Il devient évident, à la lumière du mouvement dans les régions militaires, que Lamari a été poussé à la démission. Les choses n'ont finalement pas traîné. A peine quelques heures après l'officialisation de la «démission» du général Lamari et la passation des pouvoirs avec son successeur, Gaïd Salah, Bouteflika a procédé à des changements hautement significatifs à la tête de l'ensemble des régions militaires du pays. Depuis jeudi, donc, et de la manière la plus feutrée qui soit, le chef suprême des armées, le chef de l'Etat en l'occurrence, a officiellement pris le contrôle de l'ANP. L'histoire retiendra ainsi que depuis le congrès inachevé de Tripoli, sinon depuis celui de La Soummam, si l'on excepte l'intermède Boumedienne tout à fait spécial, c'est la première fois qu'un président, civil, exerce un ascendant total sur une institution qui, depuis Ben Bella jusqu'à Bouteflika en passant par Boumediene, Chadli, Boudiaf, Kafi et Zeroual, a toujours fait et défait les présidents. A mesure que les évènements se précipitent, comme nous l'évoquions dans notre édition de jeudi, il apparaît de plus en plus clairement que Mohamed Lamari n'a pas démissionné de son plein gré, mais a plutôt été poussé adroitement vers la porte de sortie. «C'est un coup magistral du président Bouteflika», s'exclament des sources crédibles qui racontent que «la démission aurait été déposée le 5 juillet passée pour n'être rendue publique que 15 jours plus tard, à la suite de la visite à Alger de la ministre française de la Défense et de l'absence très remarquée du général-major Mohamed Lamari». Ce dernier serait ainsi demeuré en conciliabule pendant plus d'une heure avec le chef de l'Etat, avant que ce dernier ne sorte, et me décore personnellement les dix généraux et quatre généraux-majors, ne laissant ce privilège à aucun officier supérieur comme c'est la coutume. Les jeux étaient faits depuis ce fameux cinq juillet. Le général Lamari, qui a longtemps croisé les fers «diplomatiquement» avec Bouteflika depuis son premier mandat, avait profité du handicap de ce dernier pour maintenir en l'état des équilibres aussi vieux que l'Algérie indépendante. Des équilibres qui font qu'un chef d'Etat n'est, dans le meilleur des cas, que le «trois quarts de président». Le chef d'état-major, aux yeux de beaucoup, «est allé trop loin dans certaines de ses déclarations concernant la présidentielle d'avril 2004». Outre le fait qu'il a outrepassé ses strictes prérogatives constitutionnelles, il a également donné l'air de soutenir indirectement le principal rival de Bouteflika, Ali Benflis en l'occurrence. Or, l'écrasante majorité du commandement de l'Armée ne semble pas avoir suivi cette voie, jugée «hasardeuse», à un moment où Bouteflika jouissait du soutien vertement affiché de Paris et de Washington. Lamari, en quelque sorte coupé de certains de ses officiers, ne donnait plus l'air d'être en mesure d'assurer la cohésion des rangs. Cette erreur tactique lui sera fatale, puisque Bouteflika, fin manoeuvrier, comme il l'a prouvé à maintes reprises, a su en profiter de manière qualifiée de « magistrale » par tous les observateurs avertis de la scène politique algérienne. Le contexte international, de fait, a placé résolument Bouteflika en position de force, commandant à l'Armée de rentrer dans les casernes, ce qu'elle semble en passe de faire puisque le général-major Ahmed Senhadji, connu pour être un proche collaborateur du président, semble avoir été investi d'une partie des pouvoirs du chef de l'Etat en sa qualité de tout puissant secrétaire général aux Tagarins, afin de parachever le processus qui tient tant au coeur du président et dont il ne s'est jamais départi lors de sa campagne électorale. Outre la professionnalisation de l'armée, notamment soutenue par l'Otan, le président compte bien que, sous son contrôle, l'armée, mais aussi toutes les forces qui comptent dans le pays, se plieront à son grand projet portant réconciliation nationale. En fin diplomate qui n'ignore pas que les plus grandes réalisations se font par à-coups, avec une infinie patience, il ne fait aucun doute, aux yeux de beaucoup de sources, que de nouvelles nominations et mises à la retraite pourraient toucher incessamment d'autres structures. Cela paraît d'autant plus plausible que Bouteflika, qui profite d'une conjoncture particulièrement favorable, et qui ne s'encombre pas des dates symboles pour procéder aux changements, a besoin d'amorcer le virage de la rentrée sociale avec des institutions relativement homogènes et acquises à sa vision globale de sortie de crise.