«Lutter contre les groupes armés comme si la concorde civile n'existait pas.» «Je n'aime pas beaucoup ce qualificatif de ‘‘reddition'', dites plutôt que c'est là une nouvelle démarche pour emmener le maximum de nos frères qui sont encore au maquis à déposer les armes et bénéficier des dispositions de la réconciliation nationale. Les contacts avec nos frères n'ont jamais cessé, et ce sont ceux-là mêmes qui ont soutenu le président de la République, le 8 avril, qui sont aux avant-postes des négociations avec les groupes armés pour les convaincre de regagner leurs familles et leur vie d'avant le début des hostilités.» Madani Mezrag qui tenait ce discours, il y a quelques semaines, semble bien embarrassé aujourd'hui : «Nous n'avons pas compris pourquoi le pouvoir continue à donner une interprétation erronée à la concorde civile, qui est, en fait, une option de paix, choisie et plébiscitée par tout un peuple (plus de 90% lors du référendum de 1999). Les autorités continuent à donner des calmants et des drogues douces à un problème politique qui a commencé, il y a une douzaine d'années, par la répression, la violence d'Etat et la confiscation des libertés et des choix populaires. Nous ne sommes pas partisans d'un retour en arrière, mais il y a des mesures politiques et légales qui devaient être prises afin d'emmener le maximum de combattants à déposer les armes, et qui ne l'ont pas été. Le pouvoir continue, de manière tout à fait étrange, voire suspecte, à pervertir les vérités, ignorer les réalités et adopter des stratégies de défense ou de fuite en avant. On commence à nous poser la question de savoir si le pouvoir veut réellement aller vers une réconciliation réelle ou bien alors tente-t-il uniquement de gagner du temps et de se poser comme le champion d'une politique pacifique qui n'en est pas une.» Celui qui tient ce discours est pourtant l'un des plus farouches partisans d'une «solution négociée», au point de soulever contre lui l'hostilité de ses pairs islamistes. Madani Mezrag, qui est une pièce maîtresse de la trêve ANP-AIS décrétée en octobre 1997 et qui continue à ce jour à jouer son rôle d'incitateur des groupes armés disséminés dans les maquis de l'Est à déposer les armes, paraît en cet été 2004, bien indécis. En fait, il n'y a aucune politique suivie jusque-là et qui invite à voir clair. Les redditions enregistrées depuis la réélection du président de la République, le 8 avril dernier, sont en vérité très en deçà du tapage médiatique maintenu pendant plus de deux mois. Il semble que les redditions, annoncées en grande pompe, «dépassant les 300» «avoisinant les 800», ou qui sont le signe d'une «fin imminente des hostilités», voire même de «la victoire de la politique de concorde», n'ont été qu'un clin d'oeil fait par une partie de l'armée à l'endroit du président de la République. Car ne perdons pas de vue que la campagne électorale a été couverte par les rumeurs tenaces, et qui ont été confirmées, par la suite, que «l'aile éradicatrice de l'ANP n'envisageait pas de cohabiter cinq autres années avec Abdelaziz Bouteflika». «Les autorités continuent à donner des calmants et des drogues douces à un probléme politiques» C'est d'ailleurs cette même rumeur qui a pris à contre-pied nombre de centres de décision, qui, de fait, se sont ralliés à la candidature d'Ali Benflis, le secrétaire général du FLN et l'ancien dauphin du président de 1999 à 2003. Les annonces, chaque jour que Dieu faisait, de redditions en nombre impressionnant, étaient alimentées par le souci de cette aile militaire de se remettre dans le giron présidentiel, car entre-temps, Bouteflika avait raflé la mise, écrasé tout sur son passage et fait taire ses plus farouches opposants. La présence du chef d'état-major de l'armée au premier rang des officiels venus assister à la - seconde - prestation de serment du président, signifiait en même temps une allégeance sans faille et une nouvelle donne dans l'appréciation de l'hégémonie et des rapports de force entre la présidence et l'état-major de l'armée. De fait, on pouvait saisir au vol les nouveaux messages envo-yés au président de la République et qui reflètent clairement l'image des nouvelles dispositions de l'armée entière et son action à mener les derniers irréductibles à déposer les armes. Les correspondants locaux étaient abreuvés de ce genre d'informations par des «responsables sécuritaires» et, à leur tour, encombraient les fax de leurs rédactions centrales d'écrits portant sur les nouvelles redditions: 120 terroristes par-ci, 190 par-là déposaient «virtuellement» les armes. Chlef, Jijel, Skikda, Annaba, Bouira, Tizi Ouzou et Béjaïa étaient les nouvelles capitales de la reddition. La «une» des médias était très souvent consacrée à ces redditions et la presse internationale s'intéressait - de nouveau - aux nouveaux élus de la seconde concorde civile (la première eut réellement lieu et toucha près de 2000 islamistes armés de l'AIS, du GIA et de la Lidd stationnés à Jijel, Larbaâ, Médéa et Chlef). La très sérieuse chaîne de télévision qatariote Al Jazira annonça la reddition de 800 islamistes, le quotidien londonien Asharq Al Awsat daté du 23 avril annonça: «300 terroristes portent le drapeau blanc de la reddition», et les correspondants locaux voyaient dans chaque montagne «un camp de repentis» et décrivaient avec force détails, la «descente des maquis» des dizaines de terroristes du Gspc avec femmes, enfants, armes et bagages. Lorsque l'état-major de l'ANP voit que les choses sont allées très loin et que la nouvelle vague de repentis commença à ressembler à l'ancienne vague d'actions psychologiques, pas très crédibles, il mit fin à la rumeur en diffusant par le biais de la très officielle APS un communiqué qui dément toute négociation entre l'armée et les groupes armés. En fait, des redditions, il y en a eu, mais le nombre réduit interdit d'en faire grand tapage. En plus, des actions pareilles ont toujours eu lieu et n'ont jamais cessé et étaient menées par les familles des terroristes auxquelles les militaires accordaient des facilités de se déplacer dans les zones surveillées et de pouvoir contacter leurs enfants au maquis. Tous les chefes islamistes qui onts souscrit à la tréve et porté à bras-le-corps la concorde civiles, affichent aujourd´hui leur déception A Jijel, il y a en plus une vingtaine de repentis, confirmés par des chefs islamistes de la région et par des officiers militaires. A Bouira, il y a eu entre sept et dix au plus. A Sétif, Annaba, Bordj Bou Arréridj et Tizi Ouzou, le nombre total n'a pas excédé la cinquantaine, de plus il s'agissait d'hommes isolés de leur direction, de petits groupes réduits et délabrés, de recrues nouvelles et fatiguées par la vie des maquis, exceptionnellement d'éléments aguerris ou anciens du Groupe salafiste pour la prédication et le combat. Un officier de la 5e Région militaire, dont dépend principalement la lutte contre-insurrectionnelle dans la région où le Gspc reste très actif, résume bien la situation: «En fait, nous continuons à combattre les groupes armés comme si la concorde civile n'existait pas, alors que de l'autre côté, les politiques mènent les négociations et tiennent des propos comme si la lutte antiterroriste n'existait pas.» Voilà, en termes clairs, l'ambiguïté de la concorde civile, et voilà pourquoi lorsque le président de la République parle d'aller vers une réconciliation nationale, tout le monde reste sur ses gardes. En vérité, il n'y a personne en Algérie, pas même le président de la République lui-même, qui puisse dire avec précision ce que c'est la concorde civile, tant les intérêts et les enjeux restent à la démesure des motifs qui l'ont accompagnée et des causes qui ont été à la source de l'insurrection. Tous les chefs islamistes, qui ont souscrit à la trêve et porté à bras-le-corps la concorde civile, affichent aujourd'hui leur déception. Ali Benhadjar, ancien chef de la Ligue islamique pour la daâwa et le djihad (Lidd), se lamentait récemment, lors d'une entrevue que nous avons eue avec lui à Médéa, des «freins» affichés depuis quelque temps. «On a l'impression que le pouvoir ne veut pas, on ne peut pas faire plus avec les islamistes. Toutes les promesses faites par lui sont restées au stade initial et les doléances formulées par les trévistes en 1997 et en 1999 restent en souffrance.» Pour Abdelkader Boukhamkham, les choses sont autrement plus suspectes: «Les choses ont avancé, puis ont reculé. En fait de concorde avec les islamistes nous avons connu des restrictions draconiennes des libertés. Les clans qui se neutralisent au sein du pouvoir empêchent toute avancée sur ce plan-là, et j'en arrive à sourire lorsqu'on parle devant moi de concorde civile. Il faut repartir à zéro.» Sur le terrain, on continue à tuer au gré des embuscades, des faux barrages et des ratissages. Près de 80 membres des forces de sécurité ont été assassinés par le Gspc depuis le début de l'année, et plus de 100 islamistes armés ont été tués par l'armée durant la même période. Le grand coup a été réussi le 18 juin avec la mort de Nabil Sahraoui, le chef du Gspc, et six de ses proches collaborateurs. Action spectaculaire à laquelle a répondu en écho l'attentat très médiatique du Gspc en plein Alger contre la centrale électrique d'El Hamma. Depuis, nous assistons à un rigoureux maillage sécuritaire de toutes les artères de la capitale dans une tentative de mettre en échec la stratégie du Gspc de porter le danger dans cette grande caisse de résonance qu'est Alger.