Les inquiétudes de cette catégorie de malades sont multiples. Les diabétiques algériens sont inquiets pour leur vie. La Fédération algérienne a regroupé, jeudi dernier à l'hôtel El-Djazair, les associations de l'ensemble du pays qui représentent 2 millions 200.000 malades pour débattre et se positionner par rapport au retour annoncé sur le marché algérien, de l'insuline de l'importateur danois Novo Nordisk. Les diabétiques algériens connaissent bien cet importateur. «Il nous a menés en bateau pendant 17 ans, nous faisant croire qu'il allait investir dans la production d'insuline en Algérie», s'insurge M.Mourad Ouhada président de la Fédération algérienne des diabétiques. En effet, après avoir, à la fin des années 1980, réalisé une étude de faisabilité, ce laboratoire a «traîné les pieds». Il a fini par accepter en 1994 de signer un protocole d'accord avec les 3 pharms (sociétés nationales du médicament) et le laboratoire français Pierre Fabre pour la création de la société Aldaph (de droit algérien) pour la production d'insuline avant 1999. Malheureusement les 3 sociétés nationales disparaissent dès le début de l'ouverture économique du pays. Le projet tombe à l'eau. Dès sa venue en 1995 à la tête de Saidal, Ali Aoun secoue le cocotier et décide de remplacer les 3 pharms disparues dans le capital d'Aldaph. La première pierre de l'usine d'insuline est posée par le ministre de la Santé de l'époque, M.Yahia Guiddoum. Première fausse joie des diabétiques. Novo Nordisk et Pierre Fabre prétextent «l'inconstructibilité du site». Le projet est reporté. La wilaya de Tizi Ouzou propose alors le site de Oued Aïssi à un prix 10 fois moins cher que sa valeur. Cette fois les Danois invoquent les conditions sécuritaires et la situation en Kabylie. Le projet ne sort pas des cartons et la société Aldaph se maintient dans la seule importation. «Il est clair que l'importation est plus juteuse que l'investissement» fait remarquer un participant à la réunion d'avant-hier. Le marché algérien de l'insuline est fourni par l'unité de production de Novo Nordisk installée à Chartres (France). Avec tous les désagréments que peut induire un tel monopole et notamment les ruptures de stocks cycliques particulièrement en été durant les congés. «Novo Nordisk s'est jouée à maintes reprises de nos vies», s'emporte le président de la fédération. Excédé par les atermoiements de la société danoise, le Professeur Aberkane, ministre de la Santé décide en 2002 de retirer l'agrément d'importation à la société Aldaph conformément à la loi qui impose aux importateurs d'avoir à investir dans les deux années. Ce qui n'était pas le cas. Un défi s'imposait alors à l'algérie: trouver une autre solution au problème de l'insuline. C'est Saidal (premier groupe algérien du médicament) qui la propose en annonçant son intention de monter seule et sur ses propres fonds une unité de production d'insuline. Beaucoup ne l'ont pas cru capable d'un tel projet et l'ont mis sur le compte du bluff. Pourtant le projet avance. Les travaux démarrent sur le site de l'unité Saidal de Constantine pour des commodités évidentes. L'assistance technique et l'accompagnement nécessaire sont assurés par Aventis société franco allemande. L'accord a été signé au cours de la visite de Jacques Chirac en Algérie. Mais le réchauffement des relations algéro-françaises, n'est pas la seule motivation. Le choix d'Aventis par Saidal pour ses approvisionnements en cristaux liquides (matières premières) pour sa production d'insuline est naturellement attractif. Et en attendant le démarrage de l'usine, Aventis est chargée de l'importation de l'insuline nécessaire aux diabétiques. Ce qui a commencé dès le début 2004. «A ce jour, le marché est suffisamment alimenté par Aventis sans aucun problème de disponibilité. Le retour de Novo Nordisk dans l'importation ne se justifie pas par conséquent», s'étonne le représentant d'une association de l'intérieur du pays. Pour le représentant du ministère de la Santé, M.Slim Belkessam le retour de Novo Nordisk est dicté par la loi .«Quand la société danoise s'était mise en infraction avec l'obligation d'investir, nous lui avions retiré l'agrément. Aujourd'hui elle s'est mise en conformité avec la loi en réactivant son projet et en déposant une caution de 20 millions de dollars. Voilà pourquoi l'agrément lui a été rétabli» explique-t-il. Ce qui n'a pas l'air de convaincre les participants puisque l'un d'eux nous déclare : «On ne comprend pas comment et pourquoi il a été dérogé en juillet au programme d'importation 2004 arrêté annuellement sans qu'aucune urgence d'approvisionnement ne puisse être avancée. Vous savez qu'en matière d'insuline, il y a une période d'adaptation. Aujourd'hui les diabétiques algériens tolèrent très bien le produit Aventis que Saidal se prépare à produire à l'identique. On veut aujourd'hui leur demander de changer. A la limite, on aurait pu accorder à Novo Nordisk l'importation d'autres médicaments que l'insuline. La gamme est riche. La puissance publique doit jouer son rôle de régulateur. De plus, Novo Nordisk n'en n'est pas à sa première promesse d'investir. Les 20 millions de dollars sont en Algérie depuis la création d'Aldaph. Nous sommes inquiets car nous savons que c'est la énième manoeuvre de Novo Nordisk pour entraver tout projet de production. C'est le projet de Constantine qui est visé.» En effet des informations font état d'un possible retrait d'Aventis de sa relation avec le groupe algérien en matière d'assistance et de fourniture de matières premières en faisant valoir la clause «d'exclusivité» figurant sur le contrat. «Aventis n'a jamais été demandeur d'une quelconque commercialisation de l'insuline. Le gouvernement algérien a fait appel à nous et nous avons répondu positivement», tient à préciser le représentant d'Aventis présent à la rencontre. Les inquiétudes des diabétiques sont multiples. «On ne laissera pas remettre en cause le projet de l'insuline algérienne, et on ne laissera pas Novo Nordisk jouer une nouvelle fois avec nos vies», martèle le président de la Fédération sous les applaudissements des représentants d'associations de l'ensemble du pays. Au terme de leurs travaux, les représentants des diabétiques algériens ont décidé d'abord le boycott de l'insuline de Novo Nordisk et ensuite de saisir le ministre de la Santé pour exiger le retrait de l'agrément à Novo Nordisk. «Nous n'attendrons pas plus de huit jours la réponse ! L'insuline c'est nous qui la consommons et nous avons notre mot à dire», dit, le ton grave, M.Mourad Ouhada. Rendez-vous donc la semaine prochaine pour connaître l'évolution de la situation.