L'homme est têtu: il veut la paix à tout prix. Depuis la campagne électorale entamée au début de l'année 1999, et son élection à la présidence de la République le 16 avril de la même année, jusqu'à sa réélection pour un second mandat, en avril 2004 et son discours devant les cadres de la nation, le président Abdelaziz Bouteflika a essayé d'être cohérent autant dans sa démarche politique que dans son discours, au moins sur le plan du retour de la paix et la réconciliation nationale, qui demeurent l'axe central de toute sa stratégie depuis six ans. Si dans son discours politique, les choses ont été claires dès le début, son parcours dans les actes s'est fait en zigzag, évitant des obstacles par-ci, des résistances par-là, jusqu'à l'«élimination» tactique de ses adversaire sur ce plan-là. «Si la violence a des causes sociales, elle a pu avoir aussi -et à l'origine- des causes politiques», a-t-il lancé de manière très audacieuse avant même qu'il soit élu, en avril 1999. Le lendemain, -et lors d'une visite dans une wilaya de l'intérieur du pays, il jette un autre pavé: «Il y avait, à la source, une violence partagée.» Son discours sur la paix plaît, emballe, séduit. La réconciliation nationale, il en fait son cheval de Troie et son sacerdoce: «Je suis là pour éteindre les feux de la discorde (...) je suis l'homme de la réconciliation, que cela plaise ou non...» Son argument est simple et efficace à la fois : la guerre civile qui a mis l'Algérie à feu et à sang ne peut être arrêtée que par un effort de concorde civile. L'Armée islamique du salut (AIS), bras armé du FIS, (ndlr), en trêve et en attente depuis le 1er octobre 1997, annonce, le 6 juin 1999, par la voix de Madani Mezrag, qu'elle dépose les armes et se met sous l'autorité de l'Etat. La Ligue islamique pour la daâwa et le djihad (Lidd) de Ali Benhadjar et le «bataillon Errahmane» du GIA, dirigé par Mustapha Kertali, souscrivent à la démarche de l'AIS. Le 4 juillet 1999, Bouteflika gracie 5000 détenus, dont une bonne majorité (3200) d'islamistes non concernés par les «crimes de sang»: viol, assassinats et attentats à la bombe dans les lieux publics. Le 13 juillet, la loi sur la concorde civile, prévoyant l'amnistie partielle des islamistes armés, est promulguée. En septembre 1999, la loi est approuvée par référendum (98,63%), ce qui conforte le président, lui donne des assurances politiques réelles et lui attire la sympathie des islamistes. Le 13 janvier 2000, le délai de grâce accordé aux divers groupes armés pour déposer les armes vient à expiration. Deux organisations armées, le GIA et le Gspc, rejettent l'offre de paix. L'AIS sautodissout et ses «repentis» regagnent la société malgré un contexte encore affecté par de vives tensions (assassinat de Abdelkader Hachani, le n°3 du FIS, quelques jours auparavant, par exemple). Le terrorisme connaît une courbe décroissante, 2020 personnes tuées en 2000, 1300 en 2001 et moins de 1000 en 2002. Le clan dit des éradicateurs ne baisse pas les bras et multiplie les appels pour maintenir une lutte armée sans merci contre les maquis islamistes, mais le président est têtu : il appelle le Gspc, devenu la plus importante organisation armée à une «solution négociée» et appelle Hacène Hattab, le chef du groupe salafiste «Monsieur Hattab». Cela fait grincer des dents des responsables militaires, mais le président maintient le cap sur ce qui semble être l'affaire de sa vie : la réconciliation nationale. Il élargit Abassi Madani, le n°1 du FIS, trois ans avant le terme de sa condamnation et le qualifie de «frère moudjahid» eu égard à son passé révolutionnaire. Il lui permet de partir à Kuala Lumpur, en Malaisie, pour se faire soigner, et ne désespère pas de voir les groupes armés rejoindre son projet de paix. Le GIA est quasi crépusculaire et le Gspc passe par une longue période de doute. Les polémiques internes à propos de la reddition se multiplient et les débats, houleux, parfois sanglants, permettent de «récupérer» plusieurs hommes du Gspc. Les services de renseignement estiment à 6000 le nom-bre d'anciens islamistes armés repentis en trois années (1999-2002) et à 7500 ceux récupérés en six ans de «concorde civile». Une année avant de mettre en chantier son projet final, la réconciliation nationale et l'amnistie générale, il se lance dans de larges opérations de refonte tous azimuts: l'armée, l'Etat, les services de sécurité, le corps diplomatique, celui des walis et des chefs de daïra, etc., sont touchés. La reconfiguration des schémas renseigne sur une stratégie de faire pièce aux «poches de résistance». Car l'homme est têtu : il veut coûte que coûte la paix...