Un mal qui ronge la Casbah: des maisons qui tombent en ruine chaque jour «La responsabilité n'est pas indue aux cadres, c'est la politique du ministère qui est à revoir. Il faut vous associer à nous...», a déclaré la ministre suivie de forts applaudissements. Architectes, archéologues, chercheurs et autre experts du domaine se sont donné rendez-vous lundi dernier à la Bibliothèque nationale d'El Hamma lors d'une table ronde autour du patrimoine animé par la ministre de la Culture et modéré par le directeur de l'Epau. D'emblée, Mme Nadia Labidi fera remarquer que le patrimoine constitue un point important voire le premier chapitre des préoccupations du président la République, arguant que c'est aussi l'une des priorités majeures du gouvernement. Elle fera remarquer, en outre, que c'est un secteur où tous les autres départements ministériels doivent rentrer en ligne de compte et qui nécessite une participation vaste de tous les concernés pour mettre en place des mécanismes efficients. «Le patrimoine n'est pas une question de monopole du ministère de la Culture. Seulement, il y a certaines dispositions et des rectificatifs à apporter pour que tout le monde se sente concerné. Il y a une responsabilité partagée en ce qui concerne la protection de l'environnement. J'avoue que je suis en train d'apprendre avec vous de vous (...) J'ai constaté d'après la première rencontre une forme de colère chez une partie des architectes. Or, nous avons une responsabilité collective à jouer pour la sauvegarde de notre patrimoine matériel et immatériel. Le ministère de la Culture est à votre service, ses portes sont ouvertes. Il faut trouver les mécanismes qui permettraient de mettre en application vos doléances» a-t-elle lâché avant d'ouvrir le débat à l'assistance fort nombreuse et bien passionnée ce jour-là, allant jusqu'à la complainte et le cri du coeur qui, venant de la part de certains, a ému la salle. Parmi les doléances des intervenants, on citera la nécessité de mettre en valeur la ville de façon à être en adéquation avec l'image de son patrimoine et le développement local et national, sans oublier la formation dans la restauration. Au chapitre Casbah, beaucoup a été dit, notamment par le fameux Babaci qui soulignera, à juste titre, qu'«il y a beaucoup de retard accumulé et des choses à rattraper. (...) Il est difficile d'aller vers les gens et leur demander de faire des diagnostics de leurs maisons car cela veut dire les reloger..» et de renchérir: «Faisons vite. On demande un bilan et on voit. Nous avons déjà restauré 55 maisons mais faut-il avouer qu'on ne travaille pas à l'aise à la Casbah. Les gens n'attendent que le relogement...» Le vol, le patrimoine dérobé et les incohérences dans la gestion supposé du Cnprh a été le point soulevé par une autre personne, tandis que des propositions concrètes ont été avancées par quelqu'un d'autre. On citera la nécessité de l'implication de la société civile dans la sensibilisation au patrimoine, l'installation d'un observatoire préventif de grands travaux d'aménagements, la création d'un conseil national valorisant la recherche archéologique et enfin la constitution d'un comité d'éthique chargé dévaluer les données, plutôt que par des bureaucrates administratifs du ministère. «L'Algérie est un grand chantier» dira cette dame appelant à la prise en charge en amont des projets des travaux publics en corrélation avec les autres départements mais aussi la constitution de réserves archéologiques pour sauver le patrimoine. Le déclassement du site des abattoirs d'Alger pour le céder comme espace au prochain Sénat est une question posée avec acuité par ce jeune étudiant en architecture. Question restée lettre morte puisque le coordinateur a bien spécifié: «On ne va pas vous répondre pour l'instant à cette question, peut-être après...» ne mâchant pas ses mots, une autre dame, bardée de diplômes avait aussi gros sur le coeur. Elle fera savoir être marginalisée et écartée par le système depuis des années, dénonçant d'emblée «l'état de clochardisation du patrimoine, le laxisme des autorités compétentes et les pratiques autocratiques et délictuelles de certains qui l'ont bercée d'illusions pendant 12 ans». L'écartement de certains professionnels compétents et le mal qui ronge le patrimoine sont les points dénoncés par M.Khelifa qui soulignera avec virulence la déliquescence des sites et musées archéologiques et l'absence totale de gardiens sur les sites archéologiques pour les protéger. «Ce n'est pas le juridique qui renforce le patrimoine. C'est le terrain. La Casbah est trois fois classée, cela n'empêche pas qu'il y ait toujours des maisons qui tombent», dira M.Khelifa qui a eu pour simplifier son idée, à comparer le patrimoine au cinéma, affirmant à la cinéaste devenue ministre de la Culture, qu'on ne peut tourner un film en demeurant assis sur une chaise... Dernier point évoqué par ses soins est le coût du ticket d'entrée au musée, de l'ordre de 200 DA, jugé honteux. Prenant à nouveau la parole, la ministre de la Culture dira qu'il faut établir d'ores et déjà, des commissions mixtes avec plusieurs conventions, notamment avec le ministère des Travaux publics, de l'Enseignement supérieur pour sensibiliser aux visites des musées par les enfants à travers des équipes de recherche, la réunion avec les directeurs des 48 wilayas, les architectes et archéologues. «La responsabilité n'est pas indue aux cadres, c'est la politique du ministère qui est à revoir. Il faut vous associer à nous. Un cadre du ministère n'est pas votre ennemi. C'est dans nos moyens de rectifier et de corriger. Les cadres du ministère ne sont pas responsables, c'est la politique du ministère qui n'est pas orientée dans le bon sens. Les cadres sont là pour veiller... ensemble...» achèvera-t-elle de dire avant de céder encore la place aux revendications, après plus de trois heures de débats intenses.