Il a dénoncé l'usage de la violence et dans certains cas de la «torture» par les services de sécurité. «Il ne serait pas reproché à l'Etat d'avoir opté pour le contre-terrorisme dans sa guerre contre les terroristes», dixit le président de la Commission nationale de promotion et de protection des droits de l'Homme. Quand il aborde l'«épineux» dossier des disparus, Farouk Ksentini souffle le chaud et le froid. Car, en situant les responsables de la tragédie, en «parfait» défenseur des droits humains, il a reconnu vertement la responsabilité de l'Etat à travers notamment l'implication des agents des forces de sécurité dans la disparition de nombreuses personnes. La preuve: «Il incombe également aux agents de l'Etat la responsabilité dans les 5 200 disparus que nous avons recensés», admet-il en épinglant, à juste titre, les «dysfonctionnements de la chaîne de commandement», dont ont résulté les nombreux cas de dépassement et autres violations commises par les agents de l'ordre. D'ailleurs, le président du Cnppdh a affirmé que les corps des disparus, du fait des agents de l'Etat, n'ont pas été, à ce jour, retrouvés, alors que de nombreuses dépouilles des victimes des groupes terroristes ont été, en revanche, découvertes notamment dans les charniers, grâce aux témoignages et à la collaboration de certains repentis que celui-ci a rencontrés récemment pour ce faire. Mais si l'Etat, explique Me Ksentini, a procédé à la manière musclée dans son combat contre le terrorisme dans une «guerre civile» qui a pris fin avec la promulgation de la concorde civile, c'est parce qu'il était en situation de «légitime défense». Une approche qui a conduit ce dernier à (re)considérer ses propos avec une implacable acrobatie oratoire. «L'Etat est responsable mais non coupable», a-t-il tranché. Façon, parmi d'autres, de dire que c'est à certains agents de l'Etat qu'il faudrait faire porter le chapeau et non aux institutions. Réduisant, ainsi, l'«implication» des pouvoirs publics dans ce dossier à l'oeuvre de quelques exécutants des forces de l'ordre, Farouk Ksentini, sachant bien où mettre les pieds, évite donc de verser dans la polémique, du moment que certaines associations, dont l'Anfd, accusent qui mezza voce, les services de sécurité d'être les «principaux» responsables de milliers de cas de disparus, soutiennent mordicus que le problème est de nature politique, contrairement au discours officiel. Et comme la responsabilité n'incombe pas seulement aux membres des services de sécurité, les terroristes, eux, ont aussi leur macabre part dans le drame. Selon Me Ksentini, plus de 10.000 corps de disparus assassinés par les terroristes ont été, jusqu'ici, retrouvés par les pouvoirs publics, et dont il est question de les identifier par le bais du laboratoire de l'analyse ADN, mis en place, il y a quelques jours par la Dgsn. A la tête, également, de la commission ad hoc des disparus, structure installée en septembre 2003 par le président de la République avec pour consigne de faire «toute» la lumière sur le sujet, Me Ksentini s'est dit réjoui du travail qu'accomplissent, non sans difficulté, les sept membres de la commission, tous issus de la Cnppdh.Cinq mille deux cents dossiers ont été, jusqu'ici, traités dans ce cadre et «les portes restent ouvertes aux familles qui souhaitent signaler la disparition de leurs proches», affirme le conférencier, aux yeux de qui, la commission, dont la durée de 18 mois qui lui a été astreinte, demeure à l'écoute des doléances des intéressés. Dans le rapport qu'il s'apprête, dans quelques mois, à remettre au président Bouteflika, figurent les témoignages de nombreux membres du gouvernement : Tayeb Belaïz et Yazid Zerhouni, respectivement ministres de la Justice et de l'Intérieur, des hommes politiques, tels Rédha Malek, président de l'ANR, et Louisa Hanoune, porte-parole du PT. Même le chef d'état-major de l'ANP, Mohamed Lamari, a été, lui aussi, interrogé, durant deux heures, par Me Ksentini. D'autres protagonistes, entre partis politiques et personnalités publiques, seront, tour à tour, auditionnés incessamment par les membres de la commission, excluant, de fait, de solliciter les ONG notamment occidentales, du moment que le président de l'instance qualifie la question d'algéro-algérienne. Interpellé, par ailleurs, sur la position de son organisation vis-à-vis de la question de l'état d'urgence, non sans reconnaître, au préalable, les conséquences de cette mesure sur les libertés publiques et individuelles, il a reconnu que l'utilité de la mesure est toujours de mise tant que le terrorisme n'a pas été totalement vaincu. Dressant auparavant la situation des droits de l'Homme en Algérie, Farouk Ksentini n'a pas été de main morte pour dénoncer l'«instrumentalisation» par les pouvoirs publics de la justice que nombre de citoyens n'ont cessé de mettre à nu. Il a aussi fait état de la généralisation de l'usage de la violence, notamment de la part des services de sécurité: la police la Gendarmerie nationale que l'orateur accuse d'avoir, dans certains «cas», avoir recouru à la torture. D'autres facteurs comme la généralisation de la corruption, la fraude fiscale, l'incivisme ont été également explicités par Me Farouk Ksentini qui, au terme de son intervention, avait appelé à la mise en pratique des mesures prises dans le cadre de la réforme de la justice, seule voie grâce à laquelle seront respectés, a posteriori, les droits de l'Homme.