapest) et des deux syndicats des praticiens de la santé publique (Snpsp et Snpssp). Ces organisations syndicales ont réussi la gageure de mobiliser une écrasante majorité du personnel, ce que n'ont pas pu réaliser les autres syndicats autonomes des années 90. Cependant, contrairement à la méthode de l'Ugta qui met en avant des revendications «responsables» et privilégie la négociation, les nouveaux syndicats se distinguent par leurs positions radicales fermant les portes à toute forme de concession quelle qu'elle soit. Cette forme de lutte syndicale est vue par de nombreux observateurs comme un glissement susceptible de conduire à une situation d'impasse qui paralyserait des secteurs entiers comme par exemple pour l'éducation où on a frôlé l'année blanche dans les lycées de la République. A l'origine, une revendication qui tablait sur une augmentation de 100% du salaire des enseignants. A part le contexte politique qui diffère de celui du début des années 90, la démarche syndicale actuelle ressemble étrangement à celle du Syndicat islamique du travail. Il est vrai que les syndicalistes version 2004 se refusent de tomber dans le jeu politicien, mais force est de constater qu'en termes de discours, ils font preuve d'un certain populisme qui n'est pas pour arranger les choses dans de nombreux secteurs d'activité.