Il est des endroits où il fallait parcourir bon nombre de kilomètres pour accompagner son repas du soir et d'autres où il suffit de traverser la rue pour trouver un boulanger ouvert. Les « pour » la grève se situent, entre autres, à Guelma qui atteint un taux de suivi de 77%, selon le bureau de wilaya de l'Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA). Dans cette ville de l'est du pays, 132 boulangers sont affiliés à l'UGCAA. A Oran, seconde ville après Alger en termes de population, la quasi-majorité des boulangers ont également observé le mot d'ordre et fermé boutique. « Même les petites épiceries qui avaient pour habitude de vendre du pain n'ont pas été livrées », a constaté notre correspondant sur place. Les populations locales n'ont pas eu le réflexe de congeler du pain. Elles se sont rabattues pour leur plupart sur le pain traditionnel. « C'est la consommation de farine qui a dû augmenter. On s'est résignés à faire notre pain nous-mêmes », a-t-il poursuivi. Même constat à Béjaïa. Dans cette wilaya côtière, le mot d'ordre de grève a été aussi largement suivi. La situation était telle que les rares boulangeries qui avaient ouvert pour servir le pain de la veille ont été littéralement prises d'assaut par les citoyens. Ce fut d'ailleurs le cas au centre-ville de Béjaïa. Il faut s'attendre à ce que la pression sur cette denrée s'accentue aujourd'hui avec l'épuisement des « stocks domestiques » mis de côté par les ménages. Tizi Ouzou se classe parmi les régions où le mot d'ordre a été partiellement suivi. « Certains vendaient et d'autres non. Parfois, les boulangeries n'étaient ouvertes que pour vendre de la pâtisserie », relève notre correspondant à Tizi Ouzou. Au chef-lieu de wilaya, quelques boulangeries ont répondu positivement à ce débrayage et leurs étals sont restés vides durant toute la journée. « Nous n'avons pas fait de pain aujourd'hui (hier samedi, ndlr) et nous comptons suivre le mot d'ordre de grève », nous ont confié les boulangers de la rue Abane Ramdane, la principale artère de Tizi Ouzou. En revanche, l'approvisionnement visible des commerçants détaillants en pain indiquait que l'appel à la grève de la section locale de l'UGCAA n'a pas eu l'effet escompté. Une exception : le suivi de la grève au niveau des villes de Tizi Rached et de Larbaâ Nath Irathen a été massif. L'on apprend, par ailleurs, que les boulangeries de certains villages reculés ont assuré un service minimum. Les hôpitaux, les lycées et les centres universitaires ont, assure-t-on, eu du pain au déjeuner. Même topo à Sidi Bel Abbès. Le taux de suivi de la grève a atteint 60% dans cette wilaya, selon des sources syndicales. Le responsable de la Direction de la concurrence et des prix (DCP), contacté hier, a, pour sa part, avancé un taux de suivi de l'ordre de 30,17%, tout en précisant que « ce sont là les chiffres partiels communiqués par les brigades de contrôle mises en place par la DCP pour le suivi de la grève ». Sidi Bel Abbès compte 116 boulangeries réparties à travers une quarantaine de localités. Le plus important taux de grève a été observé dans la ville de Sidi Bel Abbès où 33 boulangers, sur les 54 recensés, ont baissé rideau, selon le directeur de la concurrence et des prix. Même si ce dernier nous a assuré de « la disponibilité totale du produit sur les étals des magasins d'alimentation générale », la tension était palpable hier dans plusieurs quartiers de la ville où la baguette de pain s'est faite rare. Cependant, les boulangers ont assuré un service minimum en approvisionnant certaines institutions comme les hôpitaux, les internats, les cités universitaires et les casernes. Pour les ménagères, pour faire face à la pénurie provoquée par la grève des boulangers, la solution a consisté à se rabattre sur le pain traditionnel ou matloû fait maison et qu'on revend à proximité des marchés de la ville. La grève des boulangers a eu aussi comme répercussion, faute de pain, la fermeture forcée de plusieurs commerces spécialisés dans la préparation et la vente de kalantika, une préparation culinaire à base de poids chiches très prisée par les Belabessiens où en d'autres termes « le repas favoris des pauvres ». Le mouvement échoue à Annaba L'appel à une grève générale de deux jours lancé par le Comité national des boulangers n'a pratiquement pas été entendu sur toute l'étendue du territoire de la wilaya de Annaba. Les 400 boulangers en activité dans les 12 communes de cette wilaya ont ouvert comme à l'accoutumée leur commerce. Hier, premier jour de la grève, le pain n'a pas manqué, y compris chez les vendeurs à la sauvette habitués de la place du Théâtre et du marché couvert. Ce rejet unanime de l'appel de leur comité par les boulangers de Annaba s'expliquerait par le maintien à son prix initial de la farine et la hausse très relative de celui des ingrédients (huile, levure...). M. Hanoune, président de l'UGCAA de Annaba, reconnaît l'échec de la grève et affirme : « Le prix du pain n'a pas connu de changement depuis 1996. Certes, celui de la farine est resté le même, mais c'est au niveau des ingrédients que le boulanger connaît une hausse sensible de ses charges. Nous ne pouvons plus nous permettre de faire du social. » L'aspect que M. Hanoune n'a pas abordé porte sur le trafic sur la qualité du pain qui ne correspond pas aux normes que dénoncent plusieurs consommateurs. « Je m'étonne que les services compétents n'aient pas encore réagi à cette arnaque dont nous sommes victimes et qui consiste à ce que des boulangers tentent de nous faire passer un pain tout ce qu'il y a de normal pour de l'amélioré à 8,50 DA l'unité. Quant aux brioches, on a l'impression qu'il s'agit d'un morceau de pain. Que messieurs les boulangers ne continuent pas à prendre le consommateur pour l'éternel dindon de la farce ! », s'est indignée une mère de famille. Du côté de certains boulangers, l'on estime légitime l'augmentation des prix revendiquée par le Comité national des boulangers. « Si l'Etat est contre cette augmentation, pourquoi ne pas voir une autre solution telle celle consistant à subventionner l'énergie utilisée comme le gasoil ou l'électricité ? Il ne faut pas oublier que, ces dernières années, avec les hausses successives de ces énergies, le boulanger est vraiment dans le pétrin », explique Daoudi Djamel, boulanger et vice-président de la Chambre de commerce et d'industrie Seybouse Annaba. A la Direction du commerce et des prix, M. Hachichi s'est limité de confirmer l'échec total de la grève dans la wilaya. A Skikda, l'UGCAA estime que la grève a été suivie par plus de 85% des 216 boulangers que compte la wilaya. La Direction du commerce estime, de son côté, que la grève a été suivie à 34% sur un total de 347 boulangers. A Chlef et à Annaba, le débrayage prévu pour les journées d'hier et d'aujourd'hui n'a pas été suivi. « Une visite au chef-lieu de wilaya nous a permis de constater que le pain était largement disponible et que toutes les boulangeries sont demeurées ouvertes durant la journée », informe notre correspondant A. Yechkour. Et d'ajouter : « Même s'ils se sentent concernés par les problèmes que rencontre la corporation au niveau national, les patrons boulangers refusent de s'engager dans cette forme de contestation certainement par peur de représailles des pouvoirs publics. » Cependant, l'UGCAA annonce un durcissement de la grève pour la journée d'aujourd'hui. Z. A. M. et correspondants