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La classe politique tétanisée
APRÈS LE DEPART DU GENERAL LAMARI
Publié dans L'Expression le 29 - 07 - 2004

Une reconfiguration totale de la scène politique est-elle à prévoir dans un proche avenir?
Ce qui n'était que rumeur semble se confirmer de jour en jour. Le chef d'état-major, le général Mohamed Lamari, semble avoir bel et bien déposé sa démission. La rumeur, toutefois, ne va pas jusqu'à dire si le ministre de la Défense, chef suprême des armées, Abdelaziz Bouteflika, l'a acceptée ou pas. Elle n'en annonce pas moins de profondes mutations qui ne s'arrêteront pas à l'état-major militaire. Dans tous les cas de figure, le sort en est jeté. Il n'est que de se rappeler le silence parfois gêné, souvent perplexe de toute la classe politique par rapport à cette question pour se convaincre que chacun a senti souffler très fort le vent de la mutation. Déjà, l'on évoque une offensive de la part du camp présidentiel, qui n'attend que la tenue du congrès du FLN avant d'entamer une grande offensive. Le fait même que l'UDR ait demandé la dissolution de l'APN, rejoint en cela par le PT dans le cas où il faudrait satisfaire les desiderata des archs, renseigne sur le fait que la reconfiguration peut se faire bien plus tôt qu'on ne le pense. Sans le concours des officines classiques sous nos cieux, il est fort à parier que les résultats en étonneront plus d'un. Le président, qui n'a jamais caché son «hostilité» pour la présente Constitution, pourrait même profiter de sa «bonne étoile» électorale afin d'aller vers un référendum de révision du texte fondamental de la nation. Des sources bien informées indiquent que le chef de l'Etat, officiellement patron des forces armées, a désormais les coudées franches pour s'octroyer plus de pouvoirs à travers le passage vers un régime présidentiel. Ouyahia l'a bien annoncé implicitement lorsqu'il avait dit, dans une conférence de presse, qu'il faudrait à l'Algérie deux siècles de pratiques démocratiques avant d'arriver vers un régime parlementaire. Ainsi, les craintes et l'expectative de la classe politique sont-elles amplement justifiées si l'on se réfère, également, à la manière dont a eu lieu le départ inattendu du général Lamari. Est-il besoin de rappeler que le «clash» final entre le «patron» de l'armée et l'institution présidentielle aurait ainsi eu lieu quelques jours avant la visite à Alger de la ministre de la Défense française, Mme Alliot-Marie. L'absence de Lamari, mais aussi la découverte qu'il y avait un chef d'état-major intérimaire et, enfin, le fait que ce soit Yazid Zerhouni, le ministre de l'Intérieur, qui ait fait office de vis-à-vis avec la responsable hexagonale, ont suffi pour conclure que quelque chose d'anormal, d'inédit se déroulait en direct. Zerhouni, qui ne voulait sans doute pas provoquer de vagues en présence d'une si importante «invitée», s'était contenté, sans convaincre personne, d'annoncer que Lamari était en congé. Partant du constat que les «vacances» ne sont pas quasi «interdites» à un si haut poste de responsabilité, car chacun d'eux reste joignable H24, que même si tel était le cas, elles devaient être interrompues le temps que finisse cette visite et, qu'enfin, le MDN (ministère de la Défense nationale), n'avait qu'à annoncer officiellement ce congé via un communiqué afin de couper court à la rumeur.
Or, point de rumeur ne fut. Le général Mohamed Lamari, comme il l'annonçait lui-même dans un entretien accordé au journal français Le Point, a préparé sa retraite et s'attendait à raccrocher son treillis d'une manière ou d'une autre après la présidentielle d'avril 2004, et une fois que l'institution dont il «avait» la charge eut respecté la neutralité qu'il n'avait eu de cesse de promettre lors de l'ensemble de ses sorties médiatiques. Quinze jours après le «départ de la mèche» de cette rumeur, elle est encore loin de s'éteindre. Le départ du tout puissant Lamari, qui a trôné à la tête de l'armée pendant plus de dix années, et qui a été l'une des figures de proue de la lutte antiterroriste, risque fort de s'accompagner d'autres «démissions» ou «mises à la retraite» d'office. Indéniablement, le président qui exerce maintenant les charges constitutionnelles de ministre de la Défense dès sa réélection à la tête de l'Etat avec l'écrasante et confortable majorité de 84,99 %, a cherché par tous les moyens à exercer son contrôle sur la seule institution dont la direction lui aurait, en partie, échappé durant son premier mandat. Les prémices d'une pareille «reprise en main» ne manquaient pas, qui faisaient déjà dire à Bouteflika qu'il ne voulait pas être «un trois quarts de président», et qui lui ont fait décorer personnellement les dix généraux et quatre généraux-majors promus le 5 juillet dernier, à l'occasion de la Fête de l'indépendance. A ces promotions nouvelles viendront forcément s'adjoindre des départs d'officiers supérieurs actifs dans le cadre de «l'homogénéisation» des rangs de l'ANP, ainsi que de sa professionnalisation. Cette dernière, insistent des sources très au fait des questions militaires, «ne peut raisonnablement être menée à bien que grâce aux générations post-indépendance, qui ont fait les grandes écoles militaires et qui connaissent parfaitement les défis et besoins de la guerre moderne». Mais tout cela n'est rien face aux profondes mutations qui guettent la classe politique, ainsi que le mouvement associatif, qui ont tous deux été plus ou moins gérés «indirectement» par l'institution militaire durant la décennie passée pour les besoins de la lutte contre l'islamisme politique. Les observateurs avertis, très au fait des pratiques du sérail, annoncent malicieusement de «véritables bouleversements qui n'épargneraient aucun secteur névralgique de l'Etat», lui aussi en pleine mutation. Il est ajouté que «ce serait faire montre d'une grande ingénuité politique que de croire que le départ d'un homme comme Lamari ne sera pas sans conséquence sur tout l'édifice institutionnel, y compris sur les circuits décisionnels informels». Il est vrai que le «plébiscite» dont a bénéficié Bouteflika le 8 avril passé a amorcé un tournant décisif dans les relations chaotiques depuis le fameux congrès de Tripoli, qualifié à juste titre d'«été de la discorde», entre les pouvoirs politique et militaire. Nous n'en sommes qu'au début d'une nouvelle ère. Celle-ci, s'annonçant sous la forme d'un tournant, historique s'il en fût, impose d'éviter les «dérapages». La survie de la nation en dépend...


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