Beaucoup de pays ont connu de grands chambardements lorsque les pouvoirs publics ont tenté de toucher à leur pain. L'Algérie ne fait certes pas exception à cette immuable règle qui veut que les quelques rares produits de consommation de base soient toujours subventionnés par les pouvoirs publics. En dépit de ses négociations serrées avec l'OMC, mais aussi de son accord d'association avec l'Union européenne, le pain et le lait continuent d'être en partie payés par le Trésor public. Il y va de la stabilité même de notre pays, qui sort difficilement d'une décennie de terrorisme aveugle et sanguinaire, mais aussi d'une crise politique qui avait failli jeter à bas les fondements de la République algérienne. La fragilité institutionnelle reste omniprésente lors même que ce ne sont pas les «barils de poudre sociale» qui manquent. Il ne se passe pas un seul mois sans que les citoyens d'une région donnée ne descendent dans la rue pour exiger telle ou telle chose. Si les libertés, le respect et une gestion plus juste des affaires de la cité sont systématiquement brandies, les revendications sociales ne sont, elles aussi, jamais oubliées dans ces manifestations de rue. Il faut dire, à la décharge du citoyen, que celui-ci a subi les pires « brimades » sociales sous prétexte qu'il fallait s'en sortir coûte que coûte avant le renvoi d'ascenseur. Les nombreux rapports du Cnes (Conseil national économique et social), ainsi que les données statistiques de l'ONS (Office national des statistiques) s'accordent tous à stigmatiser la baisse drastique du pouvoir d'achat. Pas moins de 10 millions d'Algériens, selon un rapport dressant le bilan des réformes initiées par «Ouyahia I» durant la décennie 90, vivent au-dessous du seuil de pauvreté. En clair, un tiers du peuple n'arrive pas à subvenir correctement à ses besoins. Comment s'en étonner lorsque l'on évoque le fameux rapport dressé par des experts pour le compte de l'Ugta? Le document en question estime qu'il faudrait un minimum de 22.000 dinars à une famille de cinq personnes pour subvenir uniquement à ses besoins les plus essentiels, et en ne consommant que des produits locaux. Or, le Snmg (Salaire national minimum garanti) n'est que de 12.000 DA, sans même que cette somme ne concernât l'ensemble des travailleurs algériens. La liste reste encore longue, qui met en exergue l'état de délabrement social auquel a été réduite la population algérienne. Pour s'en convaincre un peu plus, il n'est que de souligner que pas moins de 30 % de la population active est au chômage et que la fameuse couche moyenne, qui faisait la fierté de notre pays, s'est effilochée jusqu'à cesser carrément d'exister, selon d'alarmants rapports du Cnes. C'est sous ce prisme dramatique qu'il convient d'appréhender la revendication des boulangers, soutenus par la puissante Ugcca (Union générale des commerçants et artisans algériens) pour augmenter le prix du pain, produit le plus largement consommé dans notre pays, et sans lequel beaucoup mourraient tout simplement d'inanition. S'il est peut-être légitime que les boulangers demandassent de vendre leur pain plus cher, il n'en est pas moins vrai que le prix fixé par l'Etat n'a jamais été respecté, alors que les matières premières entrant dans sa fabrication n'ont pas augmenté depuis quelques années déjà. Mieux, la facture alimentaire a sensiblement baissé grâce à l'embellie météorologique et aux productions céréalières records, qui ont pratiquement doublé en l'espace de deux années à peine. Last but not least, la «gargantuesque» cagnotte nationale, propriété du peuple, que constituent nos fameuses réserves de change peuvent, le cas échéant, calmer les uns sans grever le porte-monnaie fortement sollicité des autres. Le gouvernement, qui a sans doute pas mal de «pain sur la planche», aura à subir un test décisif à travers cette forme de contestation sociale que nous n'avions pas vue depuis 1996.