L'homme au creux de l'éternel Après la Traversée, film documentaire qui suit par bateau des milliers d'Algériens entre Alger et Marseille, la réalisatrice française quitte la mer Méditerranée en direction du Grand Sud algérien. At(home) documentaire de 54 mn, projeté au 3e jour des Rencontres cinématographiques de Béjaïa, va nous plonger dans un passé trouble de l'Algérie, celui dont les autorités n'en seraient pas très fiers aujourd'hui, mais qui a pourtant bel et bien existé. Deux parties constituent un peu ce film. Il y a celle qui fait référence aux traces des essais nucléaires français après l'indépendance de l'Algérie dans le désert et la seconde évoque les retranchés algériens ayant été jetés là-bas dans les années 1990 après l'éviction de l'ex-FIS des élections. Tout d'abord, il faudra souligner le fait que c'est la première fois que ce sombre épisode de l'Algérie est évoqué au cinéma et doublement avec une telle intense beauté des plus désarmantes. Plus de 50 ans après la fin de la guerre, une cinéaste, Elisabeth Leuvrey et un photographe Bruno Hadjih, vont revenir sur les lieux du crime commis des années plutôt pour faire parler la terre et les hommes, en sons, couleurs et images époustouflantes. Ce film prend l'allure d' une photographie à même de capter le pouls de cette nature asphyxiée et dématérialisée qui a subi des modifications biologiques à cause des fameux essais nucléaires dont un des plus virulents, provient notamment de l'accident de Beryl. Avec le photographe, la réalisatrice ira filmer dans le village de Mertoutek pour nous faire sentir l'état de désolation de ce no man's land, résultat du drame de ces exercices postcoloniaux qui ont fait des ravages parmi la population, la faune et la flore. Ne pas travailler sur le vide, mais plutôt l'aura de ce qui fut jadis est le pris à partie de Bruno Hadjih qui, avec ses sublimes photos est arrivé par effet de distanciation extraordinaire à arrêter le temps par ses images et portraits d'hommes et de femmes fascinants et intrigants à la fois. Dilater le cadre et accentuer la profondeur de l'image pour en extraire la quintessence de sa chimie est un moyen efficace à même de surévaluer le miroir chromique de l'image et faire naître en nous des sensations fortes. Des sensations fortes, c'est le maître-mot quand on regarde ce film qui, pourtant, est loin de montrer l'atrocité des retombées de ces essais nucléaires. At(home) se plaît à l'effleurer du bout des doigts par touches de poésie évidentes et de silence sidéral qui témoigne de l'ancrage spatio-temporel de ses effets qui perdurent jusqu'à aujourd'hui. Une montagne secouée, un tremblement de terre qui détruira tout sur son passage et le silence aussi des autorités sur ces exercices de la honte, tolérés dans le cadre des accords de cessez-le-feu entre la France de De Gaulle et l'Algérie. Mais pourquoi a-t-on envoyé les barbus dans ces camps où la vie a cessé d'exister? se demandera aussi le photographe dont la notion même de désintégration atomique est fortement évoquée dans son film. «Convoquer l'histoire pour interpeller les consciences» est le propos assumé par le photographe qui dira s' «intéresser d'abord, à l'homme en tant qu'entité existentielle et philosophique et non pas idéologique». Questionner aussi la nature humaine semble ici tout aussi évident que vouloir remettre en cause la notion de l'utilité de l'art dans l'essence même de la subversion endémique. Les portraits humains tout comme ces étendues de terre écorchées, sont des signes pour dire l'éternel dualité et contraste entre le chaos et la beauté, le bien et le mal. Sublimer le réel pour le faire naître à nouveau tout en traitant d'un sujet aussi grave est une expérience des plus singulières prouvant que l'esthétique peut être au service du politique avec sa sincérité et audace tout en ouvrant le champ des possibles interprétations au voyage de l'imaginaire, car le cinéma est avant tout le rêve. Le documentaire ne devrait être que cela en fait, des mots sur des images pas très bruyantes, mais suffisamment bouillonnantes pour exprimer tout le souffle de l'homme, sans autre grand discours, qu'un regard, une lumière, une atmosphère, une imagerie cognitive qui s'insinue dans l'esprit pour le marquer à jamais. En somme, un peu comme le mot «je t'aime»... At(home) mène l'expérience haut la main en évitant le patos du démonstratif, mais en affichant différemment à faire exprimer le néant, avec force caractère via des images saisissantes et émouvantes qui, justement, vous renvoient à une époque et une autre, sans trop d'objectifs que de dire l'éternité des choses immuables et en restituer l'âme vivante de cette région qui se meurt encore...