La coalition a créé la surprise en devançant la date officielle de remise du pouvoir aux Irakiens prévue normalement pour demain. Le transfert «prématuré», hier, de la souveraineté aux Irakiens, avant l'échéance du 30 juin, un coup de théâtre, un scénario savamment mis au point qui «prend de court» la guérilla, selon le Premier ministre britannique, Tony Blair ? Sans doute ni l'un ni l'autre, d'autant plus que Washington a montré ces derniers temps un rien d'impatience à se débarrasser de la gestion d'un pays plongé dans l'anarchie et le chaos qui souligne pareillement l'échec de l'occupation militaire de l'Irak. La discrétion même avec laquelle la passation de pouvoir s'est effectuée, - l'annonce n'en a été faite qu'une fois la cérémonie de transfert terminée -, la dissolution immédiate de l'Autorité provisoire de la coalition (CPA), le départ précipité de Bagdad, quelques heures après le transfert du pouvoir, de l'administrateur en chef américain, Paul Bremer, le fait que la CPA a été dissoute sans qu'un accord sur le statut des forces de la coalition et des travailleurs étrangers, ne soit signé, sont autant de signes qui indiquent que tout ne baigne pas malgré les satisfecit émis par les uns et les autres. Estimant «historique» cette passation de pouvoir, M.Bremer a déclaré que «c'est un grand plaisir d'être ici, au nom de la coalition, pour ce transfert de souveraineté». Lui faisant écho, le nouvel homme fort du pays, Iyad Allaoui, affirme : «ce transfert de souveraineté à un gouvernement et au peuple irakien est une journée historique. Nous avons travaillé dur avec l'ambassadeur Bremer pour y arriver». Certes, mais de quelle souveraineté s'agit-il lorsque le gouvernement intérimaire, comme le reconnaît M.Allaoui, a besoin du soutien logistique et militaire des forces de l'ex-coalition et du savoir-faire de l'Otan pour effectivement exercer un pouvoir qui reste encore à conquérir et une souveraineté, pour le moment virtuelle, qui est encore à établir par la mise place d'institutions (Assemblée nationale, Constitution permanente, gouvernement représentatif entre autres) actuellement absentes du paysage politique irakien. Dans l'Irak de l'après-Saddam Hussein, tout, absolument tout est à faire, voire à refaire. Et l'anarchie qui est celle du pays depuis plusieurs mois n'incite guère à l'optimisme dont font montre un peu à contre-courant les nouveaux gouvernants, engagés dans une âpre course au pouvoir. De fait, dans sa toute première déclaration, après le transfert du pouvoir, le Premier ministre Iyad Allaoui, a laissé entendre que le gouvernement allait annoncer des décisions drastiques ayant trait à la situation sécuritaire et consistant en la prise d'une série de mesures en vue de rétablir l'ordre dans le pays. Une gageure en vérité, même si M.Allaoui fait de la question sécuritaire sa priorité en déclarant : «La responsabilité de la sécurité est désormais entre nos mains (...) et nous allons annoncer aujourd'hui (hier) et demain (aujourd'hui) de nouvelles mesures». Certes, toutefois reste à savoir comment le gouvernement intérimaire irakien, qui, - quoi que puissent en dire ses laudateurs -, n'est point légitime et ne dispose ni d'une armée, ni d'une police opérationnelles, va réussir là où ont échoué les forces de la coalition. De fait, le gouvernement intérimaire irakien demeure tributaire de l'aide que lui apporteront les forces militaires de la coalition et de l'Otan - celui-ci ayant donné son accord, lors du sommet d'Istanbul, pour la formation des forces irakiennes - même si le statut des forces et des travailleurs étrangers reste ambigu et n'a pas été solutionné par l'autorité provisoire de la coalition. A ce propos, le général Max Kimmitt, chef adjoint des opérations militaires de la coalition, déclare : «Il n'y a pas de document officiel sur le statut des forces (de la coalition) Nous opérions auparavant selon la résolution 1511 (du 16 octobre 2003) du Conseil de sécurité de l'ONU et désormais nous opérons sous la résolution 1546 (adoptée le 8 juin dernier)». En fait, dans un Irak, véritable bombe à retardement, le gouvernement intérimaire a hérité d'une «souveraineté» en devenir, qui reste encore à construire. Mais pour ce faire il lui faut d'abord stabiliser le pays, rétablir la sécurité, rassurer la communauté internationale sur ses capacité à mener à leur terme les défis s'attendent l'Irak, au sortir de la dictature et de l'occupation étrangère. En vérité Iyad Allaoui et son gouvernement ont tout à prouver et la situation sécuritaire explosive - hier encore des attaques et des attentats ont marqué la journée - est loin de leur faciliter les choses ou de leur garantir la réussite.