Un mois après la passation des pouvoirs et à la veille de l'ouverture de la conférence nationale, de sanglants attentats plongent l'Irak dans l'horreur. Hier coïncidait avec le premier mois du transfert, le 28 juin, du pouvoir à un gouvernement intérimaire irakien, et c'était la veille de la tenue de la conférence nationale (devant désigner un Conseil national provisoire de 75 à 125 membres). Evènements qui auraient dû faire entrer l'Irak dans une phase d'espérance en de jours meilleurs. Hélas, c'est bien le contraire qui s'est passé, l'événement ayant été noyé dans un des plus sanglants attentats suicides en Irak ces derniers mois. Cela s'est passé à Baâqouba, ville située au nord de Bagdad, constituant l'un des points forts, avec Falloujah, à l'est de Bagdad, de la résistance à l'occupation américaine. C'est encore devant un poste de police, où des centaines de jeunes étaient en attente d'un éventuel recrutement, qu'un kamikaze a fait exploser une voiture bourrée d'explosifs faisant des dégâts considérables et des dizaines de victimes. A la mi-journée, le bilan établit par le ministère irakien de la Santé donnait un bilan revu à la hausse, indiquant qu'il y a eu 68 morts et 56 blessés. A cette catastrophe à Baâqouba sont venus s'ajouter plusieurs attentats et assassinats dans différentes villes d'Irak, portant le nombre des morts à près de 100, grossi par les 35 «rebelles» tués hier au sud de Bagdad et 40 autre capturés, selon un communiqué militaire publié à Nassiriyah par la force multinationale. Hier, l'Irak semble avoir effectué un nouveau pas vers l'inconnu au moment où d'aucuns estimaient que la mise en place d'un «gouvernement irakien» allait ouvrir de nouvelles perspectives pour le pays. Le très lourd bilan d'hier, avec pas moins de vingt tués et plusieurs dizaines de blessés marque en revanche un nouveau palier dans la violence, au point que les attentats d'hier ont fait passer au second plan les affaires des otages. En réalité, cette accélération des évènements et la recrudescence de la violence met surtout en exergue le fait que le gouvernement de Iyad Allaoui n'a aucune prise sur ces évènements, alors que le Premier ministre intérimaire tire des plans sur la comète semble surtout soucieux de consolider sa position d'homme fort du nouveau pouvoir. Or, au plan sécuritaire, l'anarchie est totale et le cabinet de M. Allaoui met tout son espoir dans le renforcement de la présence étrangère pour lui donner d'asseoir son pouvoir. C'est un peu le sentiment qui se dégage des tournées très «intéressées» qu'effectue depuis quelques jours Iyad Allaoui dans les pays voisins de l'Irak pour obtenir leur soutien à son gouvernement. Ainsi, après la Jordanie, la Syrie, le Liban et l'Egypte, le Premier ministre intérimaire était en Arabie saoudite où il tente de réanimer la coopération avec le royaume wahhabite, au moment où son pays est livré aux violences au quotidien. En fait, l'attentat de Baâqouba relativise tout ce que peut faire un gouvernement, que nombre d'Irakiens estiment illégitime, pour restaurer la confiance et, partant, la sécurité d'un peuple qui continue de payer le prix fort en vie humaines. 120 morts en une seule journée en fait un véritable apocalypse pour un Etat incapable de protéger sa population. Cette dégradation de la situation intervient un mois après la passation de pouvoirs entre la coalition et un gouvernement intérimaire irakien et surtout à la veille de la tenue de l'importante conférence nationale. Celle-ci, attendue autant par les Irakiens que par la communauté internationale, de-vait, à tout le moins, clarifier la donne. Or, la démarche même avec laquelle la commission préparatoire a organisé la conférence laisse sceptique les observateurs et est surtout critiquée par une partie de la composante politique irakienne. Ainsi, l'influent chef radical chiite, Moqtada Sadr, avait déjà annoncé le boycott par ses partisans de cette conférence, alors que le Conseil suprême de la Révolution islamique en Irak (Csrii, parti chiite modéré) s'est également dit très déçu par la façon avec laquelle la composante de la conférence a été élaborée. De fait, selon un expert de l'ONU, conseiller pour le processus de transition en Irak, Jamel Benomar: «Cette conférence n'est pas une mince affaire. C'est compliqué et cela nécessite un effort spécial. Il ne serait pas mauvais de la retarder.» Faisant montre d'optimisme et prenant à contre-pied cette appréciation, le porte-parole de la commission de préparation, Abdel Halim Al-Rouhaimi, estime pour sa part que la conférence aura lieu à la date fixée, (c'est en fait après-demain samedi que débuteront ses travaux) quelles que soient les conditions et les circonstances. Cette conférence à marche forcée risque toutefois d'aboutir à l'impasse qui remettra en cause tout ce qui a été réalisé ces derniers mois. Un millier de personnes prendront part à la conférence nationale irakienne, prévue pour durer trois jours, qui doit par ailleurs désigner 75 à 125 membres pour la future Assemblée transitoire ou Conseil national irakien.