Retrouvailles pour la circonstance de nombreux moudjahidine venus de plusieurs régions Une répression féroce s'abattit sur la population: en l'espace d'une semaine que dura ce gigantesque ratissage, le massacre des habitants, les bombardements et la destruction des villages donnèrent une image d'apocalypse. La commune d'Il Maien est connue par son histoire ancienne et contemporaine. Pendant la période coloniale, elle était réputée pour son attachement et sa participation aux différentes insurrections populaires, à l'image des douars qui l'entourent, comme les Ait-Oughlis de cheikh El Oughlissi, des Beni Abbas, d'El Mokrani et du village El Kelaâ, des Ait-Aidel avec sa zaouïa de Tamokra et d'Oumalou, de Seddouk avec cheikh Ahaddad, de Guenzet et de Ait Yala avec le célèbre cheikh El Ourtilani, de Bordj Bou Arréridj et de M'sila avec la qelaâ des Beni Hammad. C'est dire que la région d'Il Maien Djaâfra est riche en histoire, d'autant que lors de la période coloniale, la population n'a pas hésité à participer aux multiples résistances populaires contre l'envahisseur. Mais le thème choisi lors de cette rencontre du 15 novembre dernier concerne la guerre de libération au cours de laquelle elle a payé un lourd tribut. Justement, à l'occasion des festivités du 60ème anniversaire du déclenchement de la guerre de libération, trois associations de la commune ont rendu un hommage au chahid Mohand Cherif Mokrani, tombé le 7 décembre 1956 avec une dizaine de ses compagnons au lieudit Tabouda, tout près d'Adrar Sidi Idir. Ce fut l'occasion de renouer avec les différentes épopées de la région pendant la guerre de libération, comme les différentes batailles qu'a connues la région, telle celle d'Adrar Oumaza, des accrochages, des embuscades contre les forces du mal, au niveau de plusieurs endroits où l'ennemi à subi de lourdes pertes. Le capitaine Aïssa Hamitouche, alias «Boundaoui», les lieutenants Allaoua Zioual, Seddik Oumehfi et tant d'autres furent des chefs militaires illustres, issus de cette région qui ont affronté les «dragons» du sinistre capitaine Scheneider, alias Schnadaloufène qui ont brisé son ardeur et sa stratégie funeste tendant à domestiquer la population. En plus de ces combats contre l'ennemi, les différentes groupes de moudjahidine ont eu à affronter et à anéantir, dès le début de l'année 1955, les groupes messalistes installés chez les Ait-Yala, envoyés pour organiser un contre-maquis avec la complicité des états-majors français. La population a adhéré, sans hésitation à la révolution, corps et âme, a tant donné et a tout donné. Des centaines de ses enfants ont rejoint les rangs de l'ALN et sont tombés les armes à la main pour la plupart. Pour lui faire payer justement cet attachement, l'ennemi organisait périodiquement des expéditions punitives, comme les opérations de ratissage, des bombardements à l'aviation et à l'artillerie contre les villages. Cette population fut constamment harcelée, massacrée et humiliée sans pour autant arriver à la faire plier. Mais le plus grand ratissage avant la grande offensive de l'opération «Jumelles» fut l'opération «Espérance» déclenchée le 27 mai 1956 sous le commandement du général Dufourt et du non moins sinistre Maurice Papon, préfet de Constantine. Avec un effectif de 10.000 hommes entre parachutistes, légionnaires, dragons et d'autres unités d'élite, l'ennemi a envahi toute la région, jour après jour, depuis les Aït Abbas, les Aït Aidel jusqu'aux confins de la ville de Sétif. Une répression féroce s'abattit sur la population: en l'espace d'une semaine que dura ce gigantesque ratissage, le massacre des habitants, les bombardements et les destructions des villages donnèrent une image d'apocalypse. Un bilan très lourd a déjà été publié dans un de nos ouvrages intitulé Chroniques des années de guerre, tome 2. «Le village d'Ilmayène a été bombardé et rasé d'une façon odieuse pendant 3 jours; on eut à déplorer 40 morts, 30 blessés ainsi que plus de 50 maisons détruites; 25 bêtes de somme sont à dénombrer parmi les victimes. Ce carnage fut effectué par plus de 300 bombes lâchées par des avions français. Le village Adrar Sidi-Idir a reçu quant à lui 36 bombes et eut 17 morts, 53 blessés ainsi que 88 maisons démolies.» A l'occasion de cette rencontre, les différents intervenants mirent en relief les sacrifices des habitants des différents villages, en rendant hommage à tous les chouhada de la commune d'Il Maien, et non des moindres: il s'agit de Cheikh Tahar Taaldjet, ancien moudjahid qui a fait le déplacement malgré son âge avancé (101 ans) et considéré comme le doyen des anciens de l'ALN. Il y eut aussi Abdelhafidh Amokrane, Amar El Hafdhi, tous deux anciens officiers de l'ALN et d'autres qui sont venus honorer la mémoire du chahid Mohand Cherif El Mokrani et 10 de ses compagnons, tombés au champ d'honneur en cette journée du 7 décembre 1956. L'émotion envahit une assistance nombreuse venue d'Alger, Sétif, Bordj Bou Arréridj, Béjaïa, Bouira etc. Il y avait beaucoup de femmes, des enfants, des vieux et surtout d'anciens moudjahidine encore en vie, qui ont fait le déplacement, malgré leur santé précaire. Un silence religieux dominait tout au long des interventions. Nous avions alors l'impression que l'âme de ces martyrs, de ceux de toute la région, planait au-dessus de nos têtes. Des larmes coulaient silencieusement sur les visages ridés et creusés, non seulement par l'âge, mais aussi à cause de l'enfer qu'ils ont vécu, tout au long de leurs combats dans les maquis. Après cette ambiance d'hommages et de retrouvailles entre tous les anciens compagnons d'armes et la population, et avant la clôture de la cérémonie, des récompenses symboliques furent remises aux parents de ces martyrs. La population de la région et les moudjahidine ont saisi cette occasion pour se remémorer l'Histoire, combien riche, de cette partie de la Kabylie.