Cette bise marine, le jacassement des mouettes, ce léger parfum iodé. Inondation des poumons, valves, valvules, veines et cœur. L'oxygène traverse les voies nasales pour étancher son besoin d'espace dans chacune des particules qui composent le corps humain. Dilatation de la pupille, les orteils s'écartent en éventail. Les paupières se ferment, subitement alourdies par autant de bienfait. Hum... Crash, boom, bang !!! Que de chimères. Ce paradis perdu, l'image idyllique d'un éden d'eau n'a d'existence que sur les cartes postales. Petit tour sur les plages de la côte est d'Alger. De Boumerdès à Azzefoun. La bise marine se transforme en monumentale gifle nauséabonde. Le chef suprême, le big boss de la mauvaise odeur : le poisson pourri. Il s'impose en maître, écrase toutes les autres mauvaises odeurs. Les chaussettes sales d'un mois, les épluchures de légumes et même les excréments n'ont aucun pouvoir face au puissant Dark Vador, le poisson pourri. Et ils investissent les plages de Zemmouri. Ces plages qui se confondent avec les ports et que les chalutiers confondent avec des poubelles. Plus puissante que l'odeur de poisson pourri, il y a l'odeur du poisson pourri frit. Celui des restaurants. Moins frais que celui des ports et des bateaux de pêche, le poisson pourri frit est sorti provisoirement de l'eau pour atterrir dans le frigo d'un gargotier ou d'un restaurant haut de gamme. Son séjour dans la glace s'allonge plus que nécessaire. On le sort de temps en temps pour l'étaler sur les vitrines et ainsi attirer les quelques téméraires qui passent commande. À dix mètres du sable Ce poisson, flasque et dépourvu de couleur, subit, avant son exposition, un brin de maquillage entre les mains nécrophiles des commerçants embaumeurs. Mais pour peu que la toilette des morts n'ait pas convaincu les visiteurs, il retournera au frigo jusqu'à ce qu'un nouvel arrivage de poisson frais lui usurpe sa place et le « refourgue » ainsi parmi les ordures saisonnières. Le poisson pourri glacé finira en tour de Pise sur la plage de Zemmouri El Bahri. Le poisson pourri frit, le reliquat des assiettes boudées par le consommateur, côtoiera son ami le poisson pourri « frais » sur les plages de la côte est, et les deux pleureront sur leur sort en regardant d'un œil torve cette bleue immense qui fut un temps leur chaumière. Alors, ils se vengent et dégagent des effluves... Sur les plages de Zemmouri, celles destinées aux vacanciers, des parasols en paillasse sont disposés çà et là. A défaut de vacanciers, les parasols abritent et protègent une basket dégueulasse, une couche-culotte. Couche sale. Ou encore un vieux frigo délabré, venu finir ses jours au bord de l'eau. Usé par la rouille marine et la fiente des mouettes, le frigo grossièrement jeté sur le sable ouvre sa bouche... Comme pour crier au secours. Quelques maisonnettes cachent le spectacle de désolation en formant un arc de cercle. En direction d'Azzefoun, en longeant la côte, une usine s'est majestueusememt installée à dix mètres de la plage. A dix mètres des premiers grains de sable. Concurrence féroce entre ciment, plâtre et crabes, coquillages, algues. Le rapport de force, cette guerre menée à ciel ouvert entre nature et homme, est censée répondre, aux dires de certains, à une forme de sélection naturelle. Le crabe et les algues ont perdu la bataille, mais pas la guerre. Ils se sont concertés pour se laisser mourir dans les bras de leur mère, dame mer, tout en dégageant dans l'atmosphère poussiéreuse de l'usine une odeur encore plus lourde que celle du plâtre. Le coquillage, en immortel conquérant, s'est donné pour objectif de fleurir les tombes de ses amis aquatiques. En signe de recueillement. Derrière l'immeuble, la mer L'entrée d'Azzefoun. Où est la mer ? Derrière l'immeuble. Derrière l'hôtel en construction. Derrière la baraque. Il y a la mer à l'entrée d'Azzefoun, le tout est de mesurer plus de 30 m de haut. Boumerdès a retenu la leçon. C'est avec respect qu'elle se plie aux exigences de la nature. Le dernier séisme a remis les pendules à l'heure et a rappelé à l'homme qui était le plus fort. La plage de Boumerdès est propre. L'air y est frais, marin. Le sable blanc. La jetée est dégagée, spacieuse et offerte ainsi aux baigneurs. Et parce que l'homme ne peut s'empêcher d'ajouter une note matérielle à ce faisceau de luminosité, quelques digues ont été ajoutées, construites pour faciliter l'accès aux pêcheurs. Les restaurants sont à plus de cinquante mètres de la jetée et proposent un assortiment de produits culinaires marins. Des bancs ornent les trottoirs et se proposent aux visiteurs fatigués. La route qui conduit à Azzefoun, celle-là même qui se détourne de la côte et oblige le voyageur à se perdre dans les gorges de dame montagne, a tout gardé de sa fraîcheur. Les crêtes de la montagne scrutent l'horizon et s'approvisionnent en air frais. Cette matière précieuse inodore et incolore. Pourtant, en haut de la montagne, l'oxygène est vert et il sent bon. La route sinueuse freine les visiteurs dans leur course intempestive et leur intime l'ordre de regarder. Des fleurs sauvages ont squatté les lieux et saluent les passants au rythme cadencé du vent. La montagne, elle, ne s'est pas laissé faire.