Projeté, en présence de la réalisatrice, avant-hier soir, en plein air au Centre d'études diocésain – les Glycines, à l'occasion de la sortie en librairie du coffret livre-dvd coédité par les éditions Barzakh et les éditions Ecrans du Large, le remarquable documentaire d'Elisabeth Leuvrey donne la parole aux émigrés-immigrés dans l'espace neutre de la mer. "Partir, c'est mourir un peu", disait le poète. Mais est-ce que c'est mourir que de partir et revenir, de faire des allers-retours ? D'après les témoignages des passagers du documentaire la Traversée d'Elisabeth Leuvrey (projeté avant-hier soir, en plein air au centre d'études diocésain – les Glycines, à l'occasion de la sortie en librairie du coffret livre-dvd coédité par les éditions Barzakh et les éditions Ecrans du Large), il semblerait que la préparation à la mort et à la "résurrection" une fois arrivé quelque part, se fait lors de la traversée en mer. "Chaque été, ils sont nombreux à transiter par la mer entre la France et l'Algérie, entre Marseille et Alger. Des voitures chargées jusqu'au capot... des paquetages de toutes sortes... des hommes chargés de sacs et d'histoires. En mer, nous ne sommes plus en France et pas encore en Algérie, et vice-versa." Dans ce film où on ne voit que les départs, jamais les arrivées, qui réunit des images de 20 traversées à bord de l'Île de Beauté (Alger-Marseille) étalées sur un été, la caméra suit... va à la rencontre des passagers au beau milieu de la Méditerranée. La mer devient ainsi un lieu neutre, un entre-deux où s'expriment toutes les angoisses, les culpabilités, les frustrations mais aussi les espoirs, les rêves, les souvenirs et les attentes. Lors de la traversée, les langues se délient, les passagers échangent entre eux, mais ces bribes de discussion que la réalisatrice arrive à saisir témoignent, à la fois, d'un sens du discernement mais aussi d'une conscience de leur situation complexe. Au beau milieu de la Méditerranée, la traversée donne lieu à des confessions, à un dévoilement. La Traversée, qui traverse la mer et l'âme des passagers, n'est pas uniquement un film sur l'histoire d'une relation passionnelle, compliquée et pas tout à fait apaisée entre la terre d'accueil et celle des origines. Les choses sont à envisager autrement. Dans ce beau film, il semble difficile pour les "personnages" d'appartenir à un espace géographique, à construire leur identité qui est forcément plurielle et souvent douloureuse. Et puis tout est flottant dans cette mer qui absorbe tout, notamment l'angoisse des retrouvailles et le souvenir des gens et des espaces. On tangue d'une histoire à une autre, on découvre qui sont ces émigrés-immigrés qui cherchent une place, leur place, dans et entre deux mondes. Les propos laissent entrevoir chez les passagers une envie d'appartenance mais qui serait justement dans l'entre-deux. A la question "qui-suis-je", Ben, un des intervenants dans le documentaire dont le témoignage est traversé par une saisissante lucidité où l'on décèle tout de même une faille...indescriptible, ébauche un élément de réponse, en se demandant : "Est-ce que ça existe, quelque chose qui ne serait ni l'un ni l'autre ? Je sais pas. Pour l'instant, on ne débarque pas. L'idéal serait peut-être d'arriver à faire de deux mondes, un troisième monde." Sara Kharfi Coffret la Traversée (film, bonus, livret) d'Elisabeth Leuvrey. Coédité par les éditions Barzakh et les éditions Ecrans du Large. 1 000 DA. Bio Express : Née en 1968 à Alger, Elisabeth Leuvrey a suivi des études à l'Institut des langues orientales de Paris. Une rencontre déterminante avec le cinéaste Jean-Luc Leon lui ouvre les portes du cinéma documentaire. Elle réalise son premier court métrage Matti Ke Lal, Fils de la Terre en 35 mm, en Inde en 1998. Elle entreprend ensuite la réalisation de la Traversée, sorti en salle en 2013 en format long métrage d'1h12. En 2013, elle réalise At(h)ome et Oh, Tu tires ou tu pointes ? Nom Adresse email