Les représentants du Chef du gouvernement insistent pour imposer les amendements destinés à torpiller la proposition de loi élaborée par la Centrale syndicale. Rien ne va plus dans le processus de dialogue social initié par les pouvoirs publics et son principal partenaire social destiné à préparer les deux principales rencontres de la rentrée, une tripartite et une bipartite. La dernière réunion des groupes de travail, au nombre de quatre, mis en place à la suite de la bipartite qu'avait eue Ouyahia avec Sidi Saïd au mois de septembre passé, n'a pu cacher plus longtemps le malaise, pour ne pas dire le désaccord, en train de se faire jour entre les pouvoirs publics d'un côté et leur partenaire social de l'autre. Cela est d'autant plus vrai que la rencontre des commissions, qui devait servir hier à finaliser les quatre rapport, en vue de leur dépôt officiel mercredi prochain, sur le bureau d'Ouyahia, a tout simplement failli dégénérer, chaque partie campant résolument sur ses positions. Des sources proches de la Centrale nous révèlent ainsi que «les rapports en question ne seront jamais finalisés dans les délais officiellement annoncés». Mieux, nos sources ajoutent que «dans le cas où les représentants du gouvernement continuent à nous imposer leurs amendements, visant à liquider près d'un demi-million d'emplois dans le cadre de la mise en place anticipée du rapport Sbih portant réforme de l'Etat, il ne fait aucun doute que la tenue de la bipartite, qui était prévue dès ce mois de septembre, sera fortement compromise». La Centrale, qui se réserve le droit de jouer sa carte maîtresse, consistant en l'acceptation du fameux «pacte social» dont Bouteflika a grandement besoin pour mener à bien ses «réformes» sans être gêné aux «entournures sociales», espère bien obtenir les concessions voulues sans aller jusqu'à déclencher un nouveau mouvement de grève national, comme cela avait été le cas au mois de février passé, dans le but de faire barrage aux privatisations sauvages d'un côté, et à la fameuse «loi sur les hydrocarbures» de Chakib Khelil de l'autre. Il apparaît ainsi que la situation sociale se dégrade brusquement alors que tout le long de l'été elle se présentait sous les meilleurs auspices. Mieux, nous disent encore nos sources, «le soutien indéfectible qu'a apporté la direction de l'Ugta à un second mandat de Bouteflika, sur la base de son discours réconciliateur et proche des aspirations sociales de larges pans de la société, nous laissait espérer un revirement notable dans la conduite des affaires de la cité, notamment le maintien en leur état des postes de la Fonction publique». Le Parti des Travailleurs est un des rares partis, sinon le seul, à tirer régulièrement la sonnette d'alarme sur le sujet, et à soutenir activement l'Ugta dans ce combat. La raison en est, comme ne le cesse de le répéter Louisa Hanoune dans toutes ses sorties médiatiques, que l'effondrement d'un Etat, comme cela a été notamment le cas pour le Zaïre, commence toujours par la remise en cause de ses services publics, bons ou mauvais soient-ils. La bipartite compromise Il est vrai que les choses avaient commencé à dégénérer très sérieusement depuis de nombreux mois comme nous le soulignions dans une précédente édition. Si les pouvoirs publics ont, en effet, accepté de lâcher du lest sur presque toutes les questions, y compris l'article 73bis, tant controversé, mais aussi la revalorisation du Snmg (salaire national minimum garanti), mais a continué à défendre avec un suspect acharnement ses quelques «menus» amendements introduits à la proposition d'un statut général de la fonction publique, tel qu'élaboré par l'Ugta. Pour comprendre ce véritable bras de fer, quelques rappels, mais aussi des explications détaillées s'imposent, d'autant que nous avons réussi à nous procurer la proposition de loi de l'Ugta ainsi que les quelques amendements initiés par le gouvernement. Ainsi, la proposition de loi élaborée par l'Ugta, comportant pas moins de 120 articles, a-t-elle été «torpillée», pour reprendre l'expression de sources proches de la Centrale, par une série d'amendements formulés par les représentants des pouvoirs publics. Sans y aller par quatre chemins, les représentants des travailleurs qualifient la démarche de «licenciements massifs déguisés, destinés à toucher le tiers du personnel de la Fonction publique, à savoir près d'un demi-million de personnes». Très insidieuse, la démarche suivie par la direction de la Fonction publique indique, dans le chapitre consacré aux «relations de travail», dans son article 21 que «les emplois permanents correspondant à des activités de soutien logistique et de service au sein des administrations centrales, des services déconcentrés et des établissements publics sont soumis au régime de la contractualisation». La proposition, que la Centrale rejette dans le fond et dans la forme, rejoignant l'esprit du volumineux rapport Sbih, comportant pas moins de 649 pages, cherche à exclure des avantages liés à la Fonction publique l'ensemble des travailleurs exerçant dans les champs d'exécution et de maîtrise. Sbih, dans son rapport, évoque aussi bien la pléthore d'emplois au sein de la Fonction publique, que la main-d'oeuvre souvent sous-qualifiée. L'approche, tout à fait nouvelle qu'il se propose d'adopter, que le président semble avoir fait sienne, si l'on en croit le contenu du programme gouvernemental, se propose d'aller vers une régionalisation dont les contours ne sont pas encore clairement définis, et qui fait craindre le pire à un parti comme le PT. «L'Etat algérien menacé d'effondrement» Ce qui permet de craindre une rupture du dialogue entre le gouvernement et l'Ugta c'est que leurs représentants respectifs au sein de la commission mise en place à l'effet d'élaborer le statut général de la Fonction publique n'ont pas réussi à s'entendre sur plusieurs points jugés importants. Les uns s'accrochent à l'esprit du rapport Sbih avec ce qu'il comporte comme nouveaux «besoins stratégiques» et les autres à «la préservation de l'Etat et des emplois». C'est, du reste, ce qui a amené, en désespoir de cause, l'Ugta à confectionner sa propre proposition de loi. Même s'il est à peu près certain, voire normal, que le document n'est pas intégralement accepté, il est en revanche «hors de question, nous disent des sources proches de la Centrale, que les amendements que l'on nous propose soient acceptés». Les mêmes sources, qui n'excluent pas de déterrer la hache de guerre dans le cas où les pouvoirs publics persisteraient dans leur démarche, jugée suicidaire pour l'Etat algérien, après que le secteur économique a subi les affres des compressions irréfléchies, se disent convaincues que «ce dégraissage ne doit faire de doute pour personne dans le cas où ces amendements passent sans entraves». En témoigne l'article 28 de ce document dont l'intitulé s'énonce comme suit: «L'occupation des emplois prévus aux articles 21, 23, 24 et 25 (ceux que propose le gouvernement) ne confèrent ni la qualité de fonctionnaire ni le droit à une intégration dans la Fonction publique, sous réserve des conditions prévues aux articles (...) de la présente loi». Des sources proches de la Centrale, qui font état de contacts discrets entre Sidi Saïd et Ouyahia dans le but de dégoupiller cette véritable bombe à retardement, n'excluent pas de recourir à des actions radicales, dont la grève générale et nationale dans le cas où aucun compromis n'est trouvé d'ici à la rentrée sociale. Le ton en est déjà donné, du reste, par la Fédération de l'agroalimentaire. Celle-ci, forte de centaines d'unités stratégiques, présentes à travers tout le territoire national, appelle ses dizaines de milliers de travailleurs à des grèves, des sit-in et des marches dès le mois de septembre prochain. Serait-ce un avant-goût du bouillonnement social qui attend le pouvoir à la rentrée, lequel n'arrive toujours pas à renvoyer l'ascenseur lors même que les caisses n'ont jamais été aussi pleines, ou bien d'une simple diversion, comme l'Ugta sait le faire en cas de besoin? La question, qui demeure posée, trouvera forcément une réponse satisfaisante dans les toutes prochaines semaines.