Canastel, un nom évocateur qui sentait bon l'odeur du jasmin et les effluves iodées de l'air marin. Cette petite bourgade située à l'est d'Oran n'est plus le havre de paix et le lieu idéal pour des amours sans lendemain, des idylles qui naissent l'espace d'un été pour mourir un soir après un furtif au revoir. Aujourd'hui, Canastel se meurt, envahi par les eaux usées qu'il n'arrive plus à dissimuler et le tintamarre que font les bouges transformés par la grâce d'une passivité complice de l'administration en lieux de débauche flanqués d'une foultitude d'étoiles, véritable attrape-nigauds. Canastel étouffe et se transforme à petites touches en un vaste mouroir où s'éteignent à petit feu les espoirs de voir les lieux se transformer en une généreuse corne d'abondance, capable de transformer l'endroit en halte de villégiature et de repos pour des touristes qui ne viendront pas. Au début du XIXe siècle, Canastel vit le jour sur un bras de terre qu'enserre la mer. Des constructions à l'architecture chatoyante furent édifiées par des colons français, espagnols, italiens et maltais qui voulaient se ménager des lieux de repos loin d'Oran, la tumultueuse et son vacarme. Le rush des colons Son histoire retiendra que le premier colon qui s'y est installé en érigeant une ferme fut un certain Soler. Cette demeure est aujourd'hui devenue La Guinguette, un lieu de rendez-vous des adeptes de Bacchus qui s'y retrouvent pour écluser leur mal de vivre. Quelques mètres plus loin, se trouve le pavillon de chasse de M. Soler aujourd'hui occupé par le complexe Le Casino. Le climat, le relief et les terres fertiles de la région, pousseront plusieurs autres colons à venir y élire domicile. Et ce fut le rush durant les années 1920-1925. Les villas Gaber, Chiasseur, Guiraud et l'hôtel de Mme Darmon où on dégustait une paella spéciale, sont considérés comme les vestiges de la grande ruée vers Canastel. Il n'y avait pas de place pour les Algériens et ceux qui vivaient n'étaient que des journaliers qui s'empressaient de quitter les lieux une fois la nuit tombée. Enserrée par la mer et les contreforts de la montagne des Lions, Canastel est considéré comme un espace très prisé par les adeptes de la chasse et de la pêche. Le gibier constitué de sangliers, de lièvres et de bécasses faisait affluer les amateurs de chasse à courre. On raconte que les parties organisées duraient parfois plus d'une semaine et pouvaient mobiliser tous les habitants de la localité. Les Algériens n'étaient que des rabatteurs et des palefreniers qu'on s'empressait de renvoyer, loin de la fête, une fois la chasse terminée. En 1942, avec le débarquement des armées alliées à Oran, les Américains subjugués par la beauté du site s'y installèrent. Ces derniers, arrivés par voie maritime, débarquèrent au lieudit La Farge sur lequel ils construisirent une usine qui allait fournir du ciment à tous les chantiers de la région durant de longues années. Ils construisirent plusieurs maisons et installèrent des postes militaires qui filtraient le passage, ne laissant passer que les bras susceptibles de travailler dans les fermes ou la cimenterie. Les Algériens fuyaient cet endroit de luxure très prisé par les colons. Ils ne s'y installèrent qu'au lendemain de l'indépendance après que les hordes de l'OAS eurent consommé leurs derniers espoirs de l'Algérie française. Timidement, les citoyens commencèrent à affluer vers Canastel pour travailler dans les champs qui entourent la localité, plus de 100 hectares d'une terre très fertile. D'autres y arrivèrent au début des années 80 pour faire main basse sur le foncier agricole et le livrer à l'agression du béton. La localité se transformait petit à petit en un vaste lupanar où se consommaient les dernières barrières de la bienséance. Les habitants voyaient leur quiétude partir en fumée à cause de la prolifération de bouges et autres lieux desquels la débauche suintait par tous les pores. Flanqués d'enseignes évocatrices, ces lieux, censés être touristiques, étaient en fait des lieux où coulait à flot un argent sale, gagné en livrant la beauté de Canastel à la laideur du ciment et du béton. Le site féerique constitué de la montagne des Lions et du cap de Kristel, pouvait aspirer à un meilleur sort. Les Espagnols du groupe Flamenco, venus en éclaireurs durant les années 90 salivèrent en brassant d'un large regard ce paradis terrestre qui pouvait rivaliser avec les contrées touristiques du Brésil ou de la côte espagnole. Plusieurs promoteurs en tourisme s'intéressèrent aux lieux qui continuaient de subir l'invasion insidieuse du béton. Canastel l'Eden devenait petit à petit Canastel l'enfer que même ses plus fidèles défenseurs fuyaient. Les bagarres qui éclatent de temps à autre parmi les clients des cabarets, sont devenues la hantise des habitants qui voient d'un mauvais oeil l'arrivée massive de nouveaux propriétaires, venus squatter les terres agricoles, jadis fertiles. Ces nouveaux riches ont accaparé des terres arrachées au domaine agricole et à la forêt, dégarnissant dangereusement le tissu végétal de la région. Les nouvelles demeures qui ont vu le jour, ne disposent pas de réseaux d'assainissement. Des villas cossues rejettent leurs eaux nauséabondes à même la rue. D'autres plus chanceuses, sont raccordées à une fosse septique que les services de la commune curent tous les 2 jours , baignant les lieux d'une odeur pestilentielle qui a chassé depuis les senteurs de jasmin qui enveloppaient jadis Canastel. L'indifférence qui tue Les habitants, constitués en comité, ont frappé à toutes les portes mais sans parvenir à changer le cours des choses. Les mauvaises odeurs agressent le visiteur obligé de les supporter à l'entrée de la localité, tout juste devant l'hôpital pédiatrique qui subit sans broncher, un affront qui gêne le personnel et les enfants malades. Canastel, telle une vieille campagnarde garde encore les traces de sa beauté décatie. Mais que peut-il encore exhiber pour charmer, quand chaque jour que Dieu fait, des individus venus d'ailleurs viennent lui prendre ses derniers attraits. On continue à l'écarteler, à le dépecer sans prendre gare à ses supplications. Le complexe de la Munatec qui faisait la fierté des enseignants se meurt en silence, enveloppé d'une chape qui l'enserre à n'en plus pouvoir. Ses jardins fleuris se flétrissent à vue d'oeil et son infrastructure s'effrite gagnée par l'âge et trahie par l'indifférence des gens. On regarde le bâtiment, on se rappelle sa grandeur, ses heures de gloire puis on détourne le regard pour scruter l'horizon à la recherche de la grandeur perdue de ce lieu de villégiature devenu par la force des temps, une cité dortoir qui pourrait ajouter aux difficultés d'Oran. C'est ça le Canastel d'aujourd'hui, un grand fatras qui n'arrive ni à assumer son passé ni à accepter son devenir.