Le prévenu, qui a d'emblée contesté la légitimité du tribunal, a dénoncé les conditions dans lesquelles s'est déroulée l'audition. C'est un Saddam Hussein lucide, agressif et surtout virulent à l'égard de ses juges, qui a comparu jeudi devant le tribunal spécial irakien. Agé de 67 ans, amaigri, l'ex-président irakien, qui risque la peine de mort, rétablie le jour-même de sa remise aux autorités irakiennes, a été conduit au tribunal sous haute sécurité. Menotté et enchaîné à bord d'un bus blindé, escorté de véhicules blindés américains et d'une ambulance, il en est descendu escorté par deux gardes irakiens, tandis que six autres étaient en faction devant la porte du tribunal. L'audience a duré trente minutes. Vêtu d'un costume gris et d'une chemise blanche sans cravate, Saddam Hussein s'est vu enlever les menottes avant le début de l'audience. Les images diffusées par les télévisions du monde ont montré un homme amaigri mais lucide et alerte, la barbe poivre et sel, répondant à des questions du juge et prenant des notes sur un bout de papier. Ce sont les premières images de l'ex-président depuis celles montrées après sa capture par l'armée américaine le 13 décembre 2003 dans le nord de l'Irak. A la seule différence que cette fois l'ex-président irakien a retrouvé le sens de la répartie et maîtrisait bien son «sujet». Après la lecture de l'acte d'accusation par le président du tribunal, Saddam Hussein invité à décliner son identité lance sur un ton sévère: «Je suis Saddam Hussein al majid, président de la République d'Irak». Avant que le juge ne l'interrompe : «Ex-président...» Non, martèle l'inculpé, «je suis le président irakien en exercice». Le prévenu qui a d'emblée contesté la légitimité du tribunal qu'il a assimilé à un «théâtre» destiné à soutenir la campagne électorale du président américain George W.Bush, a dénoncé les conditions dans lesquelles s'est déroulée l'audition. Il s'est même permis de s'arroger les attributions du juge en se transformant en accusateur. En effet, à une question de savoir pourquoi il avait annexé le Koweït en août 1990, Saddam rétorque : «Comment pouvez-vous défendre ces chiens qui allaient faire des Irakiennes des prostituées pour dix dinars!» Avant de poursuivre : «Je suis entré au Koweit car les Koweïtiens achetaient des femmes irakiennes pour dix dinars». Pour Saddam il s'agissait de laver l'affront et de sauver l'honneur des Irakiens souillé, dit-il par les Koweïtiens. Au fur et à mesure que l'audience se poursuivait, le «rais» tantôt haussait le ton et tantôt il restait calme, en fonction des questions qui lui sont posées. D'ailleurs, à propos du gazage des Kurdes de Halabja, le président déchu répond sur un ton cynique : «J'en ai entendu parler». Comme pour dire à son interlocuteur que cette tragédie n'est pas sa responsabilité à lui seul. Après avoir perdu tous ses proches, notamment ses deux fils Oudai et Koussai morts au combat, Saddam n'a désormais rien à perdre. Il a même refusé, vu l'absence de ses avocats interdits d'entrer en Irak, de signer l'acte d'accusation. Il le fera d'ailleurs remarquer sur un ton serein au président du TSI. Ce, contrairement à ses 11 autres coaccusés, qui eux ont apposé leur signature, sans sourciller sur le document en question. La comparution de Saddam Hussein devant le tribunal spécial irakien est, en dépit de sa courte durée, révélateur de ce que sera son procès. Lequel procès prendra plus d'un mois, estime le Premier ministre irakien, Iyad Allaoui. Le jugement de Saddam pourrait estiment certaines sources, faire toute la lumière sur les pays ayant soutenu le régime de l'ancien maître de Bagdad.