Scène du film La femme du ferrailleur Deux films poignants ont été projetés durant la journée de samedi dernier, un documentaire, Hna berra de Bahia Bencheikh Lefgoun et Meriem Bouakaz et une fiction, La femme du ferrailleur de Danis Tanovic. Quel est le rôle du cinéma? Du film documentaire notamment? Apporter des réponses ou mettre à plat des interrogations? Soutenir un éclairage précis et juste ou donner son avis somme toute subjectif ou biaisé? En somme, tout cela à la fois ou et peut-être autre chose encore amplement plus subtil qu'un fil de cheveu qui se promène sur notre visage et qui vient démanger notre réflexion, notre compréhension, bousculer nos idées reçues. Bref, nous amener à «voir» les choses autrement, de façon plus complexe ou simple, mais en tout cas à réfléchir et ne pas se contenter de consommer ce que l'on connaît déjà. C'est ce que le film Hna berra, documentaire des deux réalisatrices, Bahia Bencheikh Lefgoun et Meriem Bouakaz a réussi haut la main à faire. Au-delà du constat affligeant que l'on connaît toutes et tous, à savoir le manque d'espace de respiration pour la femme dans la socialité algérienne, au-delà des lois morales ou islamiques caduques ou le simple fait banal castrateur du regard dénudant, ce film documentaire ne s'attaque pas au voile comme le pensent certains. Son propos va au-delà des clichés que l'on s'est habitué à subir depuis des décennies mais vient avec subtilité les casser pour en extraire des propos d'une rare intelligence et sensibilité y compris de la part de femmes voilées que l'on imagine dans notre inconscient collectif rigides et intolérantes de facto. La féminité, et peut-être même la sensualité sujet tabou chez nous, est abordée avec pudeur. Cet élément du puzzle, faisant écho à notre intimité, contribuera à faire avancer le schmilblick dans cette nébuleuse question du statut de la femme dans la place publique. Car finalement voilée ou pas voilée, quelle est la différence? Faut-il voiler son corps pour être en paix? Certaines diront que oui. Mais que fait -on de ses idées, son moi profond? Les dissimuler elles aussi sous un amas de conformisme ambiant, absurde et abscons, hypocrite et dérégénérateur? Car la question fondamentale en fait qui est posée ici dans ce film est celle de la liberté d'expression et de l'affirmation de soi avant tout. De l'éducation, du regard, de la maladie d'une jeunesse en mal de vivre. D'un libre arbitre que l'on a voulu longtemps assassiner au profit d'une logique bien-pensante du troupeau galopant, à savoir l'obscurantisme rampant. Un libre arbitre donc banni, endormi comme ce volcan près de l'explosion, comme ces idées à but léthargique, colportées par certains professeurs de bonne foi... Or, ce qui remet en cause ce film plein de bon sens est justement cette tentative malsaine qu'on a voulu à tout prix imposer aux Algériennes, aux Algériens aussi c'est-à-dire être comme tout le monde, s'uniformiser, quitte à s'aliéner, effacer sa personnalité à son «corps défendant». Hna berra interroge quatre femmes voilées et non voilées dont l'une a pris «le risque» de le faire quitte à se faire lyncher, juste pour être «elle-même» enfin! et ne pas «se déguiser» comme le veulent les autres, pour elle! S'il y a bien une chose que ce film dénonce c'est le diktat de l'uniformisation et de la pensée unique rétrograde qui avilit la femme et la réduit à un statut d'objet, sans cervelle. Si le film épouse la forme classique de la narration, son audace réside incontestablement, nous l'avons dit et nous le répétons ici dans la force de frappe de ces témoignages des plus éloquents. La cohérence du film émane dans l'enchaînement de ces propos qui tissent le fil conducteur du documentaire et dont la couleur, faite à base de nuances, est accompagnée d'une révolte subtile mais belle, celle de l'intelligence de plusieurs âmes qui veulent exister encore et encore. Hna berra? C'est sans doute un cri de liberté, une envie de briser les chaînes, sommes toutes invisibles ou visibles mais qui à la longue font mal à soi et autres... Plaidant aussi pour le droit de l'homme est La femme du ferrailleur, fiction de Danis Tanovic présenté en soirée à la salle El Mouggar dans le cadre du 5eme Festival du film engagé. La femme du ferrailleur est un film bosno-slovéno-français réalisé par Danis Tanovic, sorti en 2013. Présenté au Festival de Berlin, il remporte le Grand Prix du jury ainsi que l'Ours d'argent du meilleur acteur pour Nazif Mujiæ. Il se trouve que ce dernier joue dans le film avec sa femme et ses deux filles. Ce qu'on appelle communément le cinéma de la vérité ou du réel. Le synopsis? Nazif est ferrailleur. Il vit en Bosnie avec sa femme, Senada, et leurs deux filles. Un jour, Senada se plaint de terribles maux de ventre et doit se faire hospitaliser d'urgence. Mais faute de couverture sociale, le couple doit payer l'opération: une somme considérable qu'ils n'ont pas. Pendant 10 jours, Nazif fait tout pour sauver la vie de Senada en cherchant de l'aide auprès des institutions et en tentant de trouver toujours plus de fer à vendre. Le film raconte ainsi toutes les péripéties par lesquelles passe cette famille avant de venir à bout de sa tragédie in extrémis. En effet, Senda a perdu son bébé. Le curetage coûte cher. Elle restera ainsi des jours durant sans pouvoir se soigner. Un drame humain raconté de façon simple, témoignant de la précision d'un scénario qui ne souffre pas de lourdeurs. Une histoire touchante qui met aussi en lumière la solidarité de ces pauvres gens dans un pays où la chaleur humaine existe encore malgré les pesanteurs administratives inhumaines.