Se payer des vacances au bord de la mer est un luxe réservé aux seuls privilégiés. A défaut de se baigner dans les plages éloignées du Nord, les gens du Sud, incapables de se payer un voyage aussi cher, trouvent des solutions de rechange: baignades dans un conduit d'eau d'irrigation, dans une retenue collinaire, dans des bassins de fortune ou dans des barrages envasés. On arrive même, à Laghouat, Adrar, Ghardaïa, Béchar et Tindouf à creuser des minipiscines près des foggaras (sorte de puits d'irrigation traditionnels, ndlr) et s'y rafraîchir. Les femmes et les enfants, s'ils arrivent à trouver de l'eau pour boire c'est déjà une aubaine, et s'ils en trouvent assez pour prendre une douche glacée avec, c'est un privilège rare. Les plus actifs de tous, les enfants et les jeunes hommes partent à pied, parfois très loin à la manière des gnous du Massaï Mara, pour trouver l'eau et se baigner. Les risques encourus sont grands, parfois périlleux, mais la «plongée» vaut le risque et l'effort fourni n'est rien devant une minute de baignade à 45° à l'ombre. Mais, là-bas, il n'y a pas d'ombre... Combien sont-ils morts de la sorte, noyés dans des mares d'eau usée ou dans des barrages envasés? «Au moins quinze», depuis le début de l'été. On en parle rarement, car il s'agit de gens humbles, inconnus et qui, de surcroît, ne sont pas morts du terrorisme, mais de mort lente, la mort des pauvres, des démunis et des oubliés du sud algérien. De temps à autre, le bulletin quotidien de la Gendarmerie nationale en fait état dans le chapitre de la sécurité publique. Les statistiques ne sont pas encore très fiables, mais on peut évaluer leur nombre à une vingtaine depuis le 1er juin 2004. Les derniers cas recensés entre le 5 et le 10 août sont déjà édifiants sur l'ampleur de ce drame à huis clos. A Ghardaïa, une fillette de cinq ans, a été retrouvée morte le 6 août dernier, dans un bassin situé pourtant, à proximité du domicile de ses parents près de l'Oasis Adjallaf. La noyade a été longue et la mort lente malgré la douceur de l'eau du bassin. Le même jour, presque à la même heure, une vénérable dame meurt ensevelie par des tonnes de sable. La malheureuse cherchait à extraire de l'argile pour fabriquer des objets de poterie. A Béchar, le 6 août toujours, le corps sans vie du jeune N. L. 17 ans, est repêché par les éléments de la Protection civile. Les eaux du barrage de Djorf Ettorba ont eu raison de ses maigres capacités en natation. Le lendemain, la mort frappe à Constantine par deux fois. Un homme de 42 ans, et un enfant de 8 ans qui se baignaient dans une retenue collinaire, trouvent la mort par noyade. D'autres enfants ont pu être sauvés dans d'autres régions où les pompes hydrauliques et autres appareils de forage ont perforé le sol au point d'en faire un gros morceau de gruyère. Le trou d'où émerge parfois, l'eau devient un pôle d'attraction pour les enfants, qui mesurent rarement qu'il est profond de plus d'une vingtaine de mètres. A Djelfa, les stations de pompage installées à Aïn Oussara, Bahbah, Zelfana, Birine, Had Shary ou Aïn El Bel arrivent à faire remonter de l'eau... salée, impropre à l'irrigation des champs qui commencent à y prospérer, mais qui fait le bonheur des jeunes qui trouvent une eau salée n'ayant rien à envier à la mer du littoral du Nord. La qualité du sol des Ouled Naïl est réputée par sa haute teneur en sel... Les plus nantis des citoyens du Sud ont bien chez eux une citerne de 5000 ou 10.000 litres d'eau potable, et qui peut servir à l'occasion des grandes canicules de «douche familiale» à moindre frais. Les notables de Béchar et Ghardaïa installent chez eux des carrés profonds de ciment d'environ 4x4 m, ce qui signifie en termes de commodités avoir sa petite piscine chez soi. Mais là, est un domaine réservé aux seuls privilégiés, qui de surcroît ont les moyens de se payer des vacances au Nord, une chambre à Tipaza ou un bungalow aux Andalouses, à l'ouest d'Oran. Pour les autres, le sable fin du désert, le roc craquant des villes du Sud et le climat d'où l'on peut à peine tirer une bouffée d'oxygène, servent de décor. Le voyage au Nord coûte cher. 1000 DA par personne pour venir en autobus de Béchar à Alger, et entre 3000 et 4000 dinars par jour dans une chambre au bord de la mer, à Zéralda, Sidi Fredj ou Tipaza. Ce qui équivaut à débourser une véritable petite fortune pour un père de famille, qui préfère largement se dorer au soleil et espérer le retour des saisons douces au plus vite. Une petite semaine estivale coûte pour une famille de six personnes (une moyenne en Algérie) l'équivalent de deux mois de salaire. Une aller-retour par avion Djanet-Alger coûte 16.000 dinars, soit, l'équivalent d'un salaire de cadre moyen dans une entreprise publique. S'il achète six billets pour lui, pour sa femme et ses quatre enfants, il doit débourser 96.000 dinars. Et si l'on ajoute seulement cinquante mille dinars pour les frais d'hébergement, de restauration dans une chambre sans étoile et sans aucune commodité, nous sommes en face d'un problème insoluble: la famille doit débourser quinze millions pour une petite semaine au bord de la mer. Ce qui relève de la pure rêverie... Sans moyens et sans rêveries, les enfants continuent de mourir dans le grand Sud algérien, l'un des endroits pétrolifères les plus riches de la planète. Pourtant, les APC, les APW, les autorités publiques locales et les ministère concernés auraient pu, à moindre frais construire des petites piscines dans les villages et les zones arides et isolées du Sud et préserver de fait, la vie des enfants et des jeunes qui continuent à mourir noyés dans des barrages ou des bassins envasés à 45° à l'ombre, sauf que durant ces jours de grosses chaleurs, il n'y a pas d'ombre dans les villes du Sud.