Barnier oppose un niet catégorique aux députés pétitionnaires qui ont protesté contre sa présence. Pour le chef de la diplomatie française, rien ne justifie la levée de boucliers des parlementaires à la veille de la commémoration des cérémonies du débarquement de Provence. Il relègue cette sortie, pour le moins déroutante, à un non-évènement. En réponse hier à la lettre dont il a été destinataire le 13 juillet, rédigée et signée par une soixantaine de députés l'UMP (Union pour un mouvement populaire), et dans laquelle ils protestaient contre la venue du président algérien à Toulon le 15 août, le ministre français des Affaires étrangères maintient l'invitation en arguant que «le souvenir douloureux de la guerre d'Algérie ne peut pas affecter la cérémonie du 15 août en hommage aux combattants d'outre-mer ayant participé à la libération de la France en 1944». Il considère que la présence du chef de l'Etat algérien est légitime. Il est convié au nom de tous les Algériens qu'il représente «concernés par cette page d'histoire». Le diplomate soutient mordicus que «les Algériens ont à l'évidence pleinement leur place dans cette commémoration.» Et d'enchaîner: «Les affrontements qui ont déchiré nos deux peuples après la Seconde Guerre mondiale, dont je sais le souvenir douloureux qu'ils ont laissé, en particulier chez les harkis, ne peuvent cependant pas affecter la reconnaissance que la nation éprouve à l'égard de ces soldats venus d'Outre-mer pour participer à la libération du pays en 1944». Le chef de la diplomatie enfonce le clou en signifiant que l'Hexagone tient à exprimer sa gratitude aux soldats étrangers partis au casse-pipe défendre la cause française «le président de la République a invité à Toulon le 15 août les chefs d'Etat des pays d'Afrique dont les combattants ont participé au débarquement de Provence afin d'exprimer notre reconnaissance envers ceux qui ont versé leur sang pour la libération de la France et de l'Europe». Il trouve inopportun ce déballage et ce retour incongru sur l'histoire «au-delà, poursuit Michel Barnier, il me paraît important, pour l'Algérie et la France, de surmonter le passé, sans l'occulter, afin de construire ensemble un avenir dépassionné dans lequel nos deux peuples pourront mettre en commun tout ce qui les unit. Je suis convaincu qu'une relation assainie et confiante avec l'Algérie, qui constitue pour nous un partenaire naturel par l'histoire et par la géographie, permettra de progresser ensemble vers la prise en compte de notre passé commun, y compris ses pages les plus difficiles.» La polémique autour de l'invitation du chef de l'Etat a été actionnée par une poignée de députés à la mi-juillet. Ils exigent que le président Bouteflika s'excuse auprès des harkis pour les avoir assimilés à des «collabos». L'instigateur de cette montée au créneau est Claude Goasguen, député UMP de Paris qui veut semer la zizanie pour indisposer le président français en manipulant l'Union nationale des harkis (UNH), représentant les Algériens ayant servi comme supplétifs dans l'armée française pendant la guerre d'Algérie. Pour répondre à ses détracteurs, le locataire du Quai d'Orsay rappelle qu'«un travail de mémoire commun a été engagé entre la France et l'Algérie». A l'issue de ces tractations, certaines mesures communes ont été prises en charge. Il s'agit de «la libre circulation des harkis, la réhabilitation des cimetières français en Algérie ou la duplication des actes d'état civil des rapatriés». Il cite également l'élaboration d'un rapport par le Comité international de la Croix-Rouge de 1963 sur les disparus français de la guerre d'Algérie. Des voix se sont élevées pour dénoncer cette agitation. Le sénateur-maire UMP de Toulon et ministre délégué aux personnes âgées, Hubert Falco s'est étonné, mercredi que la présence du chancelier allemand Gerhard Schröder aux cérémonies du débarquement en Normandie en juin n'avait suscité aucune polémique. «Nous rendons hommage aux milliers de soldats qui sont morts pour la France», a-t-il déclaré. «Qu'ils soient Algériens, Marocains, Tunisiens, d'Afrique noire, des Domaines et Territoires d'Outre-mer (Dom-Tom), d'Amérique ou d'Angleterre, c'est à eux que la France doit sa liberté aujourd'hui, ce sont eux que nous honorons et vis-à-vis desquels ces querelles ne peuvent pas avoir lieu.» Une position que le secrétaire d'Etat aux Anciens Combattants, Hamlaoui Mekachera, partage pleinement à travers sa déclaration faite sur les antennes de France Inter en jugeant la controverse inadéquate. Pour cet ancien combattant: «Les cérémonies du week-end prochain à Toulon ne sont ni le lieu ni le moment pour polémiquer.» A rappeler que sur les 450.000 soldats débarqués en Provence à partir du 15 août 1944, il y avait 259.000 sous le drapeau français, dont 100.000 Maghrébins, la plupart des Algériens, notamment au sein de la 3e Division d'infanterie algérienne. Pour sa part, le député UMP Eric Raoult, vice-président du groupe d'amitié franco-algérien à l'Assemblée nationale, a qualifié de «maladroit et contre-productif de rejeter Abdelaziz Bouteflika. Je préfère inviter Bouteflika, qui représente tout de même une certaine stabilité, que de voir arriver au pouvoir des islamistes comme cela a failli être le cas dans le passé», a-t-il affirmé au journal Le Parisien. Pour ce parlementaire proche du président français «l'Algérie de 2004 n'est plus l'Algérie de 1962. Bouteflika n'est plus un fellagha, c'est un président réélu d'un grand pays, un chef d'Etat reconnu». La réponse péremptoire du chef de la diplomatie française coupe ainsi l'herbe sous le pied de ces députés qui ont apparemment raté leur coup face à la volonté politique qu'incarne Jacques Chirac.