«On nous a dressés à l'oubli de nous-mêmes. En s'emparant de l'outil de l'image, il fallait casser cette oeuvre de la défiguration par l'image et recomposer le puzzle de nous-mêmes», témoigne Ahmed Rachedi. Durant la guerre de Libération nationale, les uns sont montés armés de fusils de chasse, d'autres s'étaient engagés caméra à la main, partis chasser les images au péril de leur vie, pour servir la Révolution algérienne et la porter à la connaissance du monde. Pour en savoir plus, un réalisateur algérien Saïd Mahdaoui est parti à la chasse de l'information. Plus d'une dizaine d'intervenants, parmi eux des acteurs de l'époque et d'aujourd'hui. On cite Lamine Bechichi, Ahmed Béjaoui, Mohamed Bensalah, Pierre et Claudine Chaulet, Pierre Clément, Abderrazak Hellal, Amar Laskri, Réda Malek, Lamine Merbah, Sakina Messaâdi, Aline Moussaoui, Ahmed Rachedi, Abdelkrim Tazaroute, René Vautier et Meziane Yala. Aussi, le film est truffé de documents d'archives exclusifs pour mieux comprendre les ressorts de la Révolution algérienne par l'image, fondatrice de la cinématographie nationale. Et pour cette genèse de l'image et son importance, un historique s'est imposé partant sur la vision orientaliste de la résistance pour la lutte pour l'indépendance. En effet, la vison dégradante du colonisé qui s'évertuera à déshumaniser l'Algérien et donc à l'assujettir, sera véhiculée dira Ahmed Bedjaoui, dans la littérature colonialiste et, notamment dans la peinture et la photographie à l'instar de Delacroix. Ce qu'appellera Mohamed Bensaleh «un travail sur l'imaginaire collectif afin de véhiculer une image d'un peuple indigent porté par un regard vicieux». Fromentin, Renoir, véhiculaient aussi ce type de «stéréobate», tout comme un certain cinéma à l'image de Pépé le Moko qui consistera, selon Ahmed Bédjaoui, en «la dévirilisation de l'Algérien». Réda Malek qui évoque les manifestations du 8 Mai 1945 et d'autres insurrections, illustre l'envie des Algériens à se montrer tels qu'ils sont, autrement volontaires et prêts à se battre. Aussi, la nécessité de se faire connaître sur un plan international. Cela passera d'abord, indique Pierre Chaulet, par le journal du FLN Résistance algérienne. «L'image peut changer la face du monde. Le rôle des médias a germé dans l'esprit des chefs armés», dira Abdelkrim Tazaroute. La guerre des images était née. Autrement dit «le cinéma des armées», dira Amar Laskri. Des noms apparaissent. Mahiedine Moussaoui se chargera de la collecte des images. Des cinéastes français qui étaient aux frontières commencent à affluer. On parle de Djamel Chandarli qui, assistant au bombardement au napalm, révolté, décide de monter au maquis. Et René vautier est arrivé en 1957 et laissera des images de l'Algérie en flammes, notamment pour l'éternité, ce qu'il lui a valu d'être condamné en prison. Véritable «militant anticolonialiste», selon Ahmed Rachedi, Réda Malek le qualifiera de «passionné de cinéma». René Vautier, modeste, parlera quant à lui, de Pierre Clément qui l'a aidé entre autres, en Tunisie. Le père de L'Opium et le bâton insistera sur le côté «professionnel» de René vautier qui lui a apporté énormément en matière d'apprentissage cinématographique. «Une conscience politique est née», dit-on. Autre cinéaste engagé pour la cause algérienne, est l'opérateur et militant yougoslave Labudovic. Aussi, l'idée de créer un service d'information pour renvoyer une image d'un peuple en lutte a germé. Et Ahmed Bedjaoui de déclarer dans le film de Saïd Mahdaoui: «Nous avions enfin une mémoire réelle, pas fantasmée.» Aussi, des films phares se feront durant cette période. On citera, notamment le premier film algérien Djazaïrouna réalisé par Djamel Chandarli, Mohamed Lakhdar Hamina et Pierre Chaulet, et Yasmina, film de Mohamed Lakhdar Hamina et D.Chandarli. Ces films avaient pour mission de redonner espoir au peuple et fortifier les troupes. Des techniciens de la télé quitteront leur emploi pour monter au maquis et apporter leur savoir-faire. On formera sur le tas des techniciens, qui dans l'image, qui dans le son.. L'école de l'ALN sera salutaire. «On était des combattants pas des cinéastes», affirme Ahmed Bédjaoui. «Il n'y avait pas de star système. Ce n'était pas des films qui allaient passer dans des festivals.» Et l'ancien chef du gouvernement, Reda Malek, de souligner: «Ce sont des hommes qui ont contribué au rayonnement de la Révolution algérienne», et d'ajouter un peu plus loin: «J'estime qu'on n'a pas été à la hauteur de ce qu'on a fait il y a 50 ans. Notre devoir est de faire des films sur cette guerre de Libération.» Alors qu'Ahmed Rachedi dénonce de son côté: «On nous a dressés à l'oubli de nous-mêmes. En s'emparant jadis de l'outil de l'image, il fallait casser cette oeuvre de la défiguration par l'image et recomposer le puzzle de nous-mêmes.» Et le mot de la fin revient à Ahmed Bedjaoui: «Personne ne doit oublier le rôle du cinéma dans le maquis.» D'une durée de 1h08, le premier documentaire de Saïd Mahdaoui a été tourné en format 16/9e; le film a déjà été diffusé sur les chaînes nationales à l'occasion du 1er Novembre. Un film didactique au service de la mémoire.