La découverte d'un charnier, ce mercredi, intervient au moment où le dossier des disparus est remis sur le tapis. Le jour même, Me Farouk Ksentini, le président de la Commission nationale de promotion et de protection des droits de l'homme (Cnppdh) évoque le sujet lors d'une conférence sur les droits de l'homme en Algérie en faisant état de tractations avec les repentis concernant les fosses communes. Quelques jours auparavant, on annonçait l'inauguration du laboratoire affilié au département de la Police scientifique chargée d'effectuer des tests ADN sur les dépouilles pour leur identification. Hasard de calendrier? Ce n'est pas sûr. A la lumière de ces évènements confluents, il semblerait que les autorités veulent donner une nouvelle orientation au dossier en évacuant certaines interrogations et certaines suspicions longtemps entretenues sur les auteurs présumés des centaines d'enlèvements commis au plus fort du terrorisme. La lecture qu'on est tenté de faire est que le président veut se débarrasser d'un fardeau hérité à son investiture en 1999. Une équation qu'il n'a pu régler lors de son premier mandat à cause des tiraillements au sein du sérail. Maintenant que les éradicateurs sont groggy par sa réélection à la tête de l'Etat, il remet le dossier au goût du jour pressé par l'urgence de repartir à zéro et de tourner définitivement la page de la décennie noire et de se consacrer entièrement au projet de réconciliation nationale, la pierre angulaire sur laquelle repose son programme. Ce dossier épineux traîne depuis des années. C'est l'une des taches noires qui frelate l'histoire présente de l'Algérie. Il est entouré de beaucoup de mystères et de zones d'ombre, difficiles à élucider tant les choses sont scabreuses et filandreuses. Il faut dire qu' à chaque fois que le sujet est évoqué, chacun y va de ses propres analyses. Les assertions et les allégations sont aussi nombreuses que différentes . C'est sans doute pour mettre un terme aux supputations des uns et des autres qu'aujourd'hui les autorités projettent le débat sur le terrain en évitant cependant de faire leur mea culpa, même si on ose parler de dépassements et de quelques errements, renvoyant, comme à l'accoutumée, la responsabilité à de fâcheux actes isolés. «L'Etat est responsable mais pas coupable.» Cette phrase laconique de Ksentini blanchit les institutions, et notamment la Grande Muette, vouée aux gémonies pendant toute la période où les groupes terroristes écumaient allègrement les maquis. D'autres adresses comminatoires, tout aussi significatives, sont dirigées vers le concert de voix, à l'origine de la campagne de dénigrement contre l'institution militaire. «Le dossier des disparus est un problème algéro-algérien.» Cette flèche du Parthe est ainsi décochée pour désavouer toute ingérence incongrue de la part des ONG internationales. Des organisations comme La Fidh, Amnesty International ou Human Watch Rights qui imputent les massacres des civils de Bentalha et de Rais aux militaires. Cette sortie du président de la Cnppdh est une manière de balayer d'un revers de la main les accusations des farouches tenants de la question du qui-tue qui ? longtemps véhiculée par les médias français. Le dossier, loin d'être une sinécure, va certainement donner du fil à retordre aux autorités à moins d'être expédié à la hâte car au-delà de sa complexité, il y a cette guerre des chiffres quant au nombre exact des disparus. Ce dernier est soit gonflé soit minimisé, selon le côté du manche où l'on se trouve. Ksentini parle de 7250 cas, chiffre qui se rapproche de celui de l'association SOS disparus; Zerhouni, quant à lui, est très loin du compte. Il avait déclaré, l'année passée que 2600 à 2700 cas ont été élucidés sur 4600 plaintes. Pour le ministre de l'Intérieur, il s'agit de personnes ayant rejoint le maquis, soit d'autres qui ont été abattues par leurs compères, soit d'individus incarcérés, soit encore de personnes présentes dans les cantonnements de l'AIS en trêve depuis 1997. Beaucoup de familles de disparus ne portent pas plainte auprès des autorités par peur de représailles ou par méconnaissance des lois. C'est pour cette raison que la Laddh avance le nombre de 18.000 disparus. La commission dont s'occupe Ksentini a pour objectif de «recenser les disparus, localiser leurs cadavres, indemniser leurs ayants droit et permettre à leurs familles de faire le deuil». La question qui taraude l'esprit est la suivante: Comment va-t-on donc établir un bilan définitif et découvrir tous les charniers alors que les GIA, principaux auteurs des massacres, à en croire les sources sécuritaires, ont été réduits à néant? Il est clair que dans toute cette histoire, le doute subsistera comme il subsiste sur d'autres dossiers manipulés ou estampillés du sceau de la confidentialité.