Bruno Hadjih sillonne l'Algérie depuis 1995. Il y a consacré plusieurs travaux dont l'exposition «Dans l'ombre chaude algérienne…» qui relate la mutation de la société algérienne. Elle se tient au Centre culturel français de Tlemcen jusqu'au 21 décembre. - Pourquoi avoir choisi la photo pour vous exprimer ? Enfant, je vivais en Kabylie et je me demandais toujours ce qu'il pouvait bien y avoir derrière ces collines qui me barraient l'horizon. A 12 ans, j'ai fait ma première fugue-voyage. Au même âge, j'annotais des légendes sur des photos circonstanciées et informatives. De là m'est venue certainement l'attirance pour le photo-journalisme. La photo me semblait certainement le meilleur média pour montrer et dire le monde tel que je le ressens et tel qu'il me questionne. De plus, la photographie a un langage universel qui se joue des contraintes linguistiques inhérentes aux cultures. - Vos études en sociologie, plus précisément en anthropologie et sciences des religions, ont-elles influencé vos choix de reportages ? Des rituels mortuaires à Madagascar à mon travail de plus dix ans sur le soufisme, de mon travail sur les chrétiens d'Algérie à mon intérêt porté à la jeunesse algérienne, je travaille sur le clivage homme/environnement. Comment l'homme s'inscrit dans son milieu à travers le prisme de ses pratiques culturelles et celui de ses convictions religieuses. Donc au-delà de l'empreinte de la sociologie, science qui cherche à dresser de grandes orientations dans la matière humaine, je vais vers l'homme et vois comment il dévie, sublime, réoriente, s'oppose à son milieu. De là peuvent naître les balbutiements d'une vérité temporelle. - L'Algérie est un de vos sujets de prédilection, vous y avez consacré plusieurs travaux dont l'exposition «Dans l'ombre chaude algérienne…» qui raconte une Algérie au lendemain de la décennie noire, pourquoi ce thème spécifiquement ? L'Algérie me touche puisque j'y suis né. L'exposition «Dans l'ombre chaude algérienne…» veut certainement montrer au fond comment la jeunesse algérienne, malgré les périodes de pic de fanatisme religieux, la méfiance et les violences qui en ont découlé, conserve toute sa vitalité, son audace, son envie de liberté et sa fougue. Je pense que c'était un pied de nez nécessaire face justement à cette «décennie noire». Une façon de dire indirectement que l'Algérie renaîtra de ces cendres-là aussi. Et le prouver in visu. - Pourquoi avoir fait le choix du noir et blanc ? Montrer la force vitale de cette jeunesse à travers la couleur aurait été trop attendu. Le noir et blanc, outre avoir mis en valeur les ambiances de nuit, a ôté tout parti pris à ma démarche. Le vent nouveau qui émane de cette jeunesse mutilée, tient davantage à la dynamique des mouvements qu'au soleil irradiant. Dégager ce dynamisme à travers le noir et blanc provoque un double retournement. - Vous avez travaillé sur la mutation de la société algérienne et vous travaillez également sur la mutation du Sahara algérien, où en est votre projet ? Mon projet se développe en trois volets. «Les moissonneurs du désert» s'intéresse aux hommes qui, de leurs mains, transforment cet espace a priori aride, en zone fertile et productrice. «L'urbanisme saharien» observe les mutations de population : nomades qui se sédentarisent, ruraux qui s'exilent vers de nouvelles villes, construites hâtivement. L'archéologie de la mémoire saharienne s'interroge sur l'empreinte que le désert laisse sur l'homme. Là encore, mon regard oscille entre l'empreintelaissée par l'homme sur un milieu a priori sublime et hostile à toute domestication et l'érosion subie par les corps, en particulier les visages et les mains face à l'activité des éléments. La finalité du travail reste de l'inscrire in situ, par une installation de tirages grand format dans les zones où j'ai travaillé, en répercutant cette actualité dans une galerie. - D'autres projets en perspective ? Le travail sur la mutation du Sahara algérien a ouvert d'autres perspectives d'approches insoupçonnées. Qui dit urbanisation, dit réflexion sur les déchets et pollutions qu'elle engendre. Je me suis donc retrouvé à travailler sur les zones des essais nucléaires français, post-indépendance, converties ensuite en camps d'incarcération destinés aux islamistes algériens. Ces actions ne sont pas sans avoir créé des dommages collatéraux. Cela m'a amené à rencontrer les habitants du village de Mertoutek, situé non loin de là, dont les vies ont été brisées par la maladie suite à ces expérimentations. Des dossiers entiers d'histoire et de politique contemporaines s'ouvrent à moi. Elles sont d'autant plus problématiques, riches et complexes qu'elles posent la question de la responsabilité des nations.