«Béjaïa est une Cité qui se caractérise par son riche passé» À l'occasion du 700e anniversaire de la mort du bibliographe Al Ghobrini (1246-1314), la ville de Béjaïa a organisé, par le biais de la Société savante Gehimab, au Théâtre régional Abdelmalek-Bouguermouh, le colloque scientifique international les 19 et 20 novembre 2014. Cette rencontre, très attendue et, bien sûr, admirablement organisée et bien menée par une équipe de chevronnés, a permis aux participants de s'étaler, les deux jours durant, sur l'érudition d'Al Ghobrini, (ou El Ghobrini), et à l'assistance, parmi les jeunes chercheurs et les étudiants de la région et d'ailleurs, de découvrir ce que fut ce grand qadi et biographe de Béjaïa du temps des Hasfsides. Son oeuvre magistrale Unwan ad-Diraya ou (Symbole du Savoir) est la source la plus sûre et la plus complète sur les savants de cette ville d'Histoire à l'époque médiévale. Elle représente, à cet effet, un outil de travail capital et indispensable pour connaître l'histoire politique, intellectuelle, scientifique et religieuse de Bgayet, en particulier, et du Maghreb, en général. Ainsi, ce Colloque international sur le savant Al Ghobrini a jeté, entre autres, la lumière sur ce monde considéré, depuis fort longtemps, comme un monde mystérieux et complexe à la fois. En somme, ces deux journées ont servi, en essayant de réparer cette injustice de l'oubli et, d'aucuns disent, de l'indifférence. Elles ont répondu positivement, à l'attente des jeunes, par des communications de grande facture, en un aveu spontané qui lui font savoir que notre patrimoine culturel, ancestral, a bel et bien existé et qu'il faudrait simplement le dépoussiérer pour connaître davantage son utilité, pour l'utiliser à bon escient comme une école aux grandes dimensions où l'on fait entendre le résultat de sa réflexion et où l'on clame la voix de sa conscience. À cette occasion, le journal L'Expression a rencontré M. Kamel Bouchama cet auteur toujours présent positivement, dans plusieurs rencontres qui concernent l'histoire et la culture. Cette fois-ci, il est là, dans cet important colloque, pour présenter une communication dans le cadre d'une opération de rapprochement entre les villes de Béjaïa et de Cherchell - dont il est originaire -, avec l'évocation de Sidi Braham El Ghobrini. Nous lui avons posé quelques questions. L'Expression: Que pensez-vous de ces rencontres nationales et internationales qui sont initiées dans certaines villes de l'intérieur? Kamel Bouchama: Vous savez, je ne pense que du bien et comme dirait le vieil adage bien de chez nous: «Ce que tu mets dans ta poche, tu le gagnes.» Ici, il est question d'un apport concret par lequel ces villes de l'intérieur, au nom du pays bien sûr, contribuent à mettre en valeur notre Histoire culturelle, scientifique, politique et même religieuse. Car, ces rencontres qui traitent de sujets variés, se soldent, généralement et incontestablement, par des enrichissements qui peuvent être importants pour tout le monde. En tout cas, il y a toujours un apport évident dans ces rencontres, car ceux qui les organisent, ça et là dans le pays, attachent du prix à leur réussite, ne serait-ce que par la sensibilisation des citoyens, autour de bonnes oeuvres qui, à partir de leur mûre réflexion sèment dans notre vaste territoire la graine qui fait fleurir leur pensée et améliorer leur mode de perception du présent et de l'avenir. Ensuite, il faut le dire avec clarté, l'Algérie n'est pas uniquement Alger, la capitale, où toutes les rencontres doivent absolument converger, pour être dans le vrai. Prenant le cas concret de la culture, en visitant nos traditions et nos coutumes immémoriales. Faudrait-il à ce moment-là, décider de la domiciliation du Salon du cheval à Alger, plutôt qu'à Tiaret ou à Tébessa? Faudrait-il réunir un colloque sur la «Moubayaâ» de l'Emir Abdelkader à Alger plutôt qu'à Mascara? Faudrait-il décider d'une rencontre avec les spécialistes des dessins rupestres, au Palais de la culture Moufdi-Zakaria, à Kouba, plutôt qu'ailleurs au Tassili? Et inversement, doit-on s'imaginer d'une rencontre sur Raïs Hamidou à Tamanrasset, dans les fins confins de notre vaste Sahara? Ce que je peux dire également, autour de cette question qui me fait rappeler cette heureuse période où l'on faisait dans la décentralisation effective, par la lutte contre les disparités régionales, est que ces rencontres nationales et internationales en notre pays, viennent pour démontrer qu'il est grand, qu'il est vaste et accueillant, de plus, qu'il est très riche par ses potentialités qui n'attendent qu'à être judicieusement exploitées. Enfin, n'est-ce pas une façon claire de dire que nous avons une culture qui trouve ses racines lointaines dans le temps, dans chaque région de notre Algérie? C'est alors que nous ne pouvons que nous enorgueillir de notre patrimoine quand nous le présentons dans son milieu naturel, dans ses périmètres géographiques où il est né et où il existe... En aparté, vous parlez de Béjaïa avec beaucoup d'admiration. Vous allez jusqu'au dithyrambe pour la situer dans l'Histoire. Qu'avez-vous à ajouter? Et comment! De toute façon, je n'en suis nullement gêné, lorsque je parle de Béjaïa à voix basse ou à voix haute, car elle est pour moi ce que sont toutes les villes, pardon les Cités, que j'écris en majuscules pour leur ancestralité et leur culture. Béjaïa est une Cité qui se caractérise par son riche passé, c'est-à-dire par sa participation effective à la civilisation du Bassin méditerranéen et même au-delà. Béjaïa a joué un rôle déterminant à travers les siècles en étant à la pointe de l'évolution et du progrès par ses héros et ses savants. Elle le demeure, constamment, à l'image de cette école où l'on vient se ressourcer pour connaître nos véritables origines, malgré le délabrement qui l'étreint aujourd'hui. En effet, je suis là, dans la Cité, et les signes de l'Histoire remontent à la surface. Et je me remémore ma dernière émission à radio-Soummam pour comprendre que tout chante le passé dans cette ville ancestrale, surtout quand on s'installe dans ce qui paraît, pour certains, un quelconque endroit, mais qui regorge d'Histoire à travers des vestiges, représentés par des colonnes, des chapiteaux, des vases, des amphores et autres objets hétéroclites, éparpillés volontairement, ces objets d'antan qui nous invitent à scruter le passé et le destin de la ville. Ainsi, depuis les rois numides, Béjaïa a eu un grand impact dans les éphémérides de notre pays. De même qu'au Moyen Âge, sous le règne des Hammadides, où elle était l'une des cités les plus prospères de la Méditerranée et du Maghreb. Son port a joué un rôle politique de premier plan. Du temps des Almohades, elle était avec Tolède et Séville, le plus grand centre intellectuel du Monde arabe où résidaient des savants comme Al-Idrissi, Abou Mediène Chouaïb, Ibn Battûta, le grand mystique Ibn Arabi, Abd al-Haqq al-Ishbili et tant d'autres. Même l'Italien de Pise, Leonardo Fibonacci, était là pour apprendre les mathématiques. Ibn Khaldoun, lui aussi était là, en Grand Vizir de Béjaïa pour le compte du prince hafside Abu Abdallah. C'est dire tout l'amour que j'ai pour cette Cité, depuis ma jeunesse et, principalement, depuis mon passage dans la région, lors de mes responsabilités politiques. Et ce Colloque international..., donnez-nous plus d'informations sur sa tenue et sur le savant-biographe El Ghobrini qui bénéficie de toute cette attention... Ce Colloque sur El Ghobrini, le savant, le professeur, le biographe, le qadi des Qadis et l'ambassadeur, rentre dans ce cadre de rencontres où l'on revisite l'Histoire à travers les hommes de sciences et de culture. Et Béjaïa, comme de tradition, n'a pas hésité à se lancer dans cette entreprise pédagogique, documentaire et édifiante, en profitant de la commémoration du 700e anniversaire de la mort de ce savant en 1314, pour réunir des sommités du Maghreb et d'ailleurs, afin d'identifier et faire connaître son action et sa contribution, de localiser et de répertorier les archives disponibles dans les bibliothèques publiques et privées, en Algérie et à l'étranger, puis enfin, de favoriser leur édition. C'est là le but que se sont fixé les organisateurs de ce colloque qui, il faut le rappeler, a été piloté par le Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques, le Cnrpah d'Alger, avec la collaboration de la Société savante Gehimab de Béjaïa. Quant à l'intéressé, le savant-biographe, de son vrai nom Abou El Abbès Ahmed Ibn Abdallah El Ghobrini, on peut dire que c'est l'exemple même de l'érudition, symbolisant ce qu'il y a de plus parfait, de plus résolu et de plus vrai parmi les hommes de sciences et de culture. Né dans la famille des Béni Ghobrine d'Azazga, en 644 de l'Hégire, 1246 de l'ère chrétienne, il a appris le Coran très jeune, la grammaire arabe, la théologie, la philosophie, plus tard les sciences du savoir et de la relation à Béjaïa et à Tunis. Il a enseigné à Béjaïa et à la Zeitouna, ensuite il a pratiqué le métier de juge dans plusieurs villes et, en fin de carrière, il a été dépêché comme ambassadeur, représentant le sultan Abou El Baqâ Khaled, auprès du sultan de Tunis Mohamed El Ouatheq Abi Obeïda. A son retour au pays, une fois sa mission terminée, il a été victime d'un complot savamment orchestré par des experts en la matière. Emprisonné à Béjaïa, il a été exécuté en l'an 714 de l'Hégire, 1314 de l'ère chrétienne. Mais ce qui est plus important de dire concernant Abou El Abbès El Ghobrini, c'est son apport à la science. En effet, il a laissé des oeuvres d'une rare beauté dont une, particulièrement, très riche sur les savants de Béjaïa qui a été éditée par feu Mohamed Bencheneb, au début de notre siècle et reprise par Rabah Bounar en 1981. Il s'agit de «Ounwan ad-Diraya», (Symbole du Savoir), une encyclopédie biographique qui a laissé une grande influence chez les savants du Monde arabe et a retenu l'attention des étudiants d'alors, à cause de sa minutieuse analyse du milieu intellectuel dans l'environnement urbain du Maghreb. De toute façon, les travaux de ce Colloque international, une fois publiés, donneront plus de détails en apprenant aux jeunes la teneur de l'oeuvre de ce géant de l'Histoire qui doit être non seulement connu, mais aussi retenu comme référence indispensable sur les plans biographique et historique. Tout cela, bien évidemment, pour stimuler leur intérêt pour les érudits de l'ancienne Béjaïa et sa région et leur permettre de connaître les autres savants qui ont brillé par leur érudition tout au long des siècles précédents. Vous avez parlé au cours du Colloque de l'autre El Ghobrini, celui de Cherchell, votre ville natale. Ainsi, d'après vous, les deux El Ghobrini pourraient être de la même famille. Expliquez-vous davantage. En effet, j'ai intervenu pendant ce Colloque pour mettre en exergue l'autre El Ghobrini, celui de Cherchell, qu'on appelle communément: «Sidi Braham El Ghobrini, Moul Lem Qam fi Cherchell». Voilà des noms qui se bousculent dans notre mémoire et que d'aucuns ne connaissent pas leurs origines, leurs oeuvres et leur apport à l'Histoire de notre pays. Ainsi, ils restent des noms propres ou des noms communs, c'est selon, comme ces appellations anonymes qu'on ne peut malheureusement glorifier d'une valeur ajoutée. Et pourtant, ils ont été à la pointe du rendement, en tant que célèbres éducateurs qui ont su mener la mission qui leur a été dévolue dans le respect le plus total des règles du savoir et de la probité morale. Sidi Braham El Ghobrini est de ceux-là: un homme pieux, humble, serein, plein d'humilité, conséquent avec lui-même, généreux dans l'effort et dévoué à la tâche. Il a ravivé chez ses élèves ce zèle religieux qui allait connaître, avec sa venue à Cherchell, après son doctorat à El Azhar, le meilleur terreau pour accroître le nombre, de plus en plus important, des affiliés à l'ordre qu'il représentait. Mais voyons ce rapprochement entre les deux El Ghobrini qui a fait l'objet d'une étude au cours de ce colloque. En ce qui me concerne, dans ce cadre-là, j'ai été clair dans ma communication en affirmant que nous pouvons abonder dans le sens d'une véritable parenté, entre les deux savants, car plusieurs indices le prouvent. Et le plus important, c'est qu'à travers la science, le savoir et le comportement sage et digne d'El Ghobrini de Cherchell - qui a vécu deux siècles plus tard - il y a cette frappante ressemblance avec son «homonyme?», sur le plan de l'érudition et de la noblesse. Ce sont des signes qui ne trompent pas. J'ai dit également, qu'on pouvait penser que la progéniture d'Abou El Abbès Ahmed Ibn Abdallah El Ghobrini a émigré à Saguia El Hamra, ce foyer de culture et de spiritualité, comme l'ont fait presque tous les savants de notre pays, pour apprendre plus et servir la cause à travers l'enseignement et la prédication. Et cette dernière éventualité pourrait être la plus plausible, si nous nous remettons à l'Histoire du Maghreb où les villes et régions de culture attiraient les savants de toutes les branches du savoir, éparpillés dans les diverses contrées, à l'instar de toutes les civilisations anciennes ou contemporaines. Alors, Sidi Mohamed El Ghobrini qui est originaire des montagnes du Djurdjura, pourrait être de la lignée des At Ghobri et, plus particulièrement, de la lignée du «Cadi», ce mémorable Abou El Abbès El Ghobrini, dont les «At elqadi» en Imazighen ou «Ben el Qadi», rois de Koukou (reyes de Cuco) seraient également les descendants. En tout cas, il reste à leurs descendants de faire des recherches. Peut-être trouveront-ils, ce lien de parenté entre les deux familles El Ghobrini, dans une «généalogie» qui aurait été conservée, par exemple, par le flux migratoire des savants et des hommes politiques, depuis la dynastie des Almohades qui oeuvraient pour la création de centres de rayonnements dans le Maghreb pour la propagation d'un islam pur? Qui sait?